S'il ne fait guère de doutes que les députés français adopteront, dans quelques jours, le principe de la riposte graduée, ils ne le feront pas avec la bénédiction des parlementaires européens. Ces derniers ont, hier, adopté à une très large majorité un rapport, présenté par le Grec Stavros Lanbrinidis, consacré au renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet. Comme ils l'avaient fait en approuvant le désormais célèbre amendement 138, les eurodéputés ont une nouvelle fois exprimé leur opposition à la riposte graduée, pierre angulaire du projet de loi Création et Internet. En partant du principe que « l'analphabétisme informatique sera l'analphabétisme du 21e siècle », le rapport plébiscité par les élus de Strasbourg (481 voix pour, 25 contre, 21 abstentions) pose le principe que « garantir l'accès de tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation ». Par conséquent, « un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées ». Hadopi torpillée, la droite française résiste vainement Nul besoin de savante exégèse pour lire dans cette dernière phrase une attaque à peine dissimulée contre la mesure phare de la loi dite Hadopi : selon les dispositions du texte concocté par le ministère de la Culture, les internautes déclarés coupables de téléchargement illégal pourront être condamnés à voir leur abonnement à Internet suspendu pour une durée d'un an. Soucieux de ne pas voir le projet de loi français ainsi torpillé par les eurodéputés - certes dans le cadre d'un rapport constituant une proposition de recommandation à l'intention du Conseil européen, donc sans valeur contraignante - les représentants de la majorité présidentielles ont bien tenté d'amoindrir l'intensité du feu tiré contre la riposte graduée. Par l'intermédiaire de Jacques Toubon et de Jean-Marie Cavada, la droite française a ainsi déposé un amendement substituant à « [l'accès à Internet] ne devrait pas être refusé comme une sanction] » l'expression « un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux garantis en droit communautaire doit être respecté ». Peine perdue, le codicille n'a guère convaincu et s'est vu rejeté. Les détracteurs de la riposte graduée jubilent, la rue de Valois relativise Si les hagiographes d'Hadopi ont de quoi se lamenter, ses contempteurs se réjouissent. Le parlementaire européen Guy Bono, infatigable adversaire de la riposte graduée, estime ainsi que « malgré les pressions multiples exercées par l'UMP et les autorités françaises, les députés européens sont restés sur leur ligne : l'accès à Internet est un droit fondamental pour l'inclusion sociale. » Le discours des Verts est de la même teneur : « Ce vote illustre combien la loi Hadopi est néo-obscurantiste. Christine Albanel sacrifie la fertile liberté d'Internet qui profite à tous aux intérêts de quelques entreprises du disque. Albanel a choisi son camp : celui des entreprises, pas des citoyens. » De son côté, la Quadrature du Net adopte un ton cassant en affirmant que « le vote du rapport Lambrinidis est un véritable camouflet pour Christine Albanel, qui ne doit plus tenir debout tant l'opposition à son texte, quasi-unanime, pèse lourd. » Dans la rue de Valois, nul n'a cependant entendu retentir le glas. La loi Création et Internet reste plus que jamais d'actualité, précise le ministère de la Culture, qui ne veut pas voir dans le vote des parlementaires européens un coup d'arrêt à la riposte graduée. Ce vote « porte sur un rapport sans portée juridique. Il n'est donc pas contraignant », précise Olivier Henrard, le conseiller juridique de la ministre, qui note également que « la phrase concernant la sanction [constituée par la suspension de l'abonnement à Internet] semble étrangère au sujet du rapport. Elle est donc inutilement polémique. » Quant au fond, « on ne partage pas l'analyse que reflète cette phrase ». Reste que, en dépit de l'assurance manifestée par le ministère de la Culture, les prises de position successive des institutions de l'UE pourraient finir par constituer un véritable obstacle aux velléités hexagonales. Si, pour l'heure, le Service universel, tel qu'il est défini par Bruxelles, n'inclut pas l'accès à Internet, les positions pourraient changer. Dans l'hypothèse où l'UE contredisait Christine Albanel - selon laquelle « Internet n'est pas un droit fondamental » - en incluant l'accès au Web dans la directive Service Universel, tous les Etats membres se verraient alors obligés de transposer cela dans leurs législations nationales. La riposte graduée n'aurait alors plus vocation à exister.