La workplace est par définition le lieu du travail. Or, ces dernières années, celui-ci s’est étendu au-delà des murs de l’entreprise, qu’il soit encadré (le télétravail par exemple), gris ou sauvage. Le temps de travail s’est lui aussi parallèlement étendu sur des plages horaires plus grandes. Les projets, engagés par les entreprises et visant à la transformation digitale du lieu de travail, s’illustrent dans ce que l’on nomme la digital workplace. Cette dernière est la promesse de réunir l’ensemble des médias de communication au sein d’une même interface, quel que soit le terminal utilisé (tablette, smartphone, laptop, etc.). L’objectif est bien de favoriser la productivité sans transiger avec l’expérience collaborateur, que ce soit dans son usage inter entreprise ou ses échanges avec ses partenaires, ses fournisseurs, ses clients. D’ailleurs, l’intégration des applications entre elles (28%)* ou avec des applications métiers (27%) arrivent en tête des améliorations souhaitées par les directeurs des systèmes d’informations.

Un sujet identifié, mais parfois mal appréhendé par les dirigeants

Selon la même étude*, seules 7% des entreprises ne mènent aucune action concernant le travail collaboratif : elles sont nombreuses à envisager l’amélioration globale de la qualité des échanges (74%). La mobilité, le télétravail, la gestion de la distance apparaissent comme les principaux moteurs de cette transformation. Si le déploiement des communications unifiées s’est intensifié ces dernières années, leur adoption est à relativiser. Faute d’accompagnement suffisant, les applications sont souvent peu ou mal utilisées. La facilité de déploiement de ces applications n’exonère pas du temps nécessaire à l’apprentissage des bonnes règles d’usages, ou à la découverte des fonctionnalités nouvelles. La formation et l’accompagnement au changement constituent des étapes cruciales, en dépit des efforts réalisés dans l’ergonomie et l’intuitivité de ces nouvelles applications. Avec un UX design fantasmé, les utilisateurs pointent du doigt l’interface et plébiscitent (49%)* une simplicité d’utilisation comme critère prioritaire de choix (hors le critère prix). L’accessibilité, quel que soit le terminal, arrivant en second, avec 26%.

Usage et dépendance

Avec la virtualisation de l’environnement de travail, les frontières du bureau se sont effacées. Le travail n’est plus le lieu, et l’activité et le temps se sont fragmentés en de nombreux moments. Les collaborateurs font aussi face à un flux permanent d’informations, mais la pression du temps réel pèse sur eux ; et l’immédiateté est devenue la règle. L’email, média asynchrone par excellence, tend à devenir un média synchrone, du fait conjugué de l’injonction sociale à répondre immédiatement (la norme de disponibilité) et à l’angoisse de rater une information.

En 2018, le nombre total d’e-mails envoyés et reçus par jour dépassait les 281 milliards dans le monde, Radicati Group** prévoyant 333 milliards d’e-mails en 2022. Pourtant si les collaborateurs se plaignent d'en recevoir trop, d’être exposés à une surcharge informationnelle (quatre salariés sur dix estimant qu’ils reçoivent trop d’informations selon le cabinet Eleas***), ils ne supportent pas plus de ne pas être associés aux différents échanges : la peur de ne pas être dans la boucle, de rater une information. Ils consultent ainsi de manière compulsive leurs boites emails, créant eux-mêmes l’interruption de leur travail. D’après Pegasystems****, les utilisateurs consultent en moyenne leurs e-mails 10 fois par heure, soit toutes les 6 minutes ; ils passent 13 % de leur temps à gérer leur boîte de messagerie, dont 23 % seulement à exécuter des tâches à valeur ajoutée.

Les sollicitations multiples

A ce flux s’ajoutent les différentes notifications en provenance des médias sociaux, des solutions de collaboration externes à l’entreprise (shadow IT), mais aussi les SMS, etc. Ces sollicitations multiples provenant de différents médias, qui se manifestent sur tous les devices, plaident en faveur d’un outil unifié et sécurisé. D’ailleurs, le temps nécessaire pour se re-concentrer est lui aussi à prendre en considération. « Le temps perdu à cause de l'interruption d'une tâche est supérieur au temps de l'interruption » ; dans son ouvrage "Executive Behavior", l’économiste suédois Sune Carlson expliquait aussi qu'un «travail réalisé en continu prend moins de temps et d'énergie que lorsqu'il est réalisé en plusieurs fois». Ce risque de l’hyperconnectivité mal organisée mène à la dispersion et la perte d'attention, à la baisse des facultés de concentration et finalement à la baisse de la productivité individuelle.

L’évolution des organisations va définitivement peser sur la définition de la digital workplace. L’outil en soi apporte une solution crédible aux besoins nouveaux de collaboration. Les dérives constatées, les détournements de la fonction initiale de ces mêmes outils sont le plus souvent le fait de l’utilisateur, parce qu’il est mal formé ou qu’il subit la nouvelle tyrannie de l’immédiateté. Si collaborer est un nouvel impératif, comme nous le rappelle Pascal Ughetto*****, des règles du jeu claires doivent être édictées. La collaboration ne se décrète pas par la mise à disposition d’outils performants ; le collaborateur doit aussi être mieux accompagné dans sa transformation digitale, et c‘est le rôle dévolu à l’encadrement.

Notes

* Enquête IDC “Modernisation du Workplace. Etat des lieux et attentes en matière d’outils collaboratifs et de communications unifiées.“ Janvier 2019. Répondants : 103 DSI d’entreprises du secteur privé d’un effectif d’au moins 500 personnes consultées.
** The Radicati Group, Inc. “Email Statistics Report, 2018-2022“. March 2018
*** Enquête OpinionWay pour Eléas “L'impact des outils numériques professionnels sur les salariés.“ Interviews réalisées entre les 16 et 23 octobre 2018 auprès de 1010 salariés travaillant dans un bureau pour une entreprise privée ou publique.
**** Pegasystems “Demystifying the desktop What workforce intelligence reveals about technology and employee productivity.” September 2018 .
***** UGHETTO, P. 2018. Organiser l’autonomie au Travail, fyp.