La technologie de jumeau numérique est attractive pour les entreprises qui veulent tirer le meilleur parti de leurs actifs physiques. Mais elle intéresse aussi, et de plus en plus, les entreprises qui veulent réaliser l’étude systématique de systèmes complexes, comme les villes intelligentes et les chaînes d'approvisionnement en pétrole et en gaz. L'annonce faite le mois dernier par le Digital Twin Consortium pourrait rendre la technologie de jumeau numérique plus puissante et plus accessible que jamais. Le consortium compte en effet résoudre l'un des problèmes qui entravent le plus le développement de la technologie : l'interopérabilité. Le consortium qui soutient, sous les auspices de l'Object Management Group, le développement de standards ouverts, est supportée par des entreprises comme Microsoft, Dell, Ansys et Lendlease, pour ne citer que celles-là.

Pour simplifier, les jumeaux numériques sont des copies virtuelles d'équipements du monde réel. L'idée est de permettre aux concepteurs, fabricants et opérateurs de ces équipements de transformer des données du monde réel en prévisions et en simulations précises de ce qui pourrait arriver dans divers cas d’usage. La création d'un jumeau numérique implique des physiciens, des mathématiciens et des spécialistes des données qui évaluent la manière dont les forces du monde réel affectent l'équipement simulé. Les systèmes jumelés peuvent être aussi simples qu'un compteur kilométrique de voiture ou aussi compliqués que la modélisation de la circulation dans une ville. Selon Al Velosa, analyste et vice-président de Gartner, « au niveau le plus élevé, le jumeau numérique est un outil de gestion qui permet d'abstraire une couche de complexité des processus de surveillance et de gestion de base des systèmes ». « Peu importe la manière dont les données sur tel objet ou tel processus sont obtenues. L’essentiel, c’est que ces données permettent de prendre de meilleures décisions », a-t-il expliqué. L'instrumentation et les efforts de collecte de données nécessaires au jumeau numérique reposent souvent sur des capteurs et sur l’IoT, et les deux technologies sont étroitement liées.

Monter en complexité

L'an dernier, Gartner a déclaré que, même si peu d'entreprises utilisaient actuellement les jumeaux numériques de manière opérationnelle, près des deux tiers des personnes interrogées avaient l'intention de les utiliser dans un avenir proche. La plupart des premiers jumeaux numériques - la technologie étant encore relativement nouvelle, cela concerne donc la majeure partie des jumeaux numériques utilisés aujourd'hui - sont assez simples. Par exemple, une turbine de parc éolien a son jumeau numérique. Le fabricant peut l’utiliser pour vérifier si la turbine fonctionne correctement, et l'exploitant du parc peut exploiter ce même jumeau numérique à des fins de maintenance. Un système simple, ayant une seule fonction, ne pose pas de problème.

Mais les problèmes apparaissent quand on essaie de regrouper dans le même modèle un grand nombre d'objets. Par exemple un bâtiment intelligent, avec des capteurs environnementaux, des commandes de chauffage, de ventilation et de climatisation, de l'éclairage et des outils de sécurité. La probabilité pour que les différents composants d’un tel système proviennent tous du même fabricant est faible, sans parler des protocoles de réseau interopérables, si bien qu'il peut être extrêmement compliqué de rassembler tous ces systèmes dans un jumeau numérique cohérent pour le bâtiment en question. Selon Paul Miller, analyste senior du cabinet Forrester Research, c’est le principal défi posé aujourd’hui par les jumeaux numériques, et c’est aussi un bon indicateur de l’orientation prise par la technologie. « Nous sommes en train de passer d'un monde où les jumeaux numériques sont petits et spécifiques à chaque entreprise, à un monde de grandes entreprises, impliquant plus de parties prenantes », a-t-il déclaré. « C’est la raison pour laquelle ces nouveaux acteurs ont besoin que certaines de ces normes soient mieux établies », a-t-il ajouté.

Une normalisation nécessaire

C'est là où le Digital Twin Consortium et d'autres organismes de normalisation ont un rôle important à jouer. En élaborant des normes open-source pour les capteurs et autres équipements conçus par de multiples entreprises, et en harmonisant des ensembles transversaux variés, il devient possible de créer des jumeaux numériques plus grands et plus complexes. Selon Richard Soley, directeur exécutif de l'Object Management Group, auquel le Digital Twin Consortium est intégré depuis 1989, une organisation comme le DTC répond à deux objectifs. « D’une part, il encourage l’usage de normes ouvertes dans le développement de jumeaux numériques, et d’autre part, il pousse à adopter la technologie dans le plus grand nombre de marchés possible ».

Mais dans la plupart de ces marchés, qui comprennent les infrastructures, l'aérospatiale et la défense, ainsi que l'exploitation minière, pétrolière et gazière, il existe une résistance bien ancrée, en partie parce que les fournisseurs de ces secteurs verticaux possèdent beaucoup de technologies propriétaires qu'ils veulent protéger. « Il faut prendre le temps de convaincre les fournisseurs en leur expliquant qu'ils pourraient proportionnellement avoir une part plus grande du marché », a encore déclaré Richard Soley. M. Miller pense aussi que les vendeurs seront moins réticents quand ils comprendront clairement qu'on ne leur demande pas de partager des choses qui pourraient révéler leurs secrets commerciaux. « Bien sûr, certains domaines de la propriété intellectuelle doivent demeurer secrets, mais il y a d'autres aspects où le partage ne présente aucun inconvénient », a-t-il ajouté. « Par exemple, la tension générée par une éolienne n'est pas en soi une information sensible ». D’après Al Velosa, étant donné l'identité des principaux bailleurs de fonds, le consortium se concentrera probablement en priorité sur les bâtiments connectés.