L'optimisation du parcours de soins grâce au numérique a été le thème central des Quatrièmes Assises des Technologies Numériques de Santé qui se sont déroulées le jeudi 17 janvier à la Maison de la Chimie, à Paris, sur l'initiative du cabinet Aromates. Loin des constats d'échecs ou de résistances du secteur au changement numérique, ce colloque s'est centré sur les attentes des patients et les potentialités techniques pour y répondre. Ces potentialités ont des impacts non seulement thérapeutiques mais aussi économiques. Le modèle économique du médicament comme de l'ensemble des actes de soins pourrait même être transformé par l'irruption du numérique. Ironiquement, Valérie Boyer, députée UMP des Bouches-du-Rhône depuis 2007 et ancienne cadre de la Sécurité Sociale, devait présider cette manifestation mais s'est excusée pour raison de santé.

Jean-Michel Billaut, lui, se définit comme un « impatient numérique ». Le président-fondateur de l'atelier BNP Paribas est aujourd'hui un blogueur et un retraité. En mai 2009, il a été victime d'une ischémie aigüe prise en charge dans des conditions catastrophiques. Une de ses jambes a dû être amputée. Pour lui, l'organisation de la santé est en silos comme jadis d'autres secteurs économiques. Et ceux-là se sont retrouvés dynamités par l'arrivée du numérique et du nombre d'initiatives modernes. Par exemple, Amazon a bousculé des acteurs comme Virgin Megastore. « Les innovations de rupture ne viennent en général pas des acteurs établis mais de start-up fondées par des inconnus » note-t-il.

L'émergence de la personnalisation électronique de la santé

Ce qui est en train d'arriver, c'est la e-santé individuelle. Le patient utilise déjà des applications mobiles pour accompagner son suivi médical. Les laboratoires pharmaceutiques peuvent appuyer le mouvement. Le laboratoire Sanofi a ainsi développé un gadget qui se connecte à un iPhone pour mesurer à tout moment la glycémie des clients diabétiques. Ceux-ci peuvent ainsi s'injecter les bonnes doses d'insuline fournie par Sanofi, avec un suivi dans le temps. Un patient passionné de technologies a réalisé une vidéo pour promouvoir ce gadget à l'attention des autres diabétiques, vidéo trouvée sur YouTube par le laboratoire pharmaceutique lors de sa veille courante.

Mais de telles applications envoient en général les données chez Google ou d'autres entreprises, souvent américaines. Jean-Michel Billaut dénonce : « les élites françaises réagissent en défense : face au Cloud qui marchait, on a créé un Cloud souverain mais on n'a pas l'idée de créer les premiers un service Cloud ». Le développement de la santé à domicile, avec de la télémédecine présuppose des investissements considérables en infrastructures, notamment de réseaux très hauts débits. Or les personnes ayant le plus de besoins sont celles qui sont aussi les plus isolées, dans les campagnes. 

Selon Jean-Michel Billaut, câbler en fibre optique les campagnes rencontre un succès bien plus grand (80% des prises posées débouchent sur un abonnement) qu'en ville (10% de souscription) où l'ADSL suffit. Quant à la prise du pouvoir par le patient, c'est un fait : il note les médecins, il commente les médicaments... Au final, selon Jean-Michel Billaut, « 90% des cas pourront être traités sans médecins, ce qui tombe bien puisqu'il n'y a plus de médecins ».

Des médecins méfiants face à la traçabilité 

« Quand j'ai arrêté l'urologie il y a cinq ans, je n'avais pas d'ordinateur dans mon box de consultation à l'AP-HP » se souvient Laurent Alexandre. Ce médecin a fondé Doctissimo avant de le revendre au groupe Lagardère. Il a pu constater le décalage entre la maturité du grand public et des professionnels. Laurent Alexandre a dénoncé l'incohérence et la confusion voire les erreurs d'objectifs de l'informatisation de la santé : « souvenez-vous du discours de Philippe Douste-Blazy [alors ministre de la santé, NDLR] annonçant des économies de milliards alors que tous les experts annonçaient des dépenses croissantes ».

Outre le fait que les médecins ne sont que rarement des geeks, les thérapeutes ont de bonnes raisons de se méfier : la traçabilité des opérations, aisée en numérique et quasi-impossible sur le papier, facilite aussi la poursuite judiciaire ou disciplinaire de manquements professionnels. Selon Laurent Alexandre, « l'informatisation de la santé n'est nulle part une réussite, même aux Etats-Unis, et fut parfois un réel échec comme en Grande Bretagne, ce qui prouve que ce n'est pas facile ».

En parallèle, les progrès technologiques de la médecine reposent largement sur une importante puissance de calcul associée à la génomique : le séquençage ADN devient facile et rapide grâce à la nouvelle informatique et il permet des traitements personnalisés. « Pour la première fois de l'histoire, un médecin ne pourra plus soigner avec sa b ... et son couteau : il aura besoin de l'informatique de puissance, de nouveaux prestataires avec un transfert économique des anciens vers les nouveaux acteurs » prédit Laurent Alexandre.