Pour SAP, les accès indirects n'existent pas. Mais ils vont juste coûter 64 millions d'euros à Diageo suite à une décision judiciaire obtenue récemment en Grande Bretagne. Le propriétaire des marques de vodka Smirnoff et de bière Guinness, entre autres, est ainsi victime de l'accès aux données gérées dans SAP par d'autres logiciels qui, selon l'éditeur et la justice britannique, doivent disposer d'autant de licences que ces autres logiciels disposent d'utilisateurs. Pour l'association des Utilisateurs SAP Francophones (USF), c'est un casus belli. Et, comme à l'époque de la Guerre de la Maintenance, une mobilisation internationale des clients de l'éditeur se profile.

Dans un communiqué, l'USF multiplie les images issues de l'antiquité. Cette victoire judiciaire serait « à la Pyrrhus » car elle fait peser sur les clients et prospects « une épée de Damoclès » et, du coup, des projets SAP pourraient être annulés et le PGI restreint à des fonctions comptables, écartés des projets à forte valeur ajoutée autour de l'expérience client où les interactions entre logiciels sont fondamentales.

De la guerre froide au conflit ouvert

« L'USF a été, il y a déjà plusieurs années, l'un des tous premiers clubs utilisateurs SAP dans le monde à tirer le signal d'alarme sur les accès indirects » a rappelé Claude Molly-Mitton, Président de l'USF. Patrick Geai, Vice-Président de l'USF et Président de la Commission pratiques commerciales avec SAP, a complété : « Nous assistons depuis plusieurs années à une recrudescence des alertes d'utilisateurs SAP, dont 90% s'estimaient insatisfaits sur la clarté du descriptif des accès indirects lors de notre dernière enquête de satisfaction fin 2016. L'USF a également déjà alerté à de nombreuses reprises l'éditeur sur la forte insatisfaction des clients suite aux audits de licences. En février 2016, l'USF a d'ailleurs lancé un Groupe de Travail, conjointement avec le CIGREF, sur les audits de licences SAP. Un livre blanc est prévu sur ce sujet en juin 2017 ».

Cette question des accès indirects est pourtant loin d'appartenir au passé, même si une certaine clarification avait été apportée par l'éditeur lors de la dernière convention de l'USF. Une sorte de paix armée ou de guerre froide demeurait entre l'éditeur et ses clients. Et le conflit vient sérieusement de se réchauffer même si l'USF reconnaît que le cas particulier de Diageo prend place dans un contexte contractuel ancien et particulier. « Dans ce contexte, cette affaire donne toutefois une caisse de résonance majeure à un problème que l'USF a été longtemps bien seule à dénoncer, mais aussi, espérons-le, poussera SAP à clarifier publiquement sa position sur le sujet, ce qu'elle n'a jamais fait à ce jour » ont expliqué conjointement Patrick Geai et Claude Molly-Mitton.

Mauvais signal pour les clients

Le signal est clairement mauvais. Pour le président de l'USF, « cette affaire risque de soulever davantage de doutes auprès des clients qui croient avoir réglé un prix définitif pour leurs actifs SAP ». Comment, en effet, expliquer une telle rigidité de l'éditeur dans une affaire où des compromis auraient sans doute pu intervenir ? A plusieurs reprises, l'USF a d'ailleurs déclaré que le principe même de faire payer les « accès indirects » étaient en lui-même inacceptable car les données appartiennent aux entreprises, pas à l'éditeur.

Le club a annoncé avoir sollicité SAP pour une nouvelle discussion qui s'annonce virile. Mais, dans le même temps, la fédération mondiale des responsables de clubs d'utilisateurs SAP, le SUGEN, a été officiellement saisie par l'USF. Le conflit va donc devenir la deuxième guerre mondiale entre l'éditeur SAP et ses clients : après la maintenance, les accès indirects. Comme dans la musique, le jusqu'au-boutisme des ayatollahs de la propriété intellectuelle risque bien d'anéantir les modèles économiques qu'ils défendent. SAP a cependant une chance : son principal concurrent n'est pas meilleur. Microsoft est bien cependant en embuscade avec sa gamme Dynamics, avec de très bonnes relations avec ses utilisateurs. Et les produits open-source, comme ERP5 ou Dolibarr, ne sont pas (encore) à la hauteur faute, notamment, d'installations dans des grands comptes de référence. Pour combien de temps ?