La justice hésite sur la réponse à apporter aux contentieux créés par Google Suggest, l'outil utilisé depuis un an par le moteur de recherche pour apporter des suggestions aux internautes lors de leurs requêtes. Deux affaires, en apparence très semblables, ont récemment abouti à des jugements très distincts. La première met en scène la société Direct Energie, qui reproche à Google l'apparition dans la liste des suggestions de l'expression « direct énergie arnaque ». En plus d'être désobligeante, celle-ci est placée en tête de la liste des requêtes recommandées alors qu'elle n'est pas celle qui totalise le plus grand nombre de recherches, ni qui arrive première dans l'ordre alphabétique. Aux yeux du demandeur, l'association de son nom commercial et du terme « arnaque » constitue « une faute civile, un trouble manifestement illicite ». Le tribunal de commerce de Paris, dans une ordonnance de référé du 7 mai, a entendu les arguments de Direct Energie et établi l'existence d'une « campagne de dénigrement », fut-elle involontaire, à laquelle participait Google. En conséquence, la juridiction a condamné le moteur de recherche à faire cesser ce « trouble manifestement illicite » en retirant l'expression incriminée de ses suggestions, sans que cela ne porte une atteinte « disproportionnée et injustifiée à la liberté d'expression ». Google perd, puis gagne : la marque des Sages L'action intentée par le Centre national de formation à distance (CNFDI) repose sur des faits similaires. Le demandeur reproche lui aussi à Google l'apparition, en première position des suggestions, de l'expression « CNFDI arnaque ». Mais, contrairement à Direct Energie qui s'était tourné devant le tribunal de commerce pour se faire entendre sur le terrain de la responsabilité civile, le centre de formation a préféré jouer la carte des infractions par voie de presse et invoquer la commission d'une injure devant le tribunal de grande instance de Paris. Avec un succès tout autre que Direct Energie. Les magistrats ont en effet estimé, le 10 juillet, que l'expression mise en cause « n'est qu'une proposition de requête qui pourrait être soumise ». En ce qu'elle ne porte pas « la volonté consciente et délibérée de proférer un terme de mépris, une invective ou un propos outrageant », elle ne saurait dès lors prendre un sens injurieux. En d'autres termes, le CNFDI ne peut demander le retrait de l'expression qu'il incrimine car Google n'a pas cherché à lui nuire en en faisant une suggestion de recherche. Par ailleurs, les juges rappellent que les moteurs de recherche participent de la liberté d'expression qui endosse une « valeur constitutionnellement et conventionnellement garantie », ce qui signifie à demi-mot qu'il faudrait une faute particulièrement grave pour contrarier le champ d'action d'un Google. La principale différence entre les deux affaires, outre les juridictions ayant eu à connaître des dossiers et l'issue plus ou moins heureuse pour la partie demanderesse, tient à la date à laquelle les magistrats se sont penchés sur les dossiers. Plus précisément, le premier cas a été examiné avant le 10 juin, c'est-à-dire le jour où le Conseil constitutionnel a torpillé la loi Hadopi en se basant, notamment, sur l'atteinte intolérable qu'elle faisait planer sur la liberté d'expression. Dans l'affaire CNFDI, le TGI de Paris paraît avoir assis sa décision sur celle des Sages, en considérant que la liberté d'expression exercée par Google ne pouvait être contrariée que par un fait sérieux.