Christine Albanel et les industriels de la culture peuvent se réjouir. Les internautes et les légalistes ont de quoi se lamenter. Le Conseil de l'Union européenne, dans le cadre de l'examen du 'Paquet télécoms', vient en effet de rejeter l'amendement 138. Ce texte, adopté à une majorité écrasante par les eurodéputés en septembre, étrillait implicitement le principe de riposte graduée prévu par le projet de loi français Création et Internet voté en octobre par le Sénat. L'amendement rappelait ainsi que les libertés des citoyens ne pouvaient être restreintes que sur décision d'une autorité judiciaire. Or, le projet de loi français qui vise à endiguer le téléchargement illicite, prévoit que les sanctions prononcées contre les internautes récalcitrants seront prononcées par l'Hadopi, une autorité administrative. Si le texte plébiscité par les élus du Parlement européen ne pouvait s'opposer directement aux desseins de Paris, il faisait mauvais genre. C'est pourquoi l'exécutif français a multiplié les initiatives pour forcer la main aux institutions européennes afin qu'elles rejettent l'amendement 138. Que ce texte soit légitime car voté par les seuls représentants du peuple au sein de l'UE semble n'avoir jamais ému la France. Une décision peu surprenante [[page]] Nicolas Sarkozy a pu profiter de son statut de président de l'Union européenne pour inciter les 27 à rejeter l'amendement. Comme nous l'annoncions au début du mois, la décision que vient de prendre le Conseil était largement pressentie par les observateurs. Guy Bono, l'un des auteurs de l'amendement 138, nous indiquait récemment que le président de la République avait exercé un « gros pressing » sur les membres du Conseil européen. Aujourd'hui, après que ce qu'il redoutait s'est réalisé, il s'indigne et estime que « le Conseil, à l'image de Nicolas Sarkozy, donne une piètre image de la démocratie européenne. » Partant, l'édile considère que son amendement « posait manifestement des problèmes [au chef de l'Etat] et à ses amis les majors. » « Une très bonne nouvelle » pour Christine Albanel De son côté, la ministre de la Culture, Christine Albanel se frotte les mains et félicite les Etats membres de l'UE d'avoir conduit au peloton d'exécution un amendement qui « se bornait à rappeler des principes très généraux [et qui] n'ajoutait rien au droit existant. » Surtout, estime la ministre, l'amendement comportait des termes imprécis « qui se prêtaient à toutes les manipulations ». Le ton est donc donné : selon la rue de Valois, le texte déposé par Guy Bono n'avait pour autre but que de s'opposer aux ayants droit. Désormais, précise Christine Albanel, « les ennemis des créateurs devront se battre à découvert. » [[page]] Et ce ne sont pas les critiques émises hier par la Commission européenne qui feront sourciller la préposée à la Culture française. Dans une longue lettre adressée à l'exécutif hexagonal, Bruxelles a fait la liste de ses observations sur le contenu de la loi Création et Internet. La Commission pose ainsi de nombreuses questions, notamment sur l'absence de proportionnalité entre le but - protéger les droits d'auteur et droits voisins - et les moyens - suspendre l'accès à Internet. En coupant l'abonnement au Web des internautes récalcitrant, l'Hadopi ne respecterait pas la directive européenne « service universel » qui impose aux Etats l'obligation de garantir l'accès de tous à Internet, ne serait-ce qu'en bas débit. Autre grief : en ne permettant pas aux internautes qui recevront les messages d'avertissement précédant la coupure de leur accès, le projet de loi français « pourrait mettre en danger le droit fondamental à un procès équitable ». Le calme avant la tempête Les admonestations bruxelloises n'ont certes pas de caractère contraignant pour Paris et ne remettent donc pas en cause le projet de loi Création et Internet. Elles viennent cependant rappeler, une nouvelle fois, que la Commission ne signera pas de blanc-seing à la France. Le Parlement réexaminera l'amendement 138 en deuxième lecture - Guy Bono assure qu'il déposera à nouveau un texte, peut-être encore plus précis et virulent que le premier - et l'adoptera sans aucun doute. Or, le texte final, qui sera adopté en 2009 par les 27, sera le fruit d'un compromis entre les eurodéputés et le Conseil, sous l'arbitrage de la Commission. Cette dernière a déjà fait état de ses réserves et le Conseil ne subira plus l'influence de la France, qui ne présidera en effet plus l'Union européenne et aura laissé sa place à la République Tchèque. Le retrait, hier, de l'amendement 138, pourrait donc n'être qu'un répit laissé à la France avant que l'Europe ne vienne définitivement contrarier le principe de la riposte graduée.