Il y a quelques années, Vint Cerf arborait une chemise où était écrit « IP sur tout », un commentaire facétieux sur la polyvalence du protocole Internet qu'il a contribué à inventer. Aujourd'hui, des chercheurs de l'université de Berkeley en Californie ont testé la maxime de Vint Cerf en faisant fonctionner un réseau IP sur des xylophones. R.Stuart Geiger, étudiant à la School of Information de Berkeley et responsable du projet, concède que « cela n'est pas pratique pour un usage quotidien, mais l'initiative a permis à des novices comme des experts de mieux comprendre comment fonctionne des réseaux informatiques ». Il a parlé de son travail à la conférence de l'Association for Computing Machinery sur les facteurs humains dans les systèmes informatiques qui s'est tenue la semaine dernière à Austin au Texas. Cette expérience lui a donné « une appréciation sur la façon dont Internet a été conçu. Vous pouvez vraiment prendre quelquechose et le placer n'importe où ».

Le protocole réseau de R.Stuart Geiger a été baptisé protocole Internet pour les joueurs de xylophones (IPoXP) et fournit une connexion IP entre deux ordinateurs. Son installation utilise deux microcontrôleurs Arduino, des capteurs, deux xylophones et deux personnes pour jouer. Dans une configuration classique, l'ordinateur envoie un paquet au microcontrôleur en format ACSII, qui le convertit en code hexadécimal. Le microcontrôleur Arduino est rattaché à un ensemble de LED. Chacune de ces dernières correspond à un caractère hexadécimal, ainsi qu'à une clé sur le xylophone. Quand un voyant s'allume, le joueur frappe sur la touche correspondante du xylophone. Des capteurs piezoélectriques sont également présents sur les instruments et sont capables de détecter le moment où une note est jouée sur l'autre xylophone. Le microcontrôleur capte cette information pour l'ordinateur receveur et la convertit en code hexadécimal.



Technique détaillée de la technologie IPoXP

Un débit d'un bit par seconde

Les caractères sont transmis à raison de un par seconde, ce qui donne un débit d'un baud pour ce réseau. R.Geiger Stuart a utilisé un vieux protocole nommé Slip, pour sérier les données en utilisant un minimum d'en-tête. En règle générale, il faut environ 15 minutes pour transmettre un paquet à ce taux, si le volontaire est assez patient pour compléter le paquet entier et surtout sans faire de fautes. Avec ce projet, les étudiants ont remis à l'honneur le modèle OSI (Open System Interconnection) à 7 couches, utilisé pour la communication des ordinateurs.

[[page]]

Avec ce modèle, chaque couche est encapsulée à partir des autres, assurant ainsi l'interopérabilité à chaque changement de technologie. Dans l'expérience, les joueurs opèrent en couche 1, qui est la couche physique où les bits sont physiquement déplacés d'un système à l'autre. Cependant, les deux ordinateurs ne font pas la différence entre les paquets émis par l'un ou par l'autre des xylophones. « Avec une interface réseau et un OS bien configurés, une application ne sait pas et n'a pas besoin de connaître ce qui se passe au niveau de la couche physique » explique Stuart Geiger.

Réinventer l'interaction homme-machine

Le projet a également fourni quelques indications dans le domaine de la Human-Computer Interaction (HCI) (interaction homme-machine), thème de la conférence. Il a éprouvé une technique que les spécialistes du HCI utilisent pour concevoir des interfaces et baptisée Umwelt. Il s'agit d'imaginer ce que sera le monde des utilisateurs de ces interfaces. Ainsi, l'expérience avec les xylophones a permis aux participants d'avoir la sensation de devenir un circuit. Geiger Stuart a placé les joueurs de xylophones dans des boîtes en carton noir pour les isoler de leur environnement et pour qu'ils se concentrent uniquement sur la transmission des bits. La technique Umwelt « vous oblige à faire preuve d'empathie avec la technologie » conclut le chercheur.

Il n'est cependant pas le premier à substituer une technologie inhabituelle à la brique réseau. En 2001, le Groupe Bergen Linux User a utilisé des pigeons voyageurs pour mettre en réseau deux ordinateurs situés à trois miles de distance. Un autre groupe s'est servi de bongos où chaque tape était cadencée sur un rythme de 1 et de 0.