Après des années passées à offrir aux utilisateurs des outils de partage en tout genre, les entreprises du web se rendent compte aujourd'hui qu'elles pourraient aussi profiter du désir de confidentialité des internautes en proposant des espaces en ligne un peu plus privés. Certaines orientations récentes montrent qu'elles commencent à comprendre que leurs utilisateurs ne veulent pas partager aveuglément toutes leurs pensées et toutes leurs activités en ligne. Et, même si ceux-ci continuent à partager énormément de choses, ils apprécient de pouvoir masquer leur identité ou exposer leurs données de manière plus sélective.

Netflix, par exemple, teste un mode de visionnage privé qui permettra à ses utilisateurs de masquer les titres des films qu'ils ont vus dans leur journal d'activité, ou de ne pas partager leur liste avec leurs « amis » sur Facebook. De son côté, Google a fait savoir ce mois-ci, qu'il n'obligera plus les gens à utiliser leur vrai nom sur Google+, revenant ainsi sur une politique appliquée pourtant de longue date. La société de Larry Page a reconnu que cette obligation avait été source « d'expériences inutilement difficiles » pour certains utilisateurs, sans préciser lesquelles, mais nombreux sont ceux qui ont été très contrariés de voir que leurs messages postés sur YouTube permettaient de remonter à leur véritable identité sur Google+.

La crainte d'appuyer sur le « bouton bleu »

Facebook aussi souhaite répondre à ce désir de partage plus sélectif. Cette année, lors de la conférence annuelle F8, le CEO de la société, Mark Zuckerberg, a déclaré que certains utilisateurs avaient peur de cliquer sur « le bouton bleu » pour se connecter à certaines applications avec leur profil Facebook. « Les gens se demandent à quelles données l'application pourra accéder », avait-il reconnu. Le CEO avait également évoqué le problème des messages envoyés ensuite « aux amis » pour leur signaler que l'utilisateur avait installé la dite application. Le « bouton bleu » permettra bientôt de se connecter de façon anonyme, ou de sélectionner les données que l'application sera en mesure de voir. D'autres exemples indiquent une même tendance : les entreprises du web veulent offrir aux utilisateurs un peu plus de confidentialité quand ils s'abonnent à leurs services. Les gens veulent toujours partager en ligne, mais ils réfléchissent davantage aux conséquences et regardent dans quel contexte se passe le partage.

« Les entreprises ont compris que les utilisateurs voulaient certaines limites privées à ce qu'ils veulent partager », a déclaré Justin Brookman, directeur au Center for Democracy and Technology, une association à but non lucratif basée à Washington, DC, qui suit les questions de respect de la vie privée des consommateurs. Et les commentaires de Mark Zuckerberg reflètent bien le changement de tendance. Dans une interview réalisée en direct en 2010, le CEO de Facebook avait laissé entendre que les gens étaient heureux de tout partager avec le plus de monde possible. « Les gens sont vraiment très à l'aise, non seulement avec le fait de partager plus d'informations et de différente nature, mais plus ouvertement et avec plus de gens », avait-il dit à l'époque. Ce point de vue est très différent de celui-ci qu'il a exprimé récemment lors de la communication des résultats de sa société. Le jeune patron de 30 ans a alors déclaré : « Ce sur quoi nous travaillons beaucoup en ce moment, c'est la création d'espaces privés qui permettent aux utilisateurs de partager et d'échanger entre eux autrement. Les utilisateurs ont encore beaucoup de choses à exprimer, et ils ont besoin d'outils pour les partager avec des groupes plus réduits ».

Anonymat, attention au risque d'intimidation

Aujourd'hui, plusieurs applications préservent entièrement l'anonymat. Depuis l'année dernière, de nouveaux services comme Secret, Whisper et Yik Yak ont vu le jour. Ils permettent aux gens de publier des messages comme ils le feraient sur Facebook, mais de façon anonyme. Beaucoup trouvent l'anonymat très attractif. « En une journée, tout le monde dans notre école avait téléchargé Yik Yak », a déclaré un adolescent qui préfère que son nom ne soit pas mentionné. Il a ajouté cependant que l'application avait été bannie de son école, principalement en raison des problèmes d'intimidation sur le net.

Concernant l'anonymat, Justin Brookman, de l'association Center for Democracy and Technology, explique que si une partie des jeunes utilisateurs veut éviter le regard des parents,  « il y a aussi une prise de conscience plus grande du fait que ce que l'on publie en ligne peut nous suivre pour toujours ». De toute évidence, que ce soit sur Secret ou Google+, certaines personnes veulent un moyen de dissocier leur identité de ce qu'ils postent en ligne. Même Twitter, qui se plait à se qualifier d'hôtel de ville de l'Internet, a amélioré sa fonction de messagerie en direct, en permettant d'échanger des messages privés.

Facebook relié à Secret

Facebook s'est de son côté lié à Secret, curieuse association public/privé. La start-up a récemment annoncé une intégration avec Facebook pour permettre aux utilisateurs d'échanger plus de messages d' « amis » dans leur flux Secret. Ce dernier affirme que les connexions se font de manière anonyme et qu'il ne stocke pas les noms réels des personnes.

Reste que, au final, Facebook et Google sont toutes deux des entreprises qui offrent des services gratuits monétisés grâce aux données de leurs utilisateurs. « L'avantage leur revient, puisqu'elles tirent encore de nouvelles choses sur la façon dont les gens utilisent ces outils de protection de la vie privée », a déclaré Fatemeh Khatibloo, analyste chez Forrester Research, spécialisée dans la vie privée digitale. Et en comprenant la façon dont leurs utilisateurs utilisent ces outils, elles peuvent encore mieux cibler leurs annonces publicitaires.

Ces derniers jours, à l'initiative d'un utilisateur autrichien de Facebook, une action contre le réseau social vient de réunir plus de 11 500 utilisateurs mécontents de la politique de confidentialité du site.