Généralement, c'est plutôt Google qui joue le rôle du méchant lors des querelles portant sur l'utilisation inappropriée de contenus ou d'idées tirant profit du travail d'autrui. Il a souvent été montré du doigt dans ces débats, de façon plus ou moins formelle. On l'a notamment accusé de prendre ses aises avec le droit d'auteur avec des services tels que Google Books, Google News ou encore le site de partage de vidéos YouTube (racheté en 2006). Cette semaine, il a renversé les rôles en accusant Microsoft de capturer sournoisement les résultats les mieux placés livrés par le moteur de Google sur différentes requêtes, pour les placer dans les résultats de Bing. Le groupe Californien a livré son accusation dans un article sur le blog Search Engine Land et a ensuite déroulé ses griefs lors d'un événement consacré aux technologies de recherche.

Si la dénonciation de Google -contestée par Microsoft- permet de lancer le débat, cette façon de le faire si bruyamment suscite des remarques divergentes dans la sphère des analystes. Certains jugent son intervention hypocrite, tandis que d'autres estiment qu'il a bien fait d'exposer ses griefs. Entre les deux points de vue flottent nombre de spéculations. Par exemple, certains se demandent si cet incident ne reflèterait pas une nouvelle attitude, plus réactive face aux affronts, émanant de Larry Page, co-fondateur de Google qui va prendre le poste de CEO en avril prochain. On le dit plus explosif et moins diplomate que l'homme qu'il va remplacer, Eric Schmidt (qui était PDG du groupe depuis août 2001). Parmi ceux qui le pensent, Hadley Reynolds, analyste chez IDC :  « Je me demande si cela vient pas directement de Larry Page et si cela signale le début d'une compétition plus agressive vis-à-vis de Microsoft/Yahoo et des autres concurrents à l'avenir », avance-t-il dans un e-mail à nos confrères d'IDG News Service.

Un sommet d'hypocrisie selon Inside Google

« L'accusation de Google constitue un sommet d'hypocrisie. Le modèle économique de la société repose entièrement sur l'utilisation  des contenus produits par d'autres personnes, généralement sans qu'elle se préoccupe de demander l'autorisation, considère pour sa part John Simpson, de l'équipe Inside Google de Consumer Watchdog, une organisation d'intérêt public qui s'est donné pour mission d'informer les utilisateurs sur les activités de Google.

Pour lui, les allégations de Google cherchent à donner l'impression que Microsoft a mal agi en faisant ce que tout fournisseur de moteur de recherche effectue constamment : analyser le travail de ses concurrents. Dans un mail à IDG News Service, il estime que « Les efforts de Google pour pièger Microsoft constituent une considérable perte d'énergie qu'il aurait mieux fallu investir dans des moyens de fournir aux consommateurs de véritables outils pour protéger leur vie privée. »

Illustration : Larry Page, co-fondateur de Google avec Sergey Brin, et son prochain PDG, à partir d'avril, en remplacement d'Eric Schmidt (crédit : D.R.)[[page]]Dans un billet de blog, Daniel Eran Dilger, du site RoughlyDrafted Magazine, émet un avis assez proche. « Google copie toute idée originale qu'il peut trouver, à l'instar d'une énorme éponge d'informations, aspirant les modèles économiques et les créations innovantes afin de les dupliquer à sa façon, souvent avec peu de succès », écrit-il. « Google est le plus grand voleur d'informations, il se conduit comme un rouleau compresseur pour ses partenaires, pour les créateurs de contenus et ses concurrents, au nom de son concept du progrès en marche, et il justifie ce qu'il fait en expliquant qu'il s'agit d'un « remix » d'idées proposé gratuitement. Tout cela est très bien si vous ne vous mettez pas à vous plaindre de voir des gens prendre l'information que vous proposez, sans autorisation, de façon publique, « remixer » à leur tour cette information. »

Google pave-t-il la voie pour d'autres plaignants

D'autres observateurs du débat ont plus de mal à établir un parallèle direct entre l'époque où Google a été accusé de copie et l'incident de cette semaine. « Bien qu'il y ait des points communs, je pense que la situation est un peu différente. Dans les cas invoqués [Books, Google News et YouTube], Google ne copiait pas un concurrent pour le combattre, estime de son côté Ray Valdes, du Gartner, dans un e-mail adressé à nos confrères d'IDG News Service.

Eric Goldman, professeur de droit associé à l'Université de Santa Clara, fait remarquer que Google n'a apparemment pas prévu de faire un procès à Microsoft. « Il semble qu'il vienne de réaliser qu'en affaires, c'est de bonne guerre pour des sociétés de copier leurs concurrents, aussi longtemps que ce qui est copié n'est pas protégé par copyright, marque déposée, brevets ou par d'autres moyens légaux », souligne-t-il. Selon lui, Google pourrait ainsi ouvrir la voie pour d'autres récriminations, voire procès d'utilisateurs à l'encontre de Microsoft pour violation de la vie privée. Google a indiqué qu'il croyait que l'éditeur de Windows récupérait les requêtes d'utilisateurs par l'intermédiaire de son navigateur Internet Explorer et de la barre d'outils de son moteur de recherche Bing. Accusations également contestées par Microsoft.

Finalement, Eric Goldman voit cet éclat comme le dernier épisode d'une série d'affrontements publics entre les deux entreprises. « Ils cherchent toutes les occasions pour s'épingler ». Coïncidence ou pas, la controverse est apparue le jour même d'un événement sur la recherche sponsorisé par Microsoft, par le biais d'un article exclusif sur le blog Search Engine Land, qui s'est trouvé renseigné par Google sur ces allégations. Matt Cutts, ingénieur chez Google, a mis le problème sur le tapis durant une table ronde à laquelle il participait pendant cet événement, engageant une rixe verbale avec Harry Shum, vice président chez Microsoft.

Sur le terrain de la recherche aussi, Google a emprunté

Parmi les observateurs, certains rappellent que, sur le terrain spécifique de la recherche, Google lui-même a été accusé de copier certaines fonctionnalités sur des concurrents, incluant Bing et Ask.com. Interrogé par téléphone, l'analyste métier Greg Sterling, de Sterling Market Intelligence, considère que « Google a certainement emprunté à d'autres. Je ne dirais pas qu'il a volé, mais il a quelquefois lourdement emprunté ». Il n'est pas le seul à l'avoir fait, dans le secteur des moteurs de recherche où « chacun surveille largement la concurrence et où on duplique des choses qui sont perçues comme étant les meilleures pratiques et des fonctions intéressantes », a ajouté Greg Sterling.

D'ailleurs, en se défendant lorsqu'on l'a attaqué de numériser et d'indexer des livres sans avoir demandé la permission à leurs auteurs, Google s'est aussi appuyé sur le principe d'une utilisation équitable (« fair use »), qui autoriserait l'utilisation non autorisé d'éléments protégés par copyright dans certaines circonstances et limites. « Google a bénéficié d'une interprétation généreuse de cette utilisation, rappelle Greg Sterling. Il y a sans nul doute une certaine ironie du sort ici lorsque Google se plaint d'être copié par quelqu'un ». Contacté par nos confrères d'IDG News Service, Google n'a pas commenté cette affaire.