Après que les députés de Strasbourg ont adopté à une immense majorité un amendement étrillant le principe de la riposte telle qu'elle est conçue dans le projet de loi français Création et Internet, l'exécutif français fait feu de tout bois pour que le texte honni soit abandonné. L'amendement, déposé par le socialiste français Guy Bono et le Vert Daniel Cohn-Bendit, dispose qu'aucune restriction à la liberté d'expression et d'information d'un citoyen ne peut être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire. Or, la loi élaborée par le ministère français de la Culture pour endiguer le téléchargement illégal prévoit que les internautes s'adonnant à une telle pratique pourront voir leur abonnement à Internet suspendu ou résilié sur simple décision d'une autorité administrative, l'Hadopi. Si, dans un premier temps, Christine Albanel, la ministre de la Culture, réagit sereinement, estimant que l'amendement ne remet rien en cause, la rue de Valois fait rapidement machine arrière et réalise qu'il sera délicat de voter une loi s'inscrivant en contradiction avec un principe posé par les eurodéputés. Viviane Reding, la Commissaire européenne à la Société de l'Information, entre alors dans l'arène et vole au secours de la ministre: la Commissaire assure qu'elle rejettera l'amendement. Sarkozy demande l'engagement de Reding à Barroso Une assurance de très courte durée car, préoccupée par sa prochaine réélection par les eurodéputés, Viviane Reding n'entend pas se montrer méprisante avec le législatif communautaire. Ses récriminations contre l'amendement Bono font donc long feu. Même les efforts déployés par Christine Albanel, qui propose, pour pérenniser son projet de loi, de définir l'Hadopi comme 'un tribunal', sans référence à la nature administrative ou judiciaire de l'instance. Peine perdue, Viviane Reding ne reviendra pas sur le dossier. [[page]]Nicolas Sarkozy, voyant le projet de loi français se déliter, décide alors de mettre les pieds dans le plat. Puisque Viviane Reding n'entend plus s'opposer à l'amendement, le président français entreprend de s'adresser à l'échelon hiérarchique supérieur, en l'occurrence José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. En fin de semaine dernière, dans une lettre destinée au chef de l'exécutif communautaire, le locataire de l'Elysée rappelle l'impérieuse nécessité de « protéger les artistes interprètes tout en préservant la santé économique de leurs partenaires (les producteurs, NDLR) ». De fait, le Président français demande à José Manuel Barroso d'intervenir pour que la Commission rejette l'amendement Bono, présenté comme empêchant « les Etats membres d'appliquer une stratégie intelligente de dissuasion du piratage. » Le président de la République ne manque pas, au passage, d'écorner Viviane Reding, dont il sollicite « l'engagement personnel » auprès de José Manuel Barroso. Cette intervention élyséenne est donc un camouflet pour la Commissaire européenne à la Société de l'information, invitée à être rappelée à l'ordre. Elle l'est également pour Christine Albanel : en demandant le rejet de l'amendement, Nicolas Sarkozy contredit sa ministre, qui clamait haut et fort que le vote des eurodéputés ne remettait rien en cause. Enfin, la missive du Président français confirme le peu de considération portée par l'exécutif - national ou communautaire - aux députés européens. Alors que ces derniers siègent dans la seule instance directement désignée par les citoyens de l'UE, leurs décisions n'ont pas de pouvoir coercitif et sont soumises au bon vouloir de la Commission européenne. Ce dont Nicolas Sarkozy veut profiter pour faire disparaître l'amendement Bono-Cohn Bendit. Fin de non recevoir de José Manuel Barroso ((Mise à jour)) La demande de Nicolas Sarkozy n'aura finalement pas ému José Manuel Barroso. Celui-ci oppose en effet une fin de non recevoir à la requête présidentielle, estimant que c'est au Conseil de l'Union européenne de trancher sur l'amendement litigieux. Aussitôt, le prolixe Guy Bono s'est félicité de cette décision : « Le Président français a trop vite oublié le fonctionnement des institutions de l'Union européenne en feignant d'ignorer le principe même de la codécision ». Puis de souligner : « La Commission européenne n'est pas le petit chien de Sarkozy ! Si Sarkozy a ses habitudes de monarque en France, l'Europe n'est pas son royaume ! »