(Source EuroTMT) « Pour moi, c'est clair ! » Stéphane Richard a eu beau l'affirmer haut et fort lors de la présentation du plan « Conquêtes 2015 », la stratégie qu'il compte mettre en oeuvre dans les contenus paraît toujours très embrouillée. Certes, le directeur général a indiqué que le groupe se contenterait de partenariats, rompant ainsi avec la stratégie de Didier Lombard. Mais Stéphane Richard a laissé de nombreuses questions sans réponse, se gardant une grande marge de manoeuvre. De plus, avant de faire des contenus l'un des axes majeurs de développement de l'opérateur, Didier Lombard avait lui-même beaucoup varié dans ses propos. Il avait affirmé, dans un premier temps, ne jamais lancer l'opérateur dans la production de contenus ni l'édition de chaînes télé, avant de créer Studio 37, pour la coproduction cinématographique, puis les chaînes Orange Sports et Orange Ciné.

Des accords pour se désengager de l'audiovisuel

Si on s'en tient aux quelques réponses apportées par Stéphane Richard aux questions de la presse consacrées à sa stratégie dans les contenus, l'opérateur devrait céder la majorité du capital de ses activités audiovisuelles à un ou plusieurs partenaires. Mais si ce scénario est exact, le dirigeant n'aurait pas eu besoin de s'entourer d'autant de spécialistes des médias. Rien que dans son nouveau comité exécutif, ils sont trois : Pierre Louette, le secrétaire général du groupe débauché de l'AFP, qui travaillait chez France Télévisions et a participé à la création de TPS avant ce poste, Christine Albanel, l'ex ministre de la culture devenue la directrice de la communication et responsable de la stratégie contenus, mais que l'on ne sent pas très impliquée, et Raoul Roverato, le jeune poulain de Didier Lombard qui fut l'un des pivots de la stratégie du groupe dans les contenus. Enfin, en dehors du comité exécutif, Stéphane Richard peut aussi compter sur Xavier Couture, qui dirige les chaînes maison et le studio de production ciné. Autant de dirigeants aux compétences reconnues pour une activité qui ne constitue plus, a priori, une priorité de l'opérateur, n'est-ce pas contradictoire ?

Redéfinir l'approche médias

A moins que les propos tenus par le directeur général et compris comme une volonté de désengagement au moins partiel des contenus ne soient pas aussi clairs que ne l'affirme Stéphane Richard. D'autant que comme l'a reconnu le dirigeant, un opérateur télécom se doit d'avoir une stratégie dans les contenus. En fait, il s'agit même d'une priorité, non pas en raison du potentiel direct de croissance des revenus et des résultats que pourrait apporter le développement dans les médias, mais parce qu'il permettra de protéger les autres activités et de conserver aux réseaux toute leur valeur. Explications en tirant les leçons d'Apple ...Le groupe qui a le mieux compris l'intérêt d'offrir des contenus est, sans nul doute, Apple. Steve Jobs a manifestement tiré les leçons de son échec du début des années 90 et compris les causes de la crise qui avaient amené la société au bord de la faillite. 

Photo : Stéphane Richard, DG de France Télécom (D.R)

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Il ne suffisait pas de mettre les meilleurs produits sur le marché pour qu'ils se vendent, il fallait avoir aussi les contenus pour convaincre les consommateurs de les acheter. Sachant que la partie était perdue dans l'informatique en raison du quasi monopole détenu par Microsoft, Steve Jobs a décidé d'appliquer cette leçon à un autre secteur alors en pleine croissance, la musique. Prenant tout le secteur à contre-pieds, Apple a donc lancé son baladeur, l'iPod, en proposant une offre de téléchargement, iTunes. Le succès de ce couplage a montré que les consommateurs étaient prêts à payer pour une offre légale si le service était simple d'utilisation. C'est ce même modèle qui a été mis au point ensuite pour l'iPhone puis pour l'iPad. Au final, les revenus tirés de la vente de contenus représentent quelque centaines de millions de dollars pour Apple, une paille par rapport aux 25 milliards de revenus du groupe, mais cette activité est essentielle dans le succès des produits maison.

La révolution de l'audiovisuel

Comme le rappelait récemment l'Idate dans une étude consacrée au futur de la télévision, l'audiovisuel vivait jusqu'en 2005 dans un monde parfait. Les chaînes TV étaient les seuls agrégateurs de contenus audiovisuels et contrôlaient les consommateurs via le téléviseur. La numérisation des contenus et le développement des réseaux xDSL (et bientôt fibre optique) à haut débit ont fait exploser ce monde fermé, en faisant des réseaux télécoms un vecteur majeur de diffusion de la vidéo. Cette révolution se traduit notamment par une modification en profondeur du mode de consommation des produits audiovisuels, partout et à la demande. C'est ce qui rend les réseaux télécoms, fixes et mobiles, stratégiques. Mais si les opérateurs ne veulent pas devenir de simples tuyaux (« commodities »), ils doivent fournir à leurs abonnés les contenus qu'ils recherchent et ne peuvent pas se contenter de simples partenariats. La raison ? Les contenus se sont mondialisés, au bénéfice des producteurs américains qui ont la capacité de toucher via les sites en ligne, comme YouTube et Hulu (géolocalisé et encore inaccessible en Europe pour ce dernier), les consommateurs quel que soit l'endroit où ils habitent. Comme cette mondialisation des contenus a tendance à gommer les spécificités locales, notamment en Europe où le poids des programmes « made in USA » domine le paysage audiovisuel, les partenaires audiovisuels nationaux sont de moins en moins en capacité d'offrir aux opérateurs télécoms les programmes attendus par leurs abonnés.

Un passage devenu obligé, le web

D'autant qu'une épée de Damoclès plane au-dessus de la tête de l'audiovisuel européen. Jusqu'à présent, le financement de l'audiovisuel et du cinéma américains était en grande partie assuré par la revente des droits pays par pays. Un mode de financement qui pourrait connaître aussi un profond bouleversement, si les grands noms des médias américains décidaient de court-circuiter les acteurs locaux pour distribuer en direct leurs produits ou accorder des licences d'exploitation sur de grandes zones géographiques à quelques grands noms de l'Internet. C'est d'ailleurs un scénario soutenu par YouTube. Pour faire face à cette révolution, l'une des pistes d'avenir proposée par l'Idate évoquait une fusion verticale entre l'audiovisuel et les télécoms. Un scénario déjà mis en oeuvre en Grande-Bretagne par BSkyB, qui a racheté il y a quelques années un opérateur pour entrer sur le marché du haut débit. Une logique que met aussi en oeuvre, sans aller pour le moment jusqu'au bout, Canal + qui a conclu un véritable partenariat stratégique avec Free. Et de nombreux analystes affirment qu'un rachat par Vivendi de la participation de Vodafone dans SFR aurait pour conséquence de permettre à la chaîne cryptée d'entrer en direct sur le marché du haut (et très haut) débit en utilisant les infrastructures de SFR.

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Par ailleurs, on vit également la revanche des fabricants de téléviseurs. Au milieu des années 90, l'industrie informatique n'avait qu'une idée en tête, prendre le contrôle du téléviseur en le transformant en terminal informatique. Mais les quelques initiatives lancées à l'époque échouèrent lamentablement, ni les contenus ni les usages ne permettant alors une telle transformation. Tout commence à changer aujourd'hui. Avec le haut débit et les box de connexion fournies par les opérateurs télécoms à leurs abonnés, le téléviseur devient interactif et peut se substituer au PC comme terminal Internet. Une évolution bien comprise par les fabricants d'électronique grand public qui ont tous lancés des téléviseurs connectées avec une idée en tête, fournir seul ou en partenariat avec l'audiovisuel ou les acteurs de l'Internet des nouveaux services et des contenus permettant de récupérer un revenu supplémentaire auprès de l'abonné télécoms.

Cette évolution se double d'une deuxième avancée, les « box over the top » qui permettent de fournir sur le téléviseur les flux audiovisuels (TNT) et Internet et ouvrant le marché des abonnés télécoms à tout un tas d'acteurs nouveaux. Un fabricant comme le français Netgem travaille dans cette direction. Pour les opérateurs télécoms, la conclusion à tirer de ces révolutions et de la leçon Apple est simple. S'ils veulent garder le contrôle de l'accès, ils doivent avoir une offre de contenus. Et en dehors des produits d'origine américaine, un seul autre produit audiovisuel permet de capter l'audience, le sport et plus précisément le football. Ce fut d'ailleurs le sujet d'une conférence de presse organisée il y a un an par France Télécom pour défendre sa stratégie médias. Raoul Roverato et Xavier Couture avaient alors clairement exposé les conséquences de ces révolutions. Difficile de croire qu'ils aient changé d'avis un an plus tard.

Un marché structuré autour du triple play

Certes le modèle de distribution exclusive adoptée alors pour les chaînes maison était difficilement tenable à long terme, la réglementation en place s'étant prononcée en faveur d'un modèle ouvert d'auto-distribution, c'est-à-dire de mise à disposition des chaînes aux autres réseaux de diffusion. Cette nécessité est d'autant plus grande pour l'opérateur français, par rapport à d'autres opérateurs européens, que le marché français du haut débit s'est structuré autour du triple-play alors qu'un seul acteur a la main sur le marché de la télévision payante. Ce qui n'est pas le cas en Grande-Bretagne où BSkyB doit affronter la concurrence notamment du câblo-opérateur Virgin Media, ou en Italie où Mediaset et Sky se livrent une guerre acharnée. Toute initiative de Canal + dans le haut débit aurait d'importantes répercussions sur les opérateurs télécoms, dans la mesure où il serait le seul à pouvoir proposer des services audiovisuels à valeur ajoutée.

De plus, le prix du triple-play en France, parmi les plus bas du marché européen, est trop bas, aux dires de tous les acteurs y compris de Free qui évoquait en mars dernier une nécessaire augmentation des tarifs. Pour le moment, les opérateurs imaginent pouvoir faire passer cette hausse en proposant des services payants complémentaires, rendus possibles par la fibre optique. A condition qu'ils aient les bons contenus. Ce qui n'est pas gagné compte tenu de la nouvelle donne dans l'audiovisuel. En proposant de véritables services de télévision de rattrapage ou de vidéo à la demande gratuits, ou quasi gratuits, disponibles sur l'écran de télévision, les géants de l'Internet pourraient facilement convaincre les consommateurs de l'inutilité de payer les opérateurs au-delà du service d'accès de base. Or sans ces revenus complémentaires, comment les opérateurs pourront-ils rentabiliser leurs investissements dans les tuyaux et redonner de la valeur aux réseaux ?