En moins de deux ans, l'IA générative est passée du statut de simple curiosité à celui de compétence essentielle. Les entreprises de tous secteurs sont désormais confrontées à une pénurie urgente de compétences, non seulement de spécialistes en IA, mais aussi d'employés capables d'utiliser les outils d'IA générative au quotidien.
Dans des secteurs allant des services informatiques et du développement de logiciels à la gestion du personnel en passant par les solutions industrielles, les grandes entreprises technologiques expérimentent de nouvelles méthodes pour préparer leurs collaborateurs à une économie axée sur la GenAI. Leurs expériences mettent en lumière cinq grandes pistes pour combler le déficit de compétences.
1- Déplacer les compétences techniques vers les soft skills
Chez UST, une SSII comptant plus de 32 000 employés, Krishna Prasad, DSI et directeur de la stratégie, affirme que l'essor de l'IA générative représente un défi humain. L'expertise, qui constituait historiquement la proposition de valeur de l'UST, est désormais banalisée. « Les clients peuvent désormais accéder gratuitement aux connaissances de base, à tout moment. Ce qui compte désormais, c'est la résolution de problèmes », a-t-il souligné. Au lieu de se concentrer exclusivement sur les aptitudes techniques, l’UST a orienté sa formation vers le développement de soft skills adaptables.
« Nous souhaitons développer la curiosité, l'esprit critique et la créativité que l'IA ne peut facilement remplacer », a précisé Krishna Prasad. Selon lui, l'apprentissage traditionnel des technologies d’automatisation est insuffisant face à l'environnement concurrentiel qui exige une expérimentation et une mise en application rapide des outils de GenAI. Les employés ont accès à une gamme de bots d’IA tels que GitHub Copilot, Gemini et Cursor, et sont encouragés à les expérimenter en toute sécurité dans des environnements de R&D.
Face a ce contexte, l'UST a mis en place un environnement interne de R&D où les collaborateurs peuvent tester librement des LLM sans compromettre les systèmes de production. Cela leur permet d'explorer le potentiel de l'IA sans craindre de compromettre un élément essentiel à leur mission. Bien que les traditionnels modules de formation existent toujours, le DSI de l’UST considère que l'expérimentation et la résolution de problèmes sont les éléments clés pour faire avancer les choses. Selon lui, l'environnement d'expérimentation à la GenAI n'est pas seulement technique, il est culturel. C’est pourquoi les employés doivent se familiariser avec les essais, les erreurs et les itérations, essentiels pour s'adapter à l'évolution rapide de ces solutions. Dans ce cadre, le principal défi consiste à ce que les employés assument la responsabilité de leur apprentissage de la GenAI en continu.
2- Intégrer l'apprentissage de la GenAI dans les workflows
Selon Jill Busch, directrice de la formation et du développement pour l’Amérique du Nord du cabinet de recrutement Manpower, la formation traditionnelle est trop lente face à l’évolution rapide de la GenAI. Plutôt que de solliciter les employés pour des sessions de formation distinctes, l'entreprise intègre des parcours d’apprentissage directement dans les flux de travail quotidiens. Des plateformes comme Whatfix fournissent des conseils et des astuces directement dans les outils utilisés par les recruteurs les guidant en temps réel. La formation au système de recrutement est intégrée à l'application. Les utilisateurs ignorent qu'ils interagissent avec un coach numérique qui les forme à utiliser efficacement le système et ses fonctionnalités génératives telles que le sourcing de candidats, l'analyse de CV et la prospection client. Selon la représentante de Manpower, les résultats sont mesurables : les questions pratiques ont diminué de 95 % depuis la mise en œuvre du dispositif.
Jill Busch privilégie l'agilité plutôt que la finition, en utilisant ce qu'elle appelle le « dirty design ». Il s’agit de modules de formation développés avec de l’IA déployés rapidement et fréquemment réitérés pour suivre l'évolution technologique. Les modules de micro-apprentissage et les simulations d'IA intégrées dispensent des enseignements courts et exploitables au quotidien, renforçant ainsi les compétences sans perturber la productivité. « Les boucles de rétroaction intégrées permettent aux employés de signaler les problèmes ou de suggérer des améliorations au sein de leur flux de travail, ce qui nous permet d'affiner la formation en permanence », a expliqué la directrice de formation de Manpower.
Les directives éthiques en matière d’IA sont incluses dès le départ et l’intégration de tous les nouveaux employés comprend la formation à l’intelligence artificielle comme exigence de base. Il semble donc que la formation aux agents réussit lorsqu’elle est intégrée aux flux de travail quotidiens, offrant aux employés un soutien en temps réel et des garde-fous pour qu’ils apprennent tout en faisant leur travail.
3- Proposer des programmes de GenAI à l'échelle
Sudhir Mehta, vice-président mondial des solutions IoT et edge computing chez le fabricant de solutions d’impression Lexmark, dirige l'une des initiatives de formation les plus structurées de l'entreprise : l'AI Academy. Ce programme, initialement composé de cinq data scientists, compte désormais plus de 5 000 participants suivant des cursus modulaires, épaulés par du mentorat et des programmes avec des partenaires tels que l'université d'État de Caroline du Nord et Microsoft. Les diplômés de l'AI Academy deviennent mentors, perpétuant ainsi cette dynamique, que les dirigeants renforcent en partageant des témoignages de réussite internes.
« Pour le développement pro-code, nous utilisons le processus Safe , qui aligne la stratégie de la direction sur le développement d’apps IA au sein de toutes les équipes Chaque trimestre, nous organisons des séances de planification afin que les objectifs soient clairement transmis des dirigeants aux développeurs », explique Sudhir Mehta. La formation est dispensée selon des modèles hybrides : apprentissage en ligne adapté au rythme de chacun pour une mise à l'échelle optimale, ateliers synchrones pour une plus grande participation et parcours plus longs comme le programme d'excellence en IA de 20 semaines. Des membres du comité d'éthique et de gouvernance co-animent plusieurs sessions, intégrant ainsi la notion de conformité dans l’apprentissage de la GenAI.
La réussite se mesure par le retour sur investissement des projets d'entreprise pour les développeurs et par les données d'adoption, notamment l'utilisation de Microsoft Copilot, parmi les utilisateurs du no-code. Une façon de maîtriser les coûts consiste à mener des programmes pilotes pour démontrer le retour sur investissement avant le déploiement à grande échelle.
4- Construire une culture axée sur l'IA générative
Chez eSky Group, une agence de voyages en ligne internationale, la GenAI n’est plus une option. Selon Tomasz Lis, responsable ingénierie au sein du groupe, elle est au cœur du fonctionnement de l'entreprise. Avec ses 800 employés, eSky a adopté un modèle communautaire. Chaque collaborateur a accès à des outils professionnels tels que Gemini Pro, GitHub Copilot et Claude Code. Plus de la moitié d'entre eux les utilisent quotidiennement. « Nous nous dirigeons vers un modèle privilégiant la GenAI, où l'utilisation de cette technologie est aussi naturelle que l'usage d'un e-mail ou d'un navigateur », expose Tomasz Lis.
Cette culture est renforcée par des initiatives locales. A ce titre, des ambassadeurs de l'IA encadrent leurs collègues, tandis qu’une communauté Slack partage les meilleures pratiques et que les « Vendredis Démo » présentent les projets internes de GenAI. La formation est structurée en plusieurs niveaux, combinant contenu des fournisseurs, services externes des hébergeurs cloud et apprentissage par les pairs. Les résultats sont clairs : le marketing génère désormais des vidéos en quelques minutes, le service client analyse chaque interaction et les développeurs collaborent sur plusieurs piles avec le support de l'IA générative.
5- Intégrer les LLM dans le cycle de développement
Chez Globant, une entreprise de services informatiques générant un chiffre d'affaires de 2 Md$, Juan José López Murphy, responsable de l'IA, décrit cette technologie comme un défi sans détour : « La façon dont les logiciels sont développés a fondamentalement changé. Si nous ne nous perfectionnons pas, nous risquons de les rendre obsolètes », prévient ce dernier. Pour éviter cela, la stratégie de Globant consiste à intégrer l'IA générative non seulement au codage, mais à chaque étape du cycle de développement logiciel : planification, tests, surveillance et déploiement. Les développeurs sont formés pour maîtriser les principaux modèles de LLM – ChatGPT, Claude, Gemini, Bedrock – et pour utiliser des agents propriétaires comme Globant GPT pour les projets clients. La formation elle-même est structurée en plusieurs niveaux. Les instructions de base portent sur la clarté des objectifs, la définition du contexte et la prévention de la « perte de contexte ». Cette perte survient lorsque les conversations avec les agents d'IA deviennent trop longues ou floues, ce qui fait perdre au système le fil des instructions et produit des résultats de moindre qualité. Les développeurs sont formés pour savoir quand réinitialiser ou recadrer les instructions afin que l'IA reste alignée sur ses objectifs.
Les compétences intermédiaires incluent la génération augmentée par récupération (RAG), la réflexion et l'orchestration. Cette méthode aide les employés à ancrer les résultats de l'IA dans des sources fiables, en leur apprenant à relier les LLM aux données de l'entreprise ou à des bases de connaissances externes. De son côté, la réflexion développe l'esprit critique : Eenforceles apprenants s'entraînent à inciter l'IA à examiner et à améliorer ses propres résultats plutôt qu'à les accepter tels quels. Pour sa part, l’orchestration développe la pensée systémique en formant les participants à coordonner plusieurs agents conversationnels aux rôles distincts, tels que planificateur, codeur et testeur, pour résoudre des tâches complexes de manière collaborative. Les travaux sont alors pris en charge par des spécialistes de l'optimisation rapide. La formation à ce niveau met l'accent sur l'expérimentation de la structure, de la formulation et du séquençage afin d'obtenir des résultats cohérents et de haute qualité dans différents contextes.
Mettre ses équipes à niveau pour relever le défi de la GenAI
L'IA générative transforme le fonctionnement des entreprises, mais le défi de formation est de taille. Il n'existe pas de modèle unique de réussite pour les entreprises – certaines s'appuient sur la culture, d'autres sur l'organisation – mais toutes convergent vers un même objectif : la formation doit être intégrée dans les tâches des collaborateurs, axée sur les résultats et constamment actualisée. Les gagnants ne seront pas ceux qui transmettront le plus de compétences, mais ceux qui formeront les employés les plus adaptables et les plus confiants envers les outils d’automatisation. Bien menée, la réduction du déficit de compétences en GenAI peut transformer une pénurie de talents imminente en un avantage concurrentiel durable.