Lors d'un symposium sur la technologie organisé par le Crédit Suisse, Tony Myerson a reconnu l'existence du gouffre qui existe entre les taux d'adoption des dernières versions de Windows par le grand public et par les entreprises. Ancien responsable de l'équipe en charge de Windows Phone, c'est lui qui gère désormais le développement de tous les systèmes d'exploitation de Microsoft. « L'expérience nous montre que ces deux types de clients ont vraiment des besoins divergents. De fait, il peut être nécessaire de s'adresser à elles à des moments différents et de façons distinctes, indique-t-il.  Windows 8.1 et Windows 8.1 Pro sont sortis en même temps et, encore aujourd'hui, je ne suis pas sûr que ça ait été la meilleure façon de procéder avec le grand public. Mais c'est peut-être la bonne façon de continuer à servir le marché des entreprises », conclut-il.

Ce commentaire de Tony Myerson semble annoncer le retour de Microsoft à une tactique utilisée au début des années 2000, avant l'arrivée de XP en 2001, quand il livrait ses produits grand public et professionnels sous des appellations et dans des délais différents. Microsoft avait, par exemple, sortis Windows 2000 pour les entreprises et Millenium pour le grand public. Avant ça, il y avait eu Windows 95, un OS destiné au marché BtoC mais largement utilisé par les sociétés alors que Microsoft leur destinait en réalité Windows NT 4.0 lancé en 1996.

L'écart entre les taux d'adoption des versions de Windows par le grand public et par les entreprises s'est accentué l'année dernière quand Microsoft a annoncé l'accélération du développement de son OS et modifié l'agenda des sorties. La firme de Redmond n'a d'ailleurs pas tardé à joindre le geste à la parole : Windows 8.1 est sorti tout juste un an après Windows 8.

Des entreprises préoccupées par l'accélération du rythme des mises à jour

Pour les analystes, les entreprises sont devenues méfiantes suite à l'accélération du rythme des mises à jour. En général, elles sont beaucoup plus prudentes que le grand public quant à l'adoption des nouvelles versions de Windows. Contrairement à lui, elles doivent dépenser des milliers d'euros, voire des millions, pour effectuer leur migration et s'assurer que l'ensemble de leurs applications fonctionnent avec le dernier système d'exploitation. À défaut, elles doivent tout repenser. Cette prudence explique pourquoi Windows XP est resté leader sur le marché BtoB pendant une décennie et pourquoi les entreprises le remplacent par Seven et non par les versions 8 ou 8.1 de Windows.

« Il est extrêmement difficile de servir deux maitres à la fois, le grand public et les entreprises », explique Patrick Moorhead. L'analyste principale chez Moor Insights & Strategy poursuit, « personne n'a encore réussi à être bon à la fois sur le BtoB et le BtoC. Les deux ont des cycles totalement différents ».

En octobre, Steve Ballmer, le CEO démissionnaire de Microsoft, a rejeté les préoccupations des entreprises sur l'accélération du rythme des mises à jour lors d'une conférence de Gartner parrainée par l'éditeur. Quand l'analyste David Cearley lui a fait remarquer que « les organisations sont préoccupées par ces cadences de sorties accélérées », il a secoué la tête. « Permettez-moi de dire '' non pas vraiment'' » a lâché ensuite Steve Ballmer. « Si nos clients doivent se fournir des DVD auprès de nous, les installer et ensuite développer leurs logiciels clients, vous nous dites '' ne le mettez pas à jour trop souvent... deux ou trois ans c'est parfait''. En revanche, si on délivre quelque chose sous la forme d'un service, comme nous le faisons avec Office 365, les consommateurs nous demandent ''nous voulons être à jour à tout moment" », a-t-il expliqué.

Michael Silver, un autre analyste de Gartner, a contredit l'affirmation de Steve Ballmer : « les entreprises ont besoin d'avoir peur de ce qui est à venir ». « Si elles suivent ce rythme accéléré de mise à jour, Microsoft va en faire ce qu'il veut ou les écraser », argumente-t-il.

Différencier les rythmes mais pas les ralentir

L'indice laissé par Tony Myerson au sujet de la différenciation des rythmes des mises à jour peut être un rejet de l'affirmation de M.Ballmer, ou pas. Sa déclaration, « c'est peut-être la bonne façon de continuer à servir le marché des entreprises », pourrait laisser penser que Microsoft va maintenir un rythme accéléré pour les mises à jour professionnelles de Windows. Plus rapide, en tout cas, qu'un renouvellement tous les 3 ans auxquelles elles étaient habituées. Sur le marché BtoC, il devrait en revanche devenir encore plus rapide.

« Le grand dilemme stratégique de Microsoft est de savoir si c'est une société qui s'adresse au marché BtoB, au marché BtoC, ou aux deux », explique Patrick Moorhead. « Il doit y avoir une distinction nette entre ces orientations », conclut-il. Selon Myerson, cette séparation pourrait se faire à travers une stratégie grand public et professionnelle bien différenciée autour de Windows.