Cinq associations engagées dans la défense du droit numérique se préparent à manifester leur désaccord devant le siège social de Google, ce vendredi 13 août, à Mountain View (Californie). Les organisateurs, Free Press et MoveOn.org, espèrent convaincre le groupe dirigé par Eric Schmidt, d'abandonner la proposition qu'il a conjointement préparée avec l'opérateur américain Verizon et publiquement communiquée en début de semaine. Ce document propose un cadre législatif « destiné à préserver l'ouverture d'Internet et les marchés innovants qu'il soutient, mais aussi à protéger les utilisateurs et à encourager la poursuite des investissements dans le haut débit ». Google et Verizon y suggèrent notamment de donner à la Federal Communications Commission (FCC) américaine un pouvoir limité pour faire respecter les règles de neutralité au sein de l'Internet, y compris la possibilité d'infliger des amendes pouvant atteindre 2 millions de dollars pour des violations commises par les fournisseurs d'accès Internet.

Pas de hiérarchisation du trafic Internet

Les deux groupes préconisent que les fournisseurs de services Internet ne soient pas autorisés à limiter ou à dégrader le trafic, même dans le cas où ils vendent des services hors de l'Internet public. La proposition interdit ainsi aux prestataires de « se livrer à une discrimination injustifiée contre tout contenu licite sur Internet, toute application, ou tout service, d'une manière préjudiciable à la concurrence ou aux utilisateurs ». La hiérarchisation du trafic Internet serait également considérée comme discriminatoire et les fournisseurs d'accès seraient obligés d'y mettre fin.

Dans leur texte commun, Google et Verizon ont indiqué que leurs propositions concernaient l'Internet filaire et pas l'Internet sans fil haut-débit, estimant que ce dernier marché était encore naissant.  « Nous reconnaissons que l'Internet sans fil haut-débit est un domaine à part, différent de l'Internet filaire traditionnel, notamment parce que le marché du mobile est plus concurrentiel et change plus rapidement », ont-ils déclaré. S'ils confèrent à la Federal Communications Commission le pouvoir de faire respecter les principes existant en matière de neutralité de l'Internet, celle-ci n'aurait pas le pouvoir de créer de nouvelles règles, ainsi que l'a laissé entendre Julius Genachowski, le président de la FCC.

Le rôle de la FCC sera de traiter les plaintes pour violations de la neutralité du net au cas par cas, et seulement après que les parties aient tenté de résoudre leurs différends par l'intermédiaire d'organismes impliquées dans la gouvernance de l'Internet. Selon les modalités prévues par la proposition de Google et de Verizon, la FCC serait « compétente pour donner son point de vue après décisions ou avis consultatifs émis par ces groupes. » La proposition permettrait aussi d'exiger des prestataires plus de transparence quant à la qualité des services et des vitesses octroyées.[[page]]
En vertu des règles de la neutralité du net, ou d'un Internet ouvert, les fournisseurs Internet n'auraient pas le droit de faire du blocage sélectif ou de ralentir le trafic Web. « Les architectes de l'Internet ont bien fait les choses, » ont déclaré Alan Davidson, en charge de la politique publique chez Google, et Tom Tauke, vice-président des affaires publiques, de la politique, et des communications chez Verizon, dans un blog. « En réalisant un réseau ouvert, ils ont créé le plus grand outil pour favoriser l'échange d'idées de l'histoire. En rendant l'Internet évolutif, ils ont laissé la possibilité à l'infrastructure d'être transformée sans limite. » La proposition est une tentative de «trouver des moyens pour protéger la future ouverture de l'Internet et d'encourager le déploiement rapide du haut débit, » ont-ils encore écrit.

Aucun arrangement commercial entre Google et Verizon

L'annonce publiée par Google et Verizon intervient après plusieurs jours de rumeurs et d'articles de presse selon lesquels les deux sociétés auraient conclu un accord sur la gestion du trafic de Google par Verizon. Selon Ivan Seidenberg, président et PDG de Verizon, « la proposition est un ensemble de recommandations à l'attention des décideurs politiques américains et des fournisseurs d'accès Internet. Elle ne permet pas de favoriser le trafic de Google sur l'Internet public, » a t-il déclaré, ajoutant qu' « il n'y avait eu aucun arrangement commercial entre les deux entreprises. » Eric Schmidt, président et PDG de Google a déclaré pour sa part que « les affirmations selon lesquelles l'accord entre Google et Verizon est un accord commercial sont fausses, inexactes et incorrectes. »

Public Knowledge et Free Press, deux groupes qui militent pour le droit numérique et tentent d'imposer des règles formelles pour la neutralité du net à la FCC, ont critiqué l'initiative de Google et de Verizon, estimant qu'elle ne va pas assez loin pour protéger un Internet ouvert. « L'accord conclu entre Verizon et Google sur la façon de gérer le trafic Internet n'est rien d'autre qu'un accord privé entre deux mastodontes, et ne devrait pas servir de modèle ou de base, à l'action du Congrès ou de la FCC, » a déclaré Gigi Sohn, la présidente de Public Knowledge. « Cette proposition est inapplicable et ne fait presque rien pour préserver un Internet ouvert », explique-t-elle dans un communiqué. Selon elle, ces dispositions permettrait aux fournisseurs de services Internet haut-débit sans fil « de verrouiller n'importe quelle application, contenu ou service, à partir du moment où ils en informent les utilisateurs. » [[page]]
Avec Joel Kelsey, le conseiller politique de Free Press, la présidente de Public Knowledge a également critiqué le fait que l'accord permettrait aux fournisseurs d'offrir des services gérés qui échappent aux règles de neutralité de l'Internet. « On peut très bien imaginer que, selon les termes de la convention, un fournisseur de réseau puisse consacrer 90 % de sa capacité à des services prioritaires et 10 % au reste de l'Internet , » a ainsi déclaré Gigi Sohn. « Si les services gérés sont autorisés à cannibaliser le meilleur de l'Internet, les systèmes de protection, quels qu'ils soient, n'ont plus aucun sens. »

Selon Joël Kelsey, l'accord est même « bien pire » qu'une entente commerciale entre les deux sociétés, comme cela a été évoqué. « Google et Verizon peuvent utiliser tous les subterfuges pour maquiller cet accord en le posant comme voie raisonnable à suivre, mais si ce cadre de travail était adopté par le Congrès et par la FCC, l'Internet libre et ouvert deviendrait une plate-forme aussi fermée que celle de la télévision par cable, » a-til déclaré. «C'est un cadre politique signé, scellé et livré qui entérine le partage de l'Internet pour remplir les poches de quelques entreprises et de quelques providers,» a t-il encore commenté.

Le PDG de Google a minimisé le fait que la proposition permettrait aux fournisseurs d'accès Internet d'orienter la majorité de leurs investissements vers des services gérés privés. « Verizon et d'autres consacrent une part financière importante pour rendre l'Internet public plus utile, tout simplement parce que c'est ce que veulent leurs clients, » a t-il déclaré. « S'ils devaient choisir de ne pas entretenir ce marché, d'autres concurrents feraient leur apparition pour prendre leur place. »

Les responsables de Verizon et de Google indiquent que la proposition est une tentative pour aller de l'avant et dépasser le débat souvent controversé sur la neutralité du réseau. « Les deux entreprises veulent assurer la croissance de l'Internet », a affirmé Ivan Seidenberg. « De mon point de vue, il s'agit là d'un réel progrès », a encore déclaré Eric Schmidt. « Si cette proposition est mise en oeuvre pour tout l'Internet, et nous espérons que ce sera le cas, cela pourrait toucher la qualité du service et garantir une ouverture du net pour tous les citoyens américains, » a-t-il déclaré.