Comment améliorer de façon significative l’accessibilité numérique aux services bancaires et financiers, alors que les innovations - par exemple sur les technologies cognitives - et le développement des terminaux mobiles permettent des avancées notables pour personnaliser l’accès à ces services, non seulement pour les personnes ayant un handicap ou pour les utilisateurs seniors, mais plus généralement pour tous les clients des banques. Engagée au niveau mondial pour diffuser les bonnes pratiques sur l’accessibilité numérique, l’organisation G3ict a fait un focus sur leur mise en œuvre par les services financiers, lors d’un séminaire organisé le 5 avril à Paris. L’un des défis rencontrés consiste à prendre en considération, dans les interfaces web par exemple, une population mondiale qui progresse en âge et dont la vision, la dextérité et la mémoire peuvent s’altérer, a notamment exposé Nicola Palmarini, Global Digital Creative & Technology Advocate sur l’accessibilité chez IBM Research.

Certes, les clients seniors ne constituent pas une population homogène, suivant leur âge, leur mode de vie et les dépenses qu’ils réalisent dans leurs activités et voyages. Néanmoins, pour les plus âgés, les tâches à effectuer en ligne constituent parfois un parcours du combattant. Par ailleurs, une trop grande facilité d’accès aux services augmente les risques de fraude (aux Etats-Unis, les fraudes à l’encontre des personnes âgées ont représenté 36 milliards de pertes en 2014). La conception et le développement d’interfaces accessibles à tous et qui puissent être déployées à grande échelle représentent donc un véritable enjeu pour les entreprises en général et le monde bancaire en particulier. Cela nécessite en premier lieu de sensibiliser les nouvelles générations de développeurs à ces questions.

En Europe, mise en place progressive de l'European Accessibility Act

En décembre dernier, la Commission européenne a proposé un acte législatif, l’European Accessibility Act, destiné à établir des exigences communes pour rendre pleinement accessibles aux personnes handicapées certains services clés comme les distributeurs automatiques de billets, les services bancaires, les ordinateurs personnels, les téléphones et le commerce électronique. Ces exigences s’appliqueront dans la réglementation des marchés publics. Des raisons économiques guident cette initiative, pour faciliter l’exportation de produits et services qui n’auront pas à s’adapter à des règles nationales différentes, mais à se conformer à des règles communes.

Des raisons légales y président aussi, la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées étant entrée en vigueur dans l’UE en 2011. Il y a, au sein de l’Union européenne, environ 80 millions de personnes qui présentent un handicap plus ou moins important et, d’ici à 2020, le vieillissement de la population fera passer ce chiffre à 120 millions de personnes. Pour mettre en œuvre l’European Accessibility Act, il faudra encore deux ans pour le transposer entre les différents pays et six ans pour son entrée en application. Néanmoins, toutes les entreprises européennes qui sont présentes sur le marché international, devront se mettre en conformité dès 2018 si elles veulent respecter la législation en application sur le marché américain.

Barclays Bank a adapté ses services à chaque situation

Parmi les intervenants du séminaire, Paul Smyth, responsable de l’accessibilité IT à la Barclays Bank, a présenté l’agenda du groupe bancaire britannique dans ce domaine. C’est l’une des banques les plus engagées sur ces questions avec de nombreux services répondant à différents types de handicaps : entre autres choses, la mise en place de distributeurs de billets audio, une communication en braille et des cartes de crédit très lisibles, mais aussi une interprétation vidéo en langue des signes pour les malentendants ayant rendez-vous dans les agences, diverses fonctionnalités pour les personnes ayant des problèmes de mobilité et de dextérité, ainsi que des services de banque par téléphone et en ligne. Une forte proportion de ses clients utilisent son app mobile, redesignée en 2014 en posant le principe de l’accessibilité avant toute chose, a souligné Paul Smyth. « La conception inclusive est maintenant au cœur du projet avec, notamment, une meilleure expérience utilisateur et différents profils ». Au nombre des services proposés par la banque, par exemple, bPay de Barclaycard permet de payer ses achats avec son bracelet montre ou via un sticker connecté.

Paul Smyth, responsable de l’accessibilité IT à la Barclays Bank.

OrCam MyEye et Aira.io recourent à des lunettes connectées

De son côté Ted Drake, responsable de l’accessibilité chez Intuit, éditeur américain de solutions de gestion pour PME et particuliers, a présenté un ensemble de solutions et d’accessoires susceptibles de faciliter l’accès aux services bancaires et financiers. En premier lieu, les technologies de paiement par contact, déjà illustrés par le service bPay de Barclaycard, évitent au client de sortir son porte-monnaie ou sa carte de crédit. « C’est particulièrement important pour les personnes qui ont du mal à se mouvoir », a insisté Ted Drake en rappelant toutefois l’arbitrage entre accessibilité et sécurité. « En matière de sécurité, il nous faut un mot de passe fort et vérifier que l’utilisateur n’est pas un robot en utilisant par exemple un captcha. Ce n’est toujours simple pour l’accessibilité. »

« Lors de ma première conférence NFB (National Federation of the Blind), il y a 4 ans, une utilisatrice aveugle m’a expliqué qu’elle faisait seule sa déclaration d’impôt avec TurboTax d’Intuit jusqu’au moment où elle devait appeler sa voisine pour saisir le captcha. L’année suivante, nous avons ajouté un captcha audio et l’année d’après un captcha logique ». Ce dernier permet de vérifier que la personne se déplace de façon séquentielle sur le site et ne survole pas 5 000 pages en cliquant de façon aléatoire. Si au contraire, un comportement de robot est détecté, le logiciel soumet un captcha. Il reste néanmoins des mesures de sécurité pour vérifier qu’il s’agit de la bonne personne, comme de l’authentification multi-facteur.

A gauche, Ted Drake, responsable de l’accessibilité chez Intuit. A droite, Matt Ader, vice-président de Freedom Scientific, fournisseur de la solution de lecture d'écran JAWS.

De nombreuses étapes peuvent être simplifiées si les terminaux, applications et dispositifs utilisés peuvent communiquer directement entre eux. Dans cette catégorie, Ted Drake place l’Amazon Echo et son assistant vocal Alexa. Il suffit de parler à ce boîtier cylindrique de 23,5 cm pour qu’il allume la lumière, mette de la musique ou donne le temps qu’il fait. Il n’est pas encore finalisé en français mais, outre-Atlantique, il est intégré aux services du groupe bancaire Capital One, ce qui permet de vérifier de la même façon le solde de son compte en banque. Intuit prépare lui aussi l’intégration avec Echo.

Dans la gamme des accessoires de mobilité, la société allemande Bragi est en train de mettre au point les écouteurs sans fil Dash faisant le lien avec son smartphone et que l’on contrôle sans bouton, avec une tape du doigt. Ceux-ci doivent permettre de répondre à ses appels dans un milieu bruyant et sans toucher son smartphone. Un autre dispositif, l’OrCam MyEye pourrait être d’une grande utilité pour les clients des banques. Il associe une caméra placée sur une monture de lunettes. Lorsque l’utilisateur désigne un texte de son doigt, par exemple un nom écrit sur un badge, le dispositif commence à lire ce qu’il voit.

L’Orcam MyEye s’adresse plutôt à des mal-voyants qu’à des non-voyants qui auront plus de mal à désigner précisément des zones et il peut être utilisé avec un dispositif auditif pour amplifier le son. On peut aussi prendre des photos de produits dont la forme sera reconnue. Un autre service s’adressant aussi aux personnes ayant un handicap visuel, celui de la start-up californienne Aira.io, recourt à des lunettes connectées. Ici ce sont les Google Glass, ou les Vuzit, qui sont reliées via un smartphone à un centre téléphonique où des opérateurs répondent en temps réel aux questions des utilisateurs sur ce qu’ils voient, notamment dans les lieux publics : tel magasin est-il ouvert, tel produit correspond-il à ce que je cherche, etc. Une plateforme cloud récupère les flux d'informations venant des caméras, GPS et autres dispositifs connectés.

Des services de sécurité pour authentifier les utilisateurs

Beaucoup plus simplement, certains services recourent aux SMS pour échanger des informations avec les utilisateurs. C’est le cas aux Etats-Unis de Taxfyle qui met en contact des personnes souhaitant utiliser les services de consultants pour déclarer leurs impôts. Intuit vient de présenter un service équivalent dénommé Tada. Dans un autre domaine, Honda et Visa proposent un service pour se garer et payer son parking depuis son véhicule ou régler sa pizza et se la faire apporter sans sortir de la voiture.

Ted Drake a également évoqué une série de logiciels et produits de sécurité. Outre Google Authentificator qui permet une authentification à double facteur, il a évoqué les produits des start-ups Authenteq et Offla. Le premier est une plateforme de vérification d’identité qui permet de certifier l’authenticité des acheteurs et des vendeurs sur des places de marché. La deuxième vérifie l’identité des utilisateurs. A cette liste de solutions, Ted Drake n’a pas manqué d’ajouter l’ordinateur tout en un Sprout de HP, qui associe un écran plat tactile à une surface virtuelle de travail de 20 pouces sur le bureau. Sa caméra 3D lui permet de numériser des objets en 3D et de disposer en permanence d’un outil de numérisation pour agrandir les documents.

La Wells Fargo déploie JAWS dans ses agences

Certaines entreprises sont sensibilisées depuis de très nombreuses années aux problématiques d'accessibilité. IBM en fait partie et constitue l’un des porte-flambeaux dans la lutte pour réduire les entraves à l’utilisation des outils informatiques et des sites web. Frances West, Chief Accessibility Officer d’IBM, a rappelé lors du séminaire du G3ict les actions entreprises par big blue depuis 1914 (et le recrutement par la firme du premier scientifique non-voyant) pour adapter le poste de travail de ses collaborateurs handicapés. Au cours des années, de nombreuses technologies ont ainsi été développées par IBM pour un usage interne avant d’être commercialisées : machine à écrire en braille, reconnaissance de la parole avec Via Voice, lecteur d’écran pour assister les mal-voyants ou solutions de text to speech.

La première génération de screen reader a été mise au point au sein d’IBM Research par la Japonaise Chieko Asakawa, diplômée en sciences informatiques. Aujourd’hui, l’un des screens readers les plus populaires est par ailleurs JAWS, produit par Freedom Scientific pour les applications Windows, également présent sur le séminaire du G3ict. Matt Ader, vice-président, responsable des services pour la société, a notamment expliqué que sur les 6 300 agences de la Wells Fargo, aux Etats-Unis, 1 900 étaient équipés d'un poste sous Windows 7 en accès public équipé de JAWS. Les autres doivent être mis à jour cette année.

Des outils disponibles sur Bluemix pour tester l’accessibilité numérique

France West, de son côté, a souligné la nécessité de faire converger vers l’accessibilité l’ensemble des technologies qui se combinent actuellement entre elles : web, mobile, médias sociaux, IoT et cloud. Aujourd’hui, les développements d’IBM se renforcent du côté des technologies cognitives avec une plateforme comme Watson, avec de nombreuses API mises à disposition dans le cloud (pour la traduction, le text to speech, etc.) pouvant être intégrées dans des applications de toutes natures pour personnaliser l'expérience utilisateur. Parallèlement, ces dernières années, l’accélération de la stratégie d’acquisitions d’IBM a conduit la firme à racheter des produits qui ne prenaient pas en compte l’accessibilité numérique, auxquels elle doit maintenant appliquer les exigences qu’elle s’impose à elle-même.

Des outils, disponibles sur le cloud Bluemix, permettent de tester la compatibilité des logiciels développés. Parmi les solutions rachetées par IBM, Tealeaf permet de capturer les interactions des visiteurs sur les sites web et de voir à quels endroits de leur parcours ils ont buté. Cette plateforme peut suivre l’expérience utilisateur pour comprendre les échecs rencontrés par les internautes dans divers contextes : e-commerce, marketing, service au client, développement et design, conformité administrative. Il y a deux ans, Tealeaf Customer Experience a intégré les fonctions d’accessibilité d’IBM Research pour créer de meilleures expériences pour les personnes ayant un handicap visuel, auditif, physique ou cognitif : réglage du contraste des couleurs pour les mal-voyants, vérification des textes alternatifs et des emplacements pour les screens readers…

Suivre les programmes mis en place par les banques

En conclusion du séminaire, James Thurston, vice-président responsable de la stratégie mondiale au G3ict et Gita Esmieu, directrice de programme de G3ict, ont indiqué que leur organisation avait créé un service d’informations sur les politiques d’accessibilité mises en place par les administration et le secteur des services financiers au niveau mondial. L’abonnement à ce service annuel, à la recherche quotidienne de nouveautés, a été lancé avec Dow Jones Factiva. Il comporte des mises à jour mensuelles, l’accès à des conférences téléphoniques trimestrielles et à un séminaire annuel, ainsi qu’à la base de recherche du G3ict. L'édition de mois-ci met en avant les cas de Westpac, Bank of Beijing et Taiwan Bank.