Les opinions des analystes divergent sur l'impact que l'acquisition de Motorola Mobility, annoncée hier par Google, va avoir sur la dynamique entre l'OS maison Android et le système d'exploitation iOS d'Apple. Pour Brian White, par exemple, analyste de Wall Street pour Ticonderoga Securities, ce rachat montre que Google a besoin de se calquer sur Apple qui contrôle la plateforme iOS de haut en bas. « Il y a une tendance dans d'autres secteurs de la IT qui s'oriente vers le contrôle conjoint du matériel et du logiciel », a-t-il confié hier à nos confrères de Computerworld en ajoutant que l'initiative de Google validait ce modèle mis en oeuvre par Apple. Dans une note à des clients, Brian White a estimé que cette transaction illustrait la préoccupation de Google de concurrencer Apple sur le long terme.

Google rachète Motorola Mobility pour 12,5 milliards de dollars et, sous réserve que les actionnaires et les autorités de régulation approuvent la transaction, celle-ci sera effective fin 2011 ou début 2012. La société rachetée continuera à fonctionner comme une entité séparée.

Dans un communiqué, le PDG de Google, Larry Page, a indiqué que cette acquisition allait doper l'écosystème Android tout entier. Mais l'analyste Brian White, qui suit l'activité d'Apple et  non celle de Google, y voit la confirmation qu'Android peut rencontrer des problèmes à long terme face à Apple et à son iOS, à la fois sur les aspects technologiques, mais aussi du côté judiciaire. Depuis un an, le système d'exploitation mobile de Google est attaqué pour violation de brevets par Oracle et plusieurs fabricants de terminaux sous Android ont été pris à partie par Apple, parmi lesquels Motorola, Samsung et HTC. A cela s'ajoute le récent rachat de brevets par un groupe d'acteurs parmi lesquels figurent notamment Apple et Microsoft, ce qui fait craindre d'autres plaintes.

Contrôler d'un bout à l'autre ce qu'il offre à ses utilisateurs

Avec l'appui de Motorola Mobility, Google ne possèdera pas seulement un OS mobile, mais disposera aussi d'un fabricant de smartphones pour produire ses terminaux selon ses spécifications, dupliquant ce faisant l'approche d'Apple. Cela permettra à Google de contrôler d'un bout à l'autre les fonctions offertes à l'utilisateur, comme Apple le fait, insiste Brian White. Il ajoute que les autres constructeurs de smartphones ne peuvent pas se réjouir de ce rachat, même si Google affirme qu'il continuera à travailler de la même façon avec les autres fournisseurs de téléphones sous Android. « Je ne suis pas d'accord, assène l'analyste. Ils vont principalement concurrencer Google. Le Nexus était une chose [il ne s'agissait que d'un téléphone qui, à son avis, n'offrait pas de fonctionnalités extraordinaires], Motorola, avec 10,6 millions de téléphones par trimestre, c'est tout autre chose. Avec le Nexus, Google n'était pas à l'échelle d'un Apple. Maintenant, il l'est ».

D'autres analystes ont un avis différent sur ce sujet. Ainsi Ezra Gottheil, de Technology Business Research, qui de son côté suit à la fois Apple et Android. « Google pourrait être tenté de produire un super smartphone Android, mais il va résister à cette tentation », juge-t-il. « Il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle Google voudra secouer le navire », ajoute-t-il en pointant le succès des téléphones Android. Il reconnaît qu'il y a là une tentation, mais « son activité principale ne lui permettra pas de le faire. Les terminaux sous Android et même les tablettes constituent une affaire florissante qui fait rentrer de l'argent dans les caisses. Google ne veut pas pousser les fabricants OEM dans les bras de Microsoft. »

Les brevets : élément clé du rachat

Les experts s'accordent sur le fait que l'acquisition de Motorola, qui va apporter aussi un énorme portefeuille de brevets à Google, met ce dernier dans une meilleure position pour affronter Apple devant les tribunaux. La firme à la pomme n'est pas tendre lorsqu'il s'agit de défendre son pré-carré. Samsung a pu récemment le vérifier avec sa Galaxy Tab, provisoirement interdite de vente dans une partie de l'Europe.

Larry Page a d'ailleurs confirmé dans un billet que l'acquisition de Motorola allait renforcer le portefeuille de brevets de sa société pour l'aider à mieux protéger Android des menaces anti-concurrentielles de Microsoft, d'Apple et d'autres encore. Hier, à l'occasion d'une conférence téléphonique, David Drummond, responsable juridique de Google, a réitéré les propos qu'il avait tenus il y a deux semaines contre Apple qui, estime-t-il, mène une campagne hostile et organisée contre Android en utilisant des brevets « bidons ».

Florian Muller, spécialiste allemand de ces questions, considère effectivement que les brevets représentent l'une des raisons du rachat (rappelons que Google a offert 63% de bonus sur le cours de l'action Motorola Mobility par rapport à la clôture de vendredi dernier). Il y met toutefois un bémol. Il est évident que le montant de l'acquisition est en partie lié aux brevets ainsi récupérés, mais à un moindre degré que ce pensent la plupart des observateurs, estime-t-il pour sa part (cf son billet sur le blog FOSS Patents).

Ezra Gottheil, lui, affirme au contraire que les brevets ont constitué la raison principale de la transaction, estimant que cela aide Google à rassurer ceux qui lui achètent des licences en leur montrant qu'il joue lui aussi le jeu des brevets. L'analyste de Technology Business Research considère que cela va les aider mutuellement.

Apple doit-il s'inquiéter, au-delà de l'iPhone et de l'iPad ?

Finalement, deux des trois analystes interrogés par Computerworld jugent que l'acquisition va au-delà de la possession de brevets et que l'impact de la transaction aura une portée considérable. Pour Florian Muller, il s'agit d'un rachat qui va fondamentalement changer le modèle économique de l'activité Android de Google. « Le prix payé ne reflète pas la valeur de Motorola Mobility en tant qu'activité indépendante : c'est le genre de prix que paye un acquéreur stratégique qui prévoit d'utiliser son acquisition comme un levier pour son coeur de métier », analyse-t-il.

Brian White le pense aussi, tablant que la bataille à l'extérieur des tribunaux est ce qu'il y a de plus important dans cette affaire. Pour lui, Google semble dire : « Nous avons peur de ce qu'Apple devient et ce dont nous avons besoin, c'est d'une plateforme matérielle ». Au cours du dernier trimestre, le fabricant de l'iPhone est devenu le premier vendeur de smartphones au monde.

Et quel impact direct ce rachat peut-il avoir sur Apple ? Est-ce que cela doit l'effrayer ? « Non, considère Ezra Gottheil. Tout au moins pas pour l'iPhone et l'iPad. Mais Apple pourrait se demander si cela ne risque pas d'affecter ses prochains projets importants, tels que les décodeurs intégrant les mobiles et les PC grand public avec les téléviseurs. » En se hâtant d'ajouter qu'il ne pensait pas qu'Apple baisserait sa garde de ce côté-là.

Crédit illustration : Nick Barber, IDGNS Boston