Voilà six ans qu’Oracle a entamé une action en justice contre Google, affirmant que le géant de la recherche doit s’acquitter de droits de licence pour utiliser certains éléments de la plate-forme Java dans son OS mobile Android. Le premier procès a eu lieu en 2012, mais le jury n’a pas pu trancher sur la question cruciale : savoir si l’usage de Java par Google pouvait être considéré comme un « usage loyal », un « fair use », qui autorise la copie dans certaines circonstances. Pour statuer sur la question, les protagonistes ont été renvoyés devant le tribunal du district fédéral de San Francisco. Un nouveau procès doit démarrer le 9 mai. Comme pour le procès précédent, plusieurs témoins de premier plan sont attendus à la barre, dont Larry Ellison, le CEO d’Oracle, et Eric Schmidt, le CEO de Google.

Le montant des dommages et intérêts apparaît dans un rapport établi par un expert recruté par Oracle pour calculer la somme que doit payer Google pour son infraction présumée. Mais ce montant pourrait être revu à la baisse avant le début du procès. Il faut dire que, depuis le dernier procès, Oracle a multiplié par 10 la valeur du dommage. Cette augmentation reflète la popularité exponentielle d’Android et la croissance spectaculaire du marché des smartphones entre 2012 et aujourd’hui. Le prochain procès prendra en compte les six dernières versions d'Android, jusqu'à Lollipop. Pour remettre ce montant de 9,3 milliards de dollars dans son contexte, il faut rappeler que la société mère de Google, Alphabet, a réalisé 4,9 milliards de dollars de bénéficies au dernier trimestre fiscal.

Extrait du document contenant les estimations faites par l’expert d’Oracle, James Malackowski (source : Oracle/IDGNS).

 

Le propre expert de Google, qui a établi le chiffrage des dommages subis par Oracle, arrive à une estimation beaucoup moins élevée. Celle-ci n’a pas encore été rendue publique, mais un document déposé la semaine dernière par Oracle laisse entendre que Google a plafonné une partie des dommages-intérêts à 100 millions de dollars. Quand les estimations de chaque partie sont à ce point éloignées l’une de l’autre, il arrive souvent que le jury se prononce sur un chiffre intermédiaire. Google n'a pas répondu à une demande de commentaires de notre confrère d’IDG NS, et une porte-parole d'Oracle a refusé de commenter. Ce procès devra se prononcer sur la décision de Google d'utiliser Java comme base pour son système d'exploitation Android sans obtenir de licence auprès de Sun.

Dans le premier procès, un jury a déclaré que Google avait enfreint le droit d'auteur d'Oracle en recopiant dans Android la « structure, la séquence et l'organisation » de 37 API Java. Mais, dans un second temps, le juge William Alsup a estimé que les API n’étaient pas couvertes par le droit d'auteur américain, infligeant un sérieux revers à la demande d'Oracle. Décision ensuite elle-même invalidée par une cour d'appel. Google a bien tenté d’impliquer la Cour suprême, mais celle-ci a jugé sa demande irrecevable. L’affaire revient donc à nouveau devant le juge William Alsup pour reposer la question du « fair use ».

 

Selon la version d’Oracle, Google avait entamé une course contre la montre pour faire en sorte que son système d'exploitation arrive sur le marché avant les plates-formes concurrentes. Le géant de la recherche aurait mis son dévolu sur Java, parce que ce langage était déjà utilisé par des millions de programmeurs. De son côté, Google nie toute malversation. L’entreprise californienne affirme que son utilisation de Java est couverte par la notion « d’usage équitable », qui permet la copie dans des situations bien définies. Notamment, quand l’usage de l'œuvre protégée est innovant, c’est-à-dire quand elle est transformée en quelque chose de nouveau. Entrent également en ligne de compte la quantité de code original copié et l'impact de la copie sur la valeur marchande de l'œuvre originale.

L'estimation des dommages par l'expert d’Oracle, James Malackowski, comprend deux parties : 475 millions de dollars pour les dommages subis par Oracle, et 8,8 milliards de dollars pour les bénéfices réalisés par Google. Le premier montant est une estimation des revenus qu’Oracle aurait pu engranger en vendant lui-même une licence Java aux fabricants de terminaux mobiles, si Google n'avait pas développé Android. Le second montant est une estimation des bénéfices réalisés par Google grâce à Android, y compris la publicité mobile et la vente d’applications et de contenus par le biais de l’Android Market et de Google Play. Dans un document déposé au tribunal la semaine dernière, Google conteste vivement le rapport de l’expert d’Oracle, James Malackowski, et le géant de la recherche demande explicitement au juge William Alsup de rejeter certains de ces éléments pour le procès, affirmant que ce document « ignore les limites légales des dommages applicables en matière de droit d'auteur et que cette estimation n’est en rien assimilable à une analyse d'expert ».

 

Selon les lois sur le droit d'auteur, les dommages-intérêts ne peuvent concerner que les bénéfices « imputables au code qui transgresse ce droit ». Or, les 37 API ne représentent « qu’une fraction de pourcentage du code complexe de la plate-forme Android », ont fait valoir les avocats de Google. « Oracle et son expert n’ont pas bien estimé la valeur des 37 API par rapport à l'ensemble de la plateforme Android », a ajouté Google. Les deux parties se présenteront devant le juge le 27 avril pour une audience préliminaire.