Le Black Friday aura donc finalement lieu le 4 décembre, précédé et non suivi cette année par un cybermonday passé un peu inaperçu. Il suit aussi une réouverture très attendue des magasins physiques. Puis le tout enchaînera sur des fêtes de fin d’année à la fois attendues et en partie confinées. Difficile ainsi pour la filière logistique d’anticiper les effets de ce mois de décembre plus qu’atypique, mais elle est dans les starting-blocks. Et pour cause, elle a connu une année totalement bouleversée. Et derrière un e-commerce plébiscité par les consommateurs depuis le début de la pandémie, elle a déjà tout mis en œuvre pour préparer les commandes, et les livrer en temps et en heure, à domicile, en click and collect, en drive, etc.

La digitalisation, porte de survie

« Tous les acteurs économiques de la vente ont été violemment percutés par le covid-19, insiste Fabien Esnoult, CEO et fondateur de la société de veille et d’open innovation Sprintproject (lire l’encadré). Et plus qu’une porte de sortie, la digitalisation a été une porte de survie pour tous ceux qui ne pouvaient plus vendre physiquement. » Dans la logistique, comme dans les RH avec le télétravail, ceux qui s’en sont le mieux sortis avaient déjà enclenché leur transformation numérique. Les autres n’ont eu d’autres choix que de se lancer. Le Covid-19 a dopé les plans de transformation digitale qui ont gagné plusieurs années sur leur déploiement. « Et avec l’explosion du click-and-collect, du drive, de la livraison à domicile, des points relais, une partie du flux de commerce physique est définitivement perdue, observe Fabien Esnoult. Même si la proportion de e-commerce redescend, elle ne reviendra jamais au niveau d’avant la pandémie. » Ce n’est donc pas pour un pic ponctuel que le secteur s’est préparé, mais un changement à long terme de son activité.

Des pics gérés par une machine logistique ultra industrialisée

Les conséquences de cette explosion des ventes en ligne sur la filière sont lourdes. « La logistique a vécu un Black Friday pendant un an ! résume Fabien Esnoult.» En 2020, ce phénomène qui dure habituellement quelques jours en fin d’année, a commencé dès mars et avril, et perdure malgré des périodes d’accalmie en mai, par exemple. Certains acteurs dans la livraison de petits colis ou la logistique de l’agroalimentaire ont été fortement sollicités.  « En général, en fin d’année, on augmente les plages horaires des centres de tri, les ressources humaines en distribution et on donne un coup de collier, mais là toute l’année est sous pression globale. » Derrière, le tri, la préparation de commandes, des machines très industrialisées, automatisées tournent à plein régime, y compris durant la nuit, à des coûts extrêmement élevés. L’analyse de données sert principalement à l’anticipation des flux, mais elle permet aussi d’optimiser ces outils industriels.

Tous les canaux sous tension

C’est cette industrialisation poussée qui permet les prix très faibles imposés par exemple à la livraison à domicile. Or, tous les canaux ont été mis sous tension « Le drive, par exemple, est difficile à équilibrer financièrement, car il est très gourmand en ressources, précise Fabien Esnoult. Il contraint aussi à choisir un nombre restreint de références (SKU) à proposer au consommateur, car il est impossible d’avoir le même inventaire qu’en magasin. » Mais les pics mettent cette organisation industrialisée à outrance sous pression, autant en matière de ressources humaines que de capacité de traitement et de livraison des commandes. « Avec une telle chaîne sous tension, à saturation, pendant des mois, le moindre grain de sable peut tout faire dérailler, explique le fondateur de Sprint Project. Or, c’est un métier avec beaucoup d’aléas : météo, panne, embouteillage... » Pour lui, la logistique s’est appuyée en 2020 sur des innovations déjà enclenchées auparavant.

Au fil du temps, l’innovation s’est progressivement portée sur les livreurs, la data et les flux et le pilotage de l’activité. Autant de fonctions très sollicitées en 2020. Les entreprises ont par exemple mis en place des tours de contrôle logicielles pour réagir rapidement en cas d’aléa. Si un camion qui transporte 200 colis tombe en panne, l’entreprise dispose instantanément du listing du chargement pour le redispatcher par exemple. La documentation, les factures, les bons de commande sont numérisés et directement transmis en agence, avec la 4G ou un PDA allégé, par exemple. « La gestion des flux de marchandises est déjà maîtrisée depuis longtemps au niveau de la data, même si cela continue d’évoluer, estime Fabien Esnoult. Cela passe autant par des acteurs historiques de la gestion des tournées comme PTV que des startups comme Urbantz . »

"Avec une telle chaîne sous tension, à saturation, pendant des mois, le moindre grain de sable peut tout faire dérailler." Fabien Esnoult, CEO et fondateur de Sprint Project. (Photo DR)

Prochaine étape, l’anticipation des flux

« Ce qui est nouveau dans la logistique, c’est la volonté d’une meilleure anticipation des flux en phase amont, constate Fabien Esnoult. Aujourd’hui, les industriels maîtrisent bien mieux cet aspect que le transport. » L’amélioration du taux de livraison en premier passage est en particulier un sujet central, surtout dans le monde du monocolis, pour des raisons de satisfaction des clients, mais aussi pour désengorger le flux. « Plus ce taux de livraison en premier passage est élevé, plus la chaîne est productive, précise Fabien Esnoult. Et la technologie aide beaucoup de ce côté-là, avec le suivi de livraison, l’information du client, les alertes et les échanges sur le mobile du livreur... » Pour le fondateur de Sprint Project, c’est plus difficile pour la livraison à deux (produits encombrants), qui a qui plus est davantage souffert que la livraison de colis durant la crise. « En monocolis, le moteur tourne, précise-t-il. Dans la livraison à deux, il a démarré, mais il tousse encore. Désormais les tournées sont optimisées et le livreur est tracé, mais la marge de progression est forte. »

Pour Fabien Esnoult, comme pour de nombreux acteurs du secteur, la pandémie a cependant mis en avant des métiers de la logistique qui restaient jusque-là dans l’ombre. « Cette chaîne est totalement invisible, à l’exception du livreur et du colis au moment de la livraison, rappelle-t-il. La pandémie l’aura rendue un peu plus visible. »