Désormais ouvertement adversaires sur le marché des infrastructures des centres de calcul, l'équipementier de réseau Cisco et le géant des serveurs et du stockage HP sont au moins d'accord sur une chose : tout a commencé avec le lent décollage de la virtualisation. « A l'enthousiasme des premières années succède aujourd'hui la volonté d'industrialiser la virtualisation », commente Bruno Dutriaux, chargé du développement partenaires pour la division Datacenter et virtualisation chez Cisco. C'est aussi au nom de l'industrialisation de la virtualisation qu'HP a déterré la hache de guerre : « la crise de 2008 a poussé le marché vers le cloud et donc vers l'industrialisation de l'infrastructure, commence Philippe Rullaud, directeur de la division serveurs x86 pour la France chez HP. Un même constat, mais dont les deux constructeurs tirent des leçons bien différentes.

Les briques pour simplifier l'infrastructure

« C'est une affaire de point d'observation », risque Guy Lefebvre, directeur de la division Stockage chez Adstore, avant de remarquer qu'HP dispose dans son portefeuille des trois grandes briques technologiques de la future informatique en nuage, le réseau, le stockage et les serveurs, alors que Cisco, lui, doit compter sur des partenaires. Chez HP, l'argumentation développée pourrait se résumer à un seul mot, la convergence. Les infrastructures informatiques seraient appelées à devenir des boîtes noires, des briques préconfigurées au fonctionnement le plus standard possible, la complexité étant gérée au plus près des applications, dans les couches logicielles virtualisées. « Pour réaliser cela, il faut simplifier, il faut pouvoir faire évoluer à la même vitesse les composantes serveur, stockage et réseau de l'infrastructure », explique Olivier Petit, chef de produits Blade chez HP. La marque dresse volontiers une vision d'ensemble de l'évolution de l'informatique, et se voit bien jouer le rôle du chef de file. Pour l'équipementier de réseau, la vision de l'avenir s'inspire des problèmes rencontrés par les entreprises au présent. « Plus vous ajoutez de serveurs en lame, plus votre réseau se complexifie. Si l'on veut réussir le cloud, il faut simplifier », explique Bruno Dutriaux.

Des approches techniques difficiles à différentier

Là encore, les deux frères ennemis sont à l'unisson. Et d'un point de vue purement technique, il reste difficile pour un non spécialiste de différentier clairement les deux offres. Virtual Connect de HP et Unified Computing System de Cisco ont en effet de nombreux points communs. Toutes deux utilisent un couple de commutateurs de coeur de réseau qui embarque toute l'intelligence de configuration des connexions LAN et SAN. Toutes deux proposent de concentrer les serveurs lames dans des châssis qui seront connectés aux commutateurs de coeur de réseau. Toutes deux poursuivent le même objectif, éliminer les câbles et apporter plus de flexibilité. Avec son offre Virtual Connect, HP revendique jusqu'à 95% de câbles et d'équipements de réseau en moins dans le data center. De son côté, Cisco explique que son offre Unified Computing System permet de réduire à une petite demi-heure le délai de mise en production d'un nouveau serveur lame, là où la concurrence mettrait plusieurs jours ou semaines.

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D'accords sur l'analyse du besoin, d'accords sur les solutions techniques, les frères ennemis du datacenter ne s'affrontent en réalité que sur un seul terrain, leur propre survie dans ce grand chambardement du marché. «  Derrière ces grandes manoeuvres, nous assistons à un mouvement de fond visant la simplification des offres, décrypte Yann Plétan d'Altimate. Stockage, réseau ou puissance de calcul, chaque brique des futurs cloud ne représentera plus à terme qu'une seule référence incluant le matériel et le logiciel. L'ère des bundles composés à la main par les revendeurs est en train de s'achever ». Même son de cloche chez les constructeurs qui, là encore, utilisent la même référence à l'industrie automobile pour insister sur ce qui les différentient : « Hier, un constructeur assemblait dans son atelier toutes les pièces de chaque véhicule, rappelle Bruno Dutriaux. Aujourd'hui, il fait appel à des ensembliers. Il est en train de se passer la même chose dans l'industrie informatique ».

Le réveil d'un vieux démon

A ceci près que dans ce match de titans, la plupart des coups risquent de s'échanger en dessous de la ceinture. « HP couvre déjà la totalité de l'offre alors que Cisco doit encore convaincre sur ce point », remarque Guy Lefebvre. Conscient des enjeux, HP pousse son avantage. Dans l'argumentation commerciale qu'il destine à ses partenaires, il n'hésite pas à enfoncer le clou et à insister sur le caractère disparate, lourd, peu intégré, de l'offre concurrente. La convergence, chez HP, se raconte en quelques chiffres : 2 composants au coeur de l'architecture cloud d'HP contre une trentaine requis par l'offre concurrente, et 95% de câbles en moins. Mais par rapport à quoi exactement ? A force de vouloir convaincre, le géant risque de finir par réveiller une inquiétude aussi vieille que l'informatique, celle du monopole absolu.

Pour aussi séduisant et pratique qu'il soit, le « one stop shopping » ou interlocuteur unique proposé par HP laisse toujours le sentiment d'avoir perdu une certaine liberté de choix. Et cela d'autant plus que, d'annonce en annonce, le géant de Palo Alto confirme son intention de capter un à un tous les marchés de ses concurrents. Dernier en date, le 23 novembre, le marché de la consolidation des applications Unix sur des infrastructures blades x86. En face, chaque mouvement du géant rapproche des ténors de l'informatique qui n'auraient pas imaginé s'allier auparavant. « Il faut regarder au delà de cette bataille d'acteurs pour voir où se dirige vraiment le marché, tempère Yann Plétan d'Altimate. Si on fait cela, on se rend compte que ce n'est pas seulement l'offre des constructeurs qui évolue, mais que nos métiers sont aussi en train de changer en conséquence ».