(Source EuroTMT) Depuis quelques années, un débat monopolise toutes les attentions : celui de la « net neutralité ». Lancé aux Etats-Unis par les géants de l'Internet en raison de l'absence de concurrence sur la boucle locale, il a rebondi en Europe où politiques et associations de consommateurs s'inquiètent de la possibilité pour certains (comprendre les opérateurs télécoms) d'entraver l'accès à la Toile.

Si les tentations de censure d'Internet par certains gouvernements (comme le montre l'affaire Wikileaks) justifient ces craintes, ce débat sur la « net neutralité » cache, en fait, un tout autre objet : comment réguler les relations entre Internet, les télécommunications et l'audiovisuel (et plus généralement les industries culturelles) ? Car Internet est aussi (et d'abord ?) un gigantesque enjeu économique et financier. Faisant voler en éclats toutes les barrières, Internet constitue le champ de confrontations entre trois acteurs : les opérateurs de télécommunications, l'audiovisuel traditionnel et les fournisseurs de contenus en ligne. Or de lourdes réglementations encadrent l'action de deux premiers, alors que la troisième catégorie d'acteurs n'est soumise à aucune régulation.

Réguler Internet ou déréguler les médias et les télécoms

Industrie virtualisée et donc facilement délocalisable, Internet impose donc une remise en cause des réglementations des télécoms et de l'audiovisuel. « Il existe une solution simpliste : comme on ne peut pas réguler Internet, il suffirait alors de faire sauter la régulation audiovisuelle. Mais cette régulation se justifie au regard de plusieurs objectifs (financement de la création, protection de l'enfance...). Il faut donc trouver une régulation adaptée à Internet » constate Emmanuel Gabla, du CSA, tout en reconnaissant qu'un tel travail ne peut se faire qu'au niveau européen ou international. En fait, cette remise en cause des régulations sectorielles pose un problème majeur surtout pour l'audiovisuel. Car pour les télécoms, le nouveau Paquet voté fin 2009 permet aux autorités de régulation nationales d'avoir les moyens d'analyser les relations entre les opérateurs télécoms et les acteurs de l'Internet et d'agir le cas échéant.

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Et pas seulement contre les opérateurs télécoms, un peu trop rapidement jugés par l'opinion publique comme de possibles fauteurs de troubles. « Du point de vue de l'Arcep, la régulation d'Internet, c'est avant tout la régulation des réseaux. Si les services et contenus sont virtualisés, le trafic circulant sur les réseaux est bien réel et c'est sur lui que la régulation de l'Arcep à une prise » souligne Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep. Et il y a un endroit bien précis où la régulation télécoms peut s'appliquer : au niveau des interconnexions.

Un déséquilibre économique certain

Pour le coup, certains grands noms de l'Internet (comme Google) ont investi dans les réseaux pour disposer de leur propre infrastructure : Google dispose ainsi de quelques 200 points d'interconnexion avec des opérateurs télécoms, Facebook en a 27. Or jusqu'à présent dans l'Internet, ces interconnexions étaient soumises à la règle du « peering » (connexion et échange de trafic point à point) gratuit. Mais le déséquilibre du trafic échangé entre Google et chaque opérateur télécoms est devenu tel que les autorités de régulation peuvent vérifier si le géant de l'Internet n'abuse pas de sa force pour contraindre les opérateurs à maintenir des accords de gratuité là où il devrait payer pour faire passer son trafic. La situation est en revanche beaucoup plus complexe pour l'audiovisuel. « En 1986, lors de l'ouverture de l'audiovisuel à la concurrence, un deal a été conclu entre les acteurs privés et le gouvernement : en échange de la gratuité des fréquences radio, les entreprises avaient un certain nombre d'obligations en matière de contenus et de financement du cinéma », rappelle un spécialiste.

Google/YouTube et Facebook ne financent pas la production de contenus

« Or ce deal est en train de voler en éclats puisqu'une part croissante des programmes audiovisuels passe maintenant par les réseaux télécoms, alors que les acteurs traditionnels sont en concurrence avec des acteurs de l'Internet sur lesquels ne s'appliquent pas ces contraintes » précise ce même spécialiste. D'où une double interrogation : que faire, à terme, de cette partie du spectre radio d'émission utilisée gratuitement par l'audiovisuel traditionnel alors que les besoins de la téléphonie mobile (qui paie - elle - ses fréquences) sont croissants, et comment appliquer à Internet les contraintes de l'audiovisuel ? Si tous les acteurs sont conscients du problème, personne n'a la réponse.

Et certains dans l'audiovisuel se réfugient trop facilement derrière quelques certitudes (la consommation de la télévision traditionnelle demeure élevée) pour évacuer la question. « Faisons attention aux équilibres économiques en place qui sont fragiles : les mêmes règles doivent s'appliquer à tout le monde » répond ainsi un dirigeant de l'audiovisuel, refusant de voir que le monde a changé. Avec l'arrivée massive des téléviseurs connectés dans les foyers occidentaux, l'explosion des cadres réglementaires est en train de se produire. Et faute d'une réponse rapide des pouvoirs publics européens, c'est bien Internet qui imposera sa loi.