Une décision de justice où toutes les parties estiment avoir gagné, c'est assez rare. L'affaire Google France Sarl contre Louis Vuitton Malletier auprès de la Cour de Justice de l'Union européenne est de celle-là. Pour mémoire, l'activité maroquinerie de luxe du groupe LVMH, ainsi que d'autres marques (Bourse des Voyages et une agence matrimoniale) ont porté plainte contre le moteur de recherche en estimant que le service d'achat de mots clés « adwords », permettant à des annonceurs d'apparaître lors de requêtes ciblées dans la rubrique « liens commerciaux ». Or les plaignants ont constaté que ces liens menaient à des sites concurrents ou de contrefaçons de leurs propres marques. Après un premier jugement favorable aux marques et un appel, la Cour de Cassation a posé à la CJUE des questions préjudicielles pour éclaircir certains éléments au regard du droit communautaire et plus particulièrement vis-à-vis des directives européennes sur le droit des marques.

Bénéfices pour les deux parties

La justice européenne rappelle au préalable la directive « marque » du 21 décembre 1988 et le règlement « marque communautaire » du 20 décembre 1993 en estimant que les titulaires d'une marque sont habilités à interdire un annonceur de faire de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée. La CJUE renvoie donc aux juridictions nationales de statuer sur les plaintes déposées par les propriétaires des marques contre les annonceurs frauduleux afin de retirer leurs liens.

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Dans sa deuxième réponse, la Cour souligne qu'au regard de la directive,  « le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe ». Cette phrase exonère le service Adwords de faciliter la contrefaçon. Cette exemption est renforcée par l'interprétation de la directive commerce électronique du 8 juin 2000, « si le prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S'il n'a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu'il a stockées à la demande d'un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d'activités de cet annonceur, il n'ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données. »

Une obligation de négociations

De prime abord, chaque partie peut crier victoire. Google sauve un service qui lui apporte une ressource financière essentielle à son activité. Les titulaires de marques, eux, vont pouvoir attaquer plus rapidement les annonceurs malveillants, notamment à travers des procédures de référé, obligeant ainsi Google à surveiller ses liens commerciaux. Dans certains cas, la responsabilité civile de Google pourra être analysée par les juges et des dommages et intérêts pourront alors être prononcés. Du côté, des détenteurs de marques, le dépôt de plaintes systématique dans les 27 pays de l'Union européenne peut vite devenir fastidieux et un centre de coût. Il est donc impératif que les protagonistes de cette affaire s'entendent sur la mise en place de bonnes pratiques. Pierre Godé, vice-Président du Groupe LVMH, a déclaré à propos de la décision de la CJUE «  nous voulons continuer à travailler avec tous ses acteurs, y compris Google, pour éradiquer les pratiques illicites en ligne et promouvoir la mise en place d'un cadre favorable à une croissance saine et rapide de l'économie digitale. ». De son côté, Google sur son http://googleblog.blogspot.com/2010/03/european-court-of-justice-rules-in.html>blog> affirme disposer d'une politique d'interdiction des publicités de contrefaçon et d'ajouter « nous travaillerons en collaboration avec les propriétaires des marques pour mieux identifier et éliminer les contrefacteurs ».

Au final, après 5 ans de procédure, la justice européenne a permis de clarifier le débat et de remettre les différents acteurs autour de la table pour négocier, plutôt que de s'affronter.