Le 8 décembre, Enjeux RH a reçu avec Le Monde Informatique 4 témoins sur le thème de la marque employeur. En commençant par deux organisations que tout oppose en apparence mais réunies par la volonté de peaufiner justement une stratégie marque employeur. D’un côté, Qonto, une néobanque, jeune structure en très forte en croissance. De l’autre côté, une institution massive de 130000 soldats, l’Armée de Terre. Enfin, parce que l’époque est à la notation, et que des repères sont indispensables pour avoir une idée de la valeur d’une entreprise en tant qu’employeur, nous avons creusé le sujet des labels. Et pour cela, nous avons accueilli un échange entre Chloé Guillot-Soulez, maître de conférences en sciences de gestion à l'IAE de Lyon et le cofondateur d'un de ces labels, Laurent Labbé, CEO de Choosemycompany. Retrouvez la vidéo de la conférence, et nos bonus en fin d'article.

Retrouver ici le replay de notre webconférence « RH, Comment développer sa marque employeur ? » avec Qonto, l’Armée de Terre, l’IAE et Choosemycompany

Qonto, montrer la néobanque au-delà de sa réussite

Pour commencer, Sarah Ben Allel, DRH de Qonto, nous a expliqué la démarche récente de marque employeur de la néobanque pour PME et indépendants. En pleine croissance, la jeune pousse a réalisé plusieurs levées de fonds et compte 120 000 clients. Autant de leviers de communication pour une entreprise qui démarre, y compris vis-à-vis de ses employés actuels et des candidats à le devenir. Mais l’arbre de la réussite a fini par cacher la forêt.  Sarah Ben Allel travaille sur la marque employeur pour montrer l’étendue de l’activité et des métiers de Qonto, le caractère très technologique de l’entreprise, les méthodes d’organisation spécifique, pour soutenir un recrutement intensif, et pour cible des profils différents. Pour ce faire, elle  collabore avec sa direction marketing et s’appuie sur des outils de visibilité comme Linkedin ou Welcome to the jungle. Cela passe par des contenus spécifiques tels des interviews de collaborateurs destinés à expliquer les métiers de Qonto et rappeler que la néobanque est aussi une société de technologie. Un moyen d’attirer les profils numériques, particulièrement prisés et difficiles à séduire.

Pour se distinguer dans la foule des recruteurs, la jeune pousse travaille également sur une présentation aux futurs candidats du « Qonto Way », une méthode de travail maison, basée sur le lean management. Avec 50 recrutements d’ici à la fin 2020 sur un effectif de 250 collaborateurs, la startup a aussi besoin de candidats plus seniors. Pour cela, Sarah Ben Allel implique directement, dans des entretiens, les dirigeants et fondateurs sur des sujets plus transverses, plus stratégiques. Avec la crise du Covid-19, développer sa marque employeur a aussi imposé de rassurer les candidats, sur le fait que les processus de recrutement et même d’intégration continuent, même s’ils prennent de nouvelles formes. « J'ai recruté une manager dans mon équipe RH 100% en digital, raconte ainsi Sarah Ben Allel. Mais notre office manager m'a envoyé une petite vidéo des bureaux pour qu'elle puisse se projeter et j'étais là le jour de son intégration. »

« L’enjeu de l'image employeur c'est de communiquer pour faire connaître effectivement l'entreprise sous tous ses angles, mais aussi et surtout de valoriser ses spécificités. ». Retrouvez Sarah Ben Allel, DRH de Qonto dans notre vidéo à partir de 2'20

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la marque employeur n’est pas que la marque recruteur, et vise aussi les collaborateurs. « Faire perdurer la culture et la marque employeur avec la croissance de Qonto, c’est une question présente depuis le départ, raconte Sarah Ben Allel. Quand je suis arrivée il y a 3 ans, nous étions 40 et avions levé 10 millions d’euros. Nous serons 300 collaborateurs fin décembre 2020 avec 136 millions d’euros levés, une présence dans 4 pays. Et le plus important c'est d'avoir la capacité de se remettre en question donc de se laisser la possibilité de faire évoluer notre discours. »

L'Armée de terre, partager la réalité du terrain

Changement complet de paysage avec notre témoin suivant, le lieutenant Olivier Destefanis, responsable de la marque employeur et de l’influence de l’Armée de terre : 130000 hommes et femmes et 15000 soldats recrutés chaque année. L’Armée de terre a besoin de candidats jeunes – la moyenne d’âge y est de 32 ans – ce qui entraîne un flux important de sortants et d’entrants. Pour Olivier Destefanis, « la marque employeur va répondre à deux objectifs : être plus attractif sur le marché de l'emploi et fidéliser les collaborateurs. Mais c’est une responsabilité transverse qui ne se cantonne pas à la communication, au marketing ou aux RH. » À partir de ce constat inspiré notamment de rencontres avec La Poste, Disney ou Engie, le responsable de la marque employeur a progressivement mis en place une stratégie qu’il nous a détaillée.

L’Armée de terre pratiquait la marque employeur sans le savoir, et plutôt avec succès. Mais Olivier Destefanis a tenu à reparti de zéro pour comprendre concrètement ce qui fonctionnait. Il a d’abord commandé à une entreprise extérieure deux études sur la marque employeur vécue par les soldats et celle perçue par l’extérieur. Puis il a mené avec son équipe des entretiens avec tous les décideurs RH importants sur leur vision des RH de l'Armée de terre dans 10 ans. Des éléments qui ont permis entre autres de bâtir un discours clair et cohérent sur lequel appuyer la stratégie. Mais l'enjeu est au-delà du discours, comme l’a souligné Olivier Destefanis.

« Comme dans un parcours client, on ne s'adresse pas à un candidat qui découvre l'Armée de terre comme à celui qui a presque signé son contrat. Nous allons donc personnaliser au maximum le message. » Retrouvez Olivier Destefanis, responsable marque employeur et influence de l'Armée de terre dans notre vidéo à partir de 34'20

Le responsable de la marque employeur évoque en particulier les nombreuses spécificités de l’Armée de terre. À commencer par une particularité centrale : la mission, l’engagement des soldats : « Quand on rentre dans l'armée de terre, on s'engage pour le service des armes avec des obligations bien spécifiques, explique le lieutenant-colonel. La singularité du métier de soldat, c’est qu’il faut accepter l’idée qu’on peut donner la mort ou la recevoir. Pour construire une marque employeur qui fonctionne, il faut absolument en tenir compte. » En particulier, cela implique de communiquer vers les potentiels futurs soldats, mais aussi leurs proches, familles, amis, souvent très impliqués dans la décision de ces jeunes hommes et femmes. Autre spécificité, l’Armée de terre propose quasiment tous les métiers d’une entreprise du privé, avec lesquelles elle se trouve donc en concurrence.

La réalité du quotidien des soldats au cœur de la stratégie

Pour Olivier Destefanis, il est essentiel de faire comprendre les métiers des soldats, et donc de partager ce qui fait leur quotidien. « Mais il faut aussi un alignement entre ce qu'on va promettre à notre soldat et ce qu'il va vivre ! » La stratégie marque employeur s’appuie ainsi sur beaucoup de contenu tourné sur le vif dans un régiment, dans des situations réelles de vie quotidienne et non scénarisé, qui se déroule durant l’entraînement ou dans les chambrées, par exemple. Ces contenus servent aussi bien pour des spots télévisuels que le site de recrutement sengager.fr, les médias sociaux ou les chats des jeux vidéo. Mais au-delà des dispositifs de communication, en particulier numériques, la stratégie marque employeur de l’Armée de terre et sa mise en œuvre ont un but final : organiser une rencontre avec des soldats. Pas des recruteurs, mais des soldats qui vivent au jour le jour le métier qui intéresse le candidat potentiel. Un moyen de confronter la réalité vraie à celle fantasmée, comme la qualifie Olivier Destefanis, échangée dans les médias sociaux ou montrée dans les films et séries.

L’Armée de terre s’est aussi interrogée sur la symétrie des exigences entre recruteur et candidat. Ce dernier choisit aujourd’hui autant son employeur que l’inverse. Pour travailler sur ce sujet, l’institution a enclenché plusieurs démarches, dont la refonte de son site dédié Sengager.fr. Son ergonomie et son contenu sont tournés vers le candidat. On y trouve les films sur les métiers et ceux sur le quotidien des soldats. Des contenus qui s’adressent aux jeunes intéressés par l’Armée, aux candidats, mais aussi aux proches et aux familles. Le site dispose aussi désormais d’une fonction simple de prise de rendez-vous sur le modèle de Doctolib.

Personnaliser les messages pour mieux cibler

« Chaque année, 150 000 jeunes prennent contact avec l’Armée de terre, mais ils ne sont que 38000 à en pousser la porte, » regrette par ailleurs Olivier Destefanis. L’Armée de terre a imaginé plusieurs dispositifs pour améliorer quantitativement et qualitativement ce flux des jeunes gens et jeunes filles qui s’intéressent à elle, mais ne vont pas jusqu’au bout de la démarche. Le site sengager.fr en est une. Mais aussi l’appel à des influenceurs dont les messages ont plus d’impact que la communication institutionnelle. Et à des influenceuses, comme cette jeune instagrammeuse fitness qui a passé les tests physiques d’entrée dans l’armée et partagé son expérience. Cette épreuve de sélection fait partie des éléments que les jeunes femmes redoutent et qui les empêchent de tenter leur chance. L’Armée de terre ne compte qu’une dizaine de pour cent de femmes. Par ailleurs, pour améliorer le taux de transformation des contacts, l’institution a lancé en septembre une campagne vidéo basée encore une fois sur le quotidien des soldats.

Mais l’Armée de terre travaille aussi sur un modèle de personnalisation des messages qui s’appuie sur du machine learning. Des types de vidéos différentes, par exemple, sont poussées en fonction des centres d’intérêt des cibles. Mais ce n’est pas tout. « C’est exactement comme pour un parcours client, raconte Olivier Destefanis. On ne s'adresse pas de la même façon à un candidat qui découvre l'armée de terre qu’à celui qui est proche de signer son contrat. On va donc personnaliser au maximum le message dans ce parcours et en fonction de ses appétences. »

Au coeur des labels employeurs avec l'IAE Lyon et Choosemycompany

Pour terminer la matinée, nous avons parlé labels avec Chloé Guillot Soulez, maître de conférences en sciences de gestion à l'IAE Lyon sur les sujets RH et qui a réalisé une étude expérimentale sur l'impact de ces labels et Laurent Labbé, CEO et cofondateur de Choosemycompany.  Chloé Guillot Soulez a partagé les résultats de son étude expérimentale réalisée au Québec à partir d’annonces de recrutement d’entreprises fictives affichant un label employeur et un label environnemental. Une des conclusions indique que, dans une annonce d’emploi, un label employeur seul renforce l'attractivité alors que deux labels soulèvent le doute. Chloé Guillot Soulez a aussi remis en contexte la pratique déjà ancienne de ces labels et leur évolution. De son côté, Laurent Labbé a raconté l’histoire de Choosemycompany lancé en 2011 avec Célica Thellier. Il a découvert les labels quelques années plus tôt en tant que DRH d’un site industriel de L’Oréal. Mais il a été très déçu en particulier que les collaborateurs ne soient pas impliqués, pas interrogés. Les deux co-fondateurs ont donc peaufiné un modèle différent, gratuit (sauf pour le traitement des données) et sans offres de conseil. L’idée ? Donner une image qui reflète le plus possible la réalité de l’entreprise.

Des pistes d’amélioration continue

A gauche, en plateau Laurent Labbé, CEO et cofondateur de Choosemycompany et en visio sur l'écran, Chloé Guillot-Soulez, maître de conférences en sciences de gestion à l'IAE Lyon. Retrouver les dans notre vidéo à partir de 1h10.[/caption]

Chloé Guillot Soulez et Laurent Labbé ont surtout décrypté pour nous en détail le fonctionnement de ces labels. Que l’on parle de Choosemycompany, de Greatplacetowork ou de la notation Glassdoor. Comment les questionnaires sont-ils conçus ? A qui sont-ils envoyés directement et qui répond ? Comment les données sont-elles traitées ? Comment les réponses des questionnaires gratuits sont-elles validées ? Autant de débats qui permettent de mieux comprendre ce qui se cache derrière ces dispositifs et leurs classements, et l’intérêt ou pas pour les entreprises d’y avoir recours. « Il s’agit davantage d’un thermomètre pour prendre la température par rapport à un engagement social, a précisé Chloé Guillot-Soulez. Il n’y pas d’idée de conformité comme avec les normes, mais davantage une voie de progression. » Il s’agit d’identifier les points faibles et les points forts de l’entreprise pour lui donner des pistes d’amélioration continue et de mesurer la cohérence entre son image et la réalité vécue en interne.

Pour Chloé Guillot-Soulez, avant de se lancer, il est essentiel pour une entreprise de regarder de près la méthodologie et les questionnaires utilisés par le label, et de réfléchir aux cibles que l’on vise. Choosemycompany étudie ainsi différents critères pour la déclinaison de son label Happyatwork, l'engagement, la qualité de l'accueil des stagiaires et des alternants, l’agilité, l’impact RSE, l’intégration ou le télétravail. Pas de jugement derrière les enquêtes, puisque pour Laurent Labbé, le « bonheur au travail » est une chose différente d’une personne à l’autre.  Par ailleurs, se lancer dans une telle démarche n’est pas sans risque. Une entreprise pourra lancer des enquêtes internes avant de se lancer, pour vérifier la cohérence de son image. Autre risque, un label va susciter des attentes chez les candidats qui, si elles ne se concrétisent pas, auront un effet boomerang.