A l'occasion du Government Leaders Forum Asia 2008 qui s'est tenu à Djakarta en Indonésie, le 9 mai, nos confrères d'IDG News Service (groupe IDG, actionnaire d'IT News Info, éditeur de LeMondeInformatique.fr) ont interviewé Craig Mundie à propos des changements possibles au sein de Unlimited Potential et sur les actions de Microsoft envers le monde en développement. IDGNS : Quels changements votre arrivée à la tête de Unlimited Potential va-t-elle impliquer ? Davantage d'argent, davantage d'intérêt ? Craig Mundie : Non. C'est surtout pour que je puisse y attacher une plus grande attention. D'une certaine façon j'ai participé à la création du Unlimited Potential Group il y a quelques années et nous l'avons hébergé dans une des divisions business. Et un bon nombre de cadres de Microsoft s'en est occupé. L'autre raison, c'est que j'ai désormais la charge de deux nouvelles divisions Microsoft : la santé et l'éducation. Bien sur, Unlimited Potential a pour but de permettre aux gens de devenir plus productifs, mais presque toujours les deux autres piliers du programme sont la santé et l'éducation. Est-ce que votre travail de longue date dans la division non-PC de Microsoft vous aide en cela ? Pas vraiment. Sauf pour le téléphone mobile. Je pense que mon travail sur Windows Mobile et autour du téléphone portable nous donne une bonne base pour adapter ces technologies aux besoins de Unlimited Potential. La télévision Interactive pourrait aussi jouer un rôle. Quelles sont vos stratégies pour Unlimited Potential (UP) ? Sur quelles technologies allez-vous vous concentrer ? Si l'on réfléchit à la façon d'aborder le marché des gens qui ont peu ou pas du tout de revenu, il est très vite évident qu'ils ne vont pas sortir en courant acheter des PC et que nous n'allons pas non plus leur en donner un à tous. Alors nous nous concentrons sur la façon d'exploiter les technologies dérivées des PC de masse pour à la fois fabriquer des machines moins chères et écrire des logiciels mieux adaptés à leurs besoins. L'autre grand sujet d'intérêt pour UP, c'est bien sûr le téléphone mobile. Nous sommes arrivés au moment où il va aller du plus simple au plus sophistiqué. Et nous devons nous concentrer là-dessus pour voir comment donner à cette population pauvre et rurale, en particulier pour les soins médicaux, l'accès à Internet, à quelques-unes de ces technologies, à des services en ligne et à des logiciels plus sophistiqués. Mon rêve, c'est que nous puissions vraiment arriver à une médecine « à pratiquer soi-même » et, jusqu'à un certain point, une éducation « à faire soi-même ». Je ne vois pas comment le monde pourra continuer d'adapter les concepts traditionnels de la santé et de l'éducation pour quatre milliards et demi de personnes en plus. Même les Etats-Unis, la nation la plus riche du monde, n'a toujours pas de plan pour fournir les soins médicaux à ses propres citoyens... alors ne parlons pas des quatre ou cinq milliards d'autres personnes. Les mobiles, les ordinateurs à bas prix, les services Internet, des logiciels ciblant spécifiquement ces défis... Voilà les thèmes sur lesquels nous allons porter notre recherche et développement, et la stratégie par laquelle nous pensons que l'informatique peut aider à apporter une solution à de telles questions. Un PC, trente souris et un projecteur dans chaque classe [[page]] IDGNS : Sur quoi travaillez-vous pour les enfants ? Craig Mundie : Une grande partie de ce que nous faisons au sein de UP consiste à baisser le coût d'accès à l'informatique pour les enfants dans leur classe. Un des projets que je préfère s'appelle Multipoint. Il consiste à donner à une classe un PC et un petit projecteur qui diffuse l'image de l'écran sur le mur, pour que tout le monde le voie. Et on donne une souris à chaque élève, toutes les souris étant connectées au seul et unique PC ! L'élément le moins cher dans un ordinateur, c'est la souris. Avec une souris pour chaque enfant, on invente de nouvelles façons de travailler où ils utilisent tous le PC en même temps. La plupart des gouvernements aujourd'hui ont tendance à mesurer leur réussite au nombre de PC par classe ou par étudiant, mais la plupart du temps, ils n'en ont pas assez pour que l'utilisation de l'informatique soit au programme. Ils disent « nous avons un ordinateur pour 100 étudiants », mais cela signifie en général que chaque enfant a accès au PC 15 minutes par semaine. Et ce n'est pas assez pour que l'ordinateur entre dans la formation. Mais si vous prenez ce PC et que vous le laissez dans une classe et que toute la journée, trente gamins peuvent l'utiliser en même temps pour interagir et apprendre, l'investissement pour le gouvernement n'est pas plus important que celui qu'il est déjà prêt à faire. Et là, l'ordinateur peut faire partie intégrante de l'enseignement. Voilà le genre d'initiatives que le groupe UP mène et les autres groupes non. Mais les enfants ne vont-ils pas se battre pour le PC ? Comment ça marche ? Chaque souris produit un curseur unique sur l'écran sur lequel chaque élève peut avoir son nom. Le programme d'éducation est donc construit autour de ce système. On peut répartir les enfants dans des groupes et leur demander de résoudre des problèmes ensemble. Notre R&D n'a pas seulement réfléchi à la façon de connecter 20 souris dans un PC. Il a aussi fallu écrire le logiciel pour que d'autres créent les applications pour l'éducation qui bénéficient de ces dizaines de curseurs sur l'écran. Notre travail concerne donc tout autant la façon de former des gens sur ordinateur de cette façon que l'informatique proprement dite. Même à 200$ la machine, on ne pourra pas donner un portable à chaque enfant [[page]]IDGNS : Vous ne dites pas grand chose des portables 'ultra low cost'. Est-ce que ce n'est pas important pour les pays en développement ? Craig Mundie : C'est important et Microsoft aura des offres. Nous avons déjà des produits pour le Classmate et même l'OLPC pour lesquels nous allons fournir du logiciel. Nous aimerions vraiment un monde dans lequel chaque enfant a son propre portable, et c'est clairement le résultat à long terme pour lequel on veut se battre. Mais nous sommes aussi réalistes. Même à 200$ la machine, étant donné le nombre d'enfants qui n'ont rien aujourd'hui, ce serait un casse-tête pour les gouvernements rien que pour savoir comment acheter un de ces PC pour chaque enfant. C'est pour cela que je mets l'accent sur des projets comme Multipoint. Prenons une classe de trente élèves, avec des PC à 200$, cela revient à 6000$. Avec Multipoint, on achète un PC standard à 300$ et 30 souris à 3$, cela ne revient qu'à 400$. Bien sûr, ce n'est pas aussi bien que si chacun avait son portable, et pouvait le rapporter à la maison, mais au moins ils peuvent commencer à travailler avec de l'informatique. Comment peut-on comprendre les besoins d'un petit pêcheur indien quand on navigue sur un yacht ? Vous aimez naviguer, et vous avez un yacht de 21 mètres. Dans son discours de ce matin, le secrétaire général de l'Asean (Association des nations de l'Asie du sud-est) a rappelé que sur les eaux de l'économie mondiale, tous les bateaux ne naviguaient pas à la même vitesse. Les yachts vont plus vite que les petits radeaux de pêche en bambou. Avec votre expérience et votre yacht, comment pourriez-vous savoir ce dont un habitant d'un pays pauvre a besoin en termes de technologie ? Vous savez, je voyage beaucoup dans le monde. Ma femme et moi avons navigué en Inde il y a quelques mois. Nous étions sur un bateau avec un capitaine, un cuisinier et un matelot, et tous les trois avaient des téléphones mobiles. Et tout le temps où nous avons navigué dans les eaux de cette Inde rurale, ces gars ont tout simplement appelé et conclu des arrangements pour savoir où prendre le prochain gars, ou bien où accoster pour la prochaine escale, etc. Je pense qu'il y a des tas d'histoires de pêcheurs qui ont des mobiles et qui améliorent leur productivité à la fois en recevant des indications sur la localisation des poissons et sur les prix des marchés. Alors je maintiens que même ces pêcheurs, aussi petits que soient leurs bateaux, bénéficient vraiment de l'accès aux nouvelles technologies. Et tout cela est cohérent avec ce que j'essaie de faire : trouver des moyens économiques pour fournir des services sur Internet et proposer l'accès à ces services sur un environment informatique à bas prix avec des logiciels adaptés. Je crois que la dernière partie importante de notre travail, c'est de créer ce que l'on appelle un écosystème logiciel dans chacune de ces régions afin de bâtir les applications que veulent les gens. Microsoft ne va pas écrire l'application de gestion des prix et des marchés pour le pêcheur. Mais si nous pouvons donner les outils pour le faire, alors dans le sud de l'Inde par exemple, quelqu'un peur écrire cette application de pêche et la rendre disponible. Vous savez, nous avons toujours fait ça sur le PC et nous le faisons de plus en plus sur les smartphones. Et comme les services sur Internet émergent, Microsoft s'est engagé à fournir une plate-forme avec un modèle de programmation pour que les développeurs construisent et déploient les composants Internet de leurs futures applications.