Pierre Lescure, ancien patron de Canal+, a remis ce lundi 13 mai 2013 son rapport au Président de la République dans le cadre de la Mission « Acte II de l'exception culturelle ». 80 propositions sont ainsi avancées. Bien sûr, ce rapport n'est qu'un avis préalable et il reste à savoir ce que le pouvoir politique retiendra. Mais les grands axes, en toute logique, devraient être conservés dans la future réglementation. Le profil d'homme des « industries culturelles » de Pierre Lescure a été et est toujours fortement critiqué, notamment par La Quadrature du Net. A l'inverse, la SACEM a fait savoir qu'elle soutenait les propositions du rapport.

Pierre Lescure aborde, dans son rapport, tous les sujets qui fâchent : copie privée, partage sur Internet, DRM, disponibilité des oeuvres en ligne dans une offre légale... La Hadopi serait bien enterrée mais la règle resterait l'interdiction du partage et le principe celui de la répression de la contrefaçon, même sans but lucratif.

Neutralité technologique et taxation des smartphones


La proposition 21 du rapport insiste sur un renforcement du principe de neutralité technologique avec une inscription de celui-ci dans une future directive européenne. Cette neutralité aura notamment une traduction fiscale : pour une oeuvre donnée, sa fiscalité (TVA notamment) devra être similaire quel que soit le support considéré. Les redevances diverses sur l'exploitation audiovisuelle seraient également alignées quel que soit le support, hertzien ou en ligne notamment.

De la même façon, la redevance pour copie privée (RCP), très contestée, serait refondue. La commission fixant cette redevance accueillerait ainsi des représentants des ministères concernés (comme la Culture). Si le stockage en cloud serait bien intégré aux supports concernés par la RCP, cette redevance serait fixée par décret sur avis conforme de la commission et plus par la seule volonté de ladite commission. Les produits générés par la RCP devraient être gérés avec beaucoup plus de transparence qu'aujourd'hui, notamment pour expliciter les services bénéficiant de son financement.

Les terminaux pouvant lire des contenus culturels devraient être taxés. Derrière ce concept très vague, il faut lire : taxe sur les smartphones. L'idée est bien de faire payer des acteurs aujourd'hui peu soumis à la fiscalité française comme Apple. Aurélie Filippeti, ministre de la Culture a déjà indiqué que "cette taxe serait très faible"

La Hadopi enterrée mais l'esprit survit

Le sujet le plus polémique sur lequel le rapport était attendu est bien sûr le sort de la Hadopi et, au-delà, de la riposte graduée. L'autorité administrative et ses commissions annexes devraient, d'une manière générale, être remplacées par le CSA. Mais ses missions ne disparaîtraient pas.

Le CSA s'occuperait aussi de l'interopérabilité des DRM. Mais il prendrait également en charge la riposte graduée revue et corrigée. La contrefaçon redeviendrait le délit expressément réprimé (au lieu de l'absence de protection d'un réseau WiFi) mais cette répression serait différenciée selon son caractère lucratif ou non. La non-sécurisation redeviendrait une obligation de moyen, la suspension de l'accès Internet serait supprimée de l'arsenal répressif et les « sites miroirs » pourraient être frappés automatiquement de la mesure de censure du site original, filtré par décision de justice.

Les hébergeurs devraient obligatoirement intégrer dans leurs conditions générales de vente le respect de la propriété intellectuelle. Cette mesure faciliterait la fermeture des sites de contrefaçon hébergés sur le territoire national. De la même façon, la détection des oeuvres contrefaites pourrait être facilitée par la création d'une base d'empreintes numériques entre les mains des offices en charge du dépôt légal (INA, BNF...). A l'inverse, le rapport souhaite un assouplissement des licences pour les plates-formes d'hébergement non-lucratif, y compris pour faciliter la diffusion d'oeuvres transformées.

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La propriété intellectuelle modernisée

La propriété intellectuelle ferait, au-delà, l'objet d'une sensibilisation renforcée. Le CSA en serait évidemment chargé en partie mais l'Education Nationale devrait y contribuer. Reste à savoir si c'est bien la propriété intellectuelle qui serait promue et pas la seule vision commerciale des majors. Autrement dit, les licences de partage de type Creative Commons seront-elles bien expliquées à nos chères petites têtes blondes ?

Ceci dit, le rapport promeut l'idée d'une modernisation de la propriété intellectuelle. Le domaine public serait défini positivement dans la Loi. Les reproductions d'oeuvres du domaine public seraient par nature également dans le domaine public. Les auteurs pourraient même déposer dans le domaine public leurs oeuvres avant le terme normal (70 ans après le décès du dernier auteur). Un quota d'oeuvres sous licences libres pourrait être imposé lorsqu'un porteur de projet de diffusion d'oeuvres bénéficie d'un soutien public.

Les sociétés de gestion collectives seraient même encouragées à permettre à leurs membres d'autoriser des usages non-lucratifs de leurs oeuvres. Elles seraient également encouragées à faciliter les autorisations d'usage au travers de portails en ligne pour automatiser celles-ci dans les cas simple.

Numérique en avant toute

Tout d'abord, si les propositions du rapport sont suivies par le gouvernement, le numérique ne devrait plus être considéré comme une verrue à l'exploitation traditionnelle des oeuvres, tous secteurs confondus (livre, musique, cinéma, jeu vidéo...). A plusieurs reprises dans les propositions avancées, il est rappelé que le numérique doit être considéré comme le canal essentiel d'exploitation des oeuvres et que leur disponibilité en numérique doit être un préalable à toute forme de soutien public. Les deux tiers seulement des oeuvres de la rentrée littéraire connaissent cependant une exploitation numérique. Que font les éditeurs du tiers restant ?

Pour les oeuvres anciennes, les contrats ne prévoyaient pas l'exploitation numérique. Afin de régler ce problème, le régime de la gestion collective pourrait devenir une obligation pour les oeuvres indisponibles actuellement. Les auteurs ou leurs ayant-droits pourraient même enjoindre les éditeurs d'exploiter les oeuvres sur un support numérique. Le refus d'exploitation devrait pouvoir être contourné avec recours obligatoire à la gestion collective (de type SACEM) dans ce cas.

Un tatouage numérique pour éviter les DRM bloquantes


Des subventions devraient pouvoir être débloquées pour favoriser la numérisation du patrimoine existant. Plusieurs négociations sectorielles ou changements législatifs sont envisagés, comme la modification de la chronologie des sorties d'oeuvres cinématographiques sur les différents supports. La création d'oeuvres nouvelles sur un support numérique devrait aussi être aidée, notamment en matière de cinéma avec une adaptation des règles applicables aux sociétés de financement du secteur, les Sofica.

Les DRM « bloquantes » devraient être remplacées par des tatouages numériques. L'idée est ici de préserver la liberté d'usage associée aux supports physiques dans les usages des supports numériques. Le rapport se préoccupe notamment du cas particulier des bibliothèques.

La régulation des DRM serait confiée au CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel). Une de ses missions explicites serait de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection. L'exception de copie privée devrait faire l'objet d'un encadrement avec un nombre minimal garanti de copies. Mais les abus de la mention « DR » et de photographies non-sourcées, notamment par la presse, devraient faire l'objet d'une réglementation contraignante (mesure n°37).

Les mesures 79 et 80 prévoient un usage des métadonnées des oeuvres pour gérer les droits autour de ces oeuvres. Ces métadonnées seraient de fait à normaliser. Le respect des normes en la matière serait une condition sine qua non de soutien public à la diffusion des oeuvres.