Ce nouveau rachat d'un éditeur français par un géant américain ne manque pas de surprendre. D'abord en termes de métiers. Adobe spécialiste des logiciels graphiques rachète un spécialiste du e-marketing.  Mais Brad Rencher, senior vice-président d'Adobe et patron de la division Digital Marketing explique qu'Adobe « a longtemps été le partenaire de confiance des professionnels de la création mais qu'il veut maintenant augmenter son avance dans le domaine du marketing numérique avec l'acquisition de Neolane ».

Adobe explique vouloir combiner innovation et croissance externe sur ce secteur. L'éditeur américain a déjà fait d'autres emplettes dans le marketing digital : Omniture en 2009, Day Software (2010), Demdex (2011), Auditude (2011), Efficient Frontier (2012). Adobe explique que Neolane sera sa sixième solution de marketing après celles en analytique, ciblage, social business, experience manager et optimisation media. Neolane sera  intégré dans la division Digital Marketing d'Adobe.

Trop de silos

Pour comprendre ce rachat, il faut revenir au point de départ, celui de l'entreprise cliente. « Elle a un problème d'intégration transverse » nous explique Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée au cabinet Markess International. Différents projets isolés sont menés dans la connaissance du client et son traitement marketing. Internet introduit de plus en plus de silos, donc pose un problème de cohérence. Et le client a un vrai problème pour capter l'expérience client quel que soit le media utilisé. « Les entreprises consacrent de lourds budgets à l'expérience client mais ont un besoin de mise en cohérence de ces investissements. Ils veulent une sorte d'ERP, un outil intégré de l'expérience client ». Le rachat de Neolane s'inscrit dans ce mouvement.

Adobe avait annoncé il y a un peu plus d'un an une réorientation de ses activités, en particulier pour accompagner cette expérience client. Selon Gerry Brown, analyste senior chez Ovum, « une acquisition de ce type a été longue à venir pour Adobe, l'absence d'une plate-forme de gestion de campagne était un trou flagrant dans son offre en matière de marketing numérique. Cette acquisition est couteuse mais elle en vaut la peine.... Et met Adobe dans une position forte sur le marché ». Gerry Brown note également que « Neolane était une épine dans le pied d'IBM Unica,  cette acquisition permet à Adobe de rivaliser avec IBM, SAS et Teradata sur les grands comptes ».

53 ème éditeur en France

La valorisation est un autre point d'interrogation. Neolane réalise selon le classement des éditeurs réalisé par notre confrère Logiciels et Services 44 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 en croissance de 40%. Selon la même source, Neolane réalisant 18 ME en France serait le 53ème éditeur en France suivant le CA. Adobe l'a payé 600 millions de dollars, soit 460 millions d'euros, donc dix fois le chiffre d'affaires ! L'opération devrait être finalisée courant juillet.

Dans une note de blog du 17 juin dernier Emmanuelle Olivié-Paul s'interrogeait sur l'évolution du secteur. Une nouvelle vague de concentration  se profile. Les entreprises  consacrent de gros budgets au marketing digital. Leurs fournisseurs ne peuvent rester isolés. C'est probablement une des raisons de la vente de Neolane. Ses dirigeants voulaient entrer en bourse, ils ont pris une autre option. En intégrant Adobe, Neolane prend une nouvelle dimension.

Cette acquisition garde encore quelques inconnues. Il reste un mois pour passer les derniers obstacles règlementaires. La phase d'intégration est ensuite toujours délicate. Que ce soit en termes  de management et d'intégration des équipe ou sur l'aspect technologies. « Neolane est très français avec des personnalités fortes et énergiques au sommet » ne manque pas de souligner Gerry Brown de l'Ovum qui se souvient de la fuite de cadres de BusinessObjects après le rachat par SAP. Il rappelle aussi qu'Adobe a d'autres partenaires sur le sujet comme Silverpop « qui se pencheront sur leur position de partenaires Adobe. » « La greffe va-t-elle prendre ?, s'interroge Emmanuelle Olivié-Paul.

D'autres rachats à venir...

Autre inconnue, cette acquisition sera-t-elle suivie d'autres dans le secteur du marketing multicanal. Certains prennent déjà les paris. Emmanuelle Olivié-Paul rappelle les rachats d' ExactTarget par Salesforce ou d'Hybris par SAP. Oracle a racheté Eloqua au mois de décembre dernier. Des analystes anticipent même une nouvelle bulle étant donné la valorisation exceptionnelle de Neolane.

Dernier point, le départ entre d'autres mains d'une pépite française va susciter à nouveaux des commentaires. Neolane moins connu ne suscite pas autant de levées de bouclier que Dailymotion qui est filiale d'Orange. Mais le dossier est le même. Celui du manque de capitaux en France pour les éditeurs. Dans sa dernière étude de conjoncture, Syntec Numérique prévoyait une croissance pour les éditeurs, mais faible en France, plus intéressante en Europe et surtout aux Etats-Unis. C'est un autre levier de vente pour les éditeurs français, qui doivent impérativement se projeter sur les marchés étrangers. D'autant qu'ils se présentent sur le marché mondial (faut-il encore le souligner ?), avec des chiffres d'affaires très faibles et des capitalisations à l'avenant.