Comment dit-on cornélien en américain ? Les dirigeants et les avocats d'eBizcuss n'en savent rien, la direction d'Apple refusant tout dialogue avec son distributeur français. Ce dernier, en conflit avec Apple, demande pourtant sa mise en redressement judiciaire auprès du Tribunal de commerce de Paris. Ce sera fait d'ici la fin de la semaine. Le temps de réunir toutes les pièces de cette procédure, eBizcuss étant implanté en France et en Belgique, c'est un peu long.

« Cette mise en redressement judiciaire, c'est l'urgence, même s'il existe d'autres procédures déposées par eBizcuss dans son conflit avec Apple» souligne Marc Santoni l'un des avocats d'eBizcuss. Urgence parce qu'il faut tenter de sauver l'entreprise et ses emplois, 130 salariés en France et 60 en Belgique, où eBizcuss a racheté MacLine au mois d'avril 2011. Mais trouver un repreneur est une affaire très compliquée, comme chaque élément de ce dossier. Un éventuel repreneur doit en effet être agréé par Apple pour accepter ses conditions de livraison et d'exercice du métier de distributeur dans le cadre de la formule des APR. Autant dire que les candidats ne se bousculeront pas au portillon.

Un repreneur a bien surgi, dans les fourgons d'Apple, au cours des discussions intervenues ces derniers mois. Mais il est resté anonyme.  D'où l'inévitable question : Apple veut-il vraiment l'arrivée d'un repreneur ?

François Prudent, sans détour

Autre question inévitable, la direction d'eBizcuss a-t-elle tout tenté pour éviter ce naufrage ? Question que François Prudent, le fondateur et P-dg du groupe affronte sans détour. « Nous avons continué à investir, par exemple en rachetant MacLine en Belgique l'an passé.  Avec ses 5% de résultat, cette filiale nous permettait de continuer nos développements et d'ouvrir d'autres magasins. Mais là encore nous sommes limités par Apple qui nous refuse ces ouvertures. Je compte dix demandes refusées ces  dix huit derniers mois. Nous avons donc bel et bien anticipé cette situation. Ce que nous n'avions pas prévu, c'est le transfert du pouvoir de décision chez Apple, du local à l'Europe et de l'Europe à la corp, dans ces décisions d'ouvertures de magasins. Dans ces conditions, je vous laisse imaginer leurs délais de réponse».

Aujourd'hui, la société est aux urgences. A travers la demande de mise en redressement judiciaire, c'est la pérennité de l'entreprise et la sauvegarde des emplois qui se jouent. Au-delà de ce 1er dossier, eBizcuss a engagé une autre procédure, annoncée la semaine passée. Elle consiste à porter trois griefs contre Apple : abus de position dominante, concurrence déloyale et abus de dépendance économique. Trois griefs déposés devant deux juridictions différentes : l'Autorité de la concurrence et le Tribunal de commerce de Paris. La première peut infliger une amende, la deuxième une condamnation. Les délais sont évidemment longs et ne permettent pas à l'entreprise d'attendre.

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Les deux avocats accumulent les preuves 

eBizcuss a présenté ce 17 avril ses deux avocats : Maître Thouvenin pour l'Autorité de la concurrence, Maître Santoni pour le Tribunal de commerce. Les deux avocats peaufinent leurs dossiers et accumulent les preuves et les arguments. « Nous attendons de l'Autorité de la concurrence, qu'elle nous dise qu'Apple n'a pas respecté les lois du marché, si c'est le cas, Apple sera sanctionné, ce sera au bénéfice de tous les APR » souligne Maître Thouvenin.  Une procédure contradictoire devant l'Autorité de la concurrence se déroule en moyenne 5 mois après son déclenchement, la décision sur le fond intervenant un an et demi plus tard, toujours en moyenne.

Devant  le Tribunal de commerce, les délais sont différents. Seul cas comparable, celui de Google. Il s'agit d'une affaire opposant la société Bottin Cartographes à Google Corp et Google France pour son service Maps de cartographie, livré gratuitement par Google et payant chez Bottin. L'assignation date de juillet 2009, le jugement (condamnant Google) de janvier 2012. Un délai considérable, même si le dossier eBizcuss est fourni.  Sans tout dévoiler, Maître Santoni a évoqué quelques faits. « La baisse de 30% du CA sur un trimestre (le T3 2011), après des problèmes de livraison démontre que ce groupe a  subi de la part d'Apple un ensemble de mesures ne lui permettant pas d'exercer son activité ».

La technique du ciseau tarifaire

Autres exemples, concernant la concurrence déloyale. Quand on va dans un Apple Store, on s'enregistre. Donc Apple a votre adresse et ensuite envoie des mailings pour prévenir des nouveautés et des offres. Juridiquement c'est du détournement de clientèle. Les avocats parlent aussi du « ciseau tarifaire ». Quand eBizcuss se tourne vers Apple, pour être livré, il obtient un certain prix, l'Apple Store aura un prix plus bas. En novembre 2010 par exemple, un type d'iPhone se trouvait à 629 euros prix public dans un Apple Store, il était proposé à 737 euros pour eBizcuss. Sans parler des livraisons, raréfiées pour les APR, abondantes pour les Apple Store.

Dans un 1ertemps les avocats d'eBizcuss ont cherché une solution amiable avec Apple, afin de sauver l'entreprise et ses emplois. En clair, de trouver un repreneur agréé par Apple. Un modus operandi a permis de geler les encours le temps de cette tentative de dialogue, toutes les livraisons étaient payées au comptant, mais eBizcuss était un peu plus livré. N'ayant pas abouti dans leur tentative de dialogue, les avocats vont au Tribunal de commerce dans le cadre d'une procédure collective. Le même choix s'offrira, celui d'un repreneur agréé par Apple. Ce sera à l'administrateur judiciaire désigné par le Tribunal de commerce de discuter avec les dirigeants d'Apple. S'ils veulent bien discuter.

Apple ne réagit pas. La presse américaine spécialisée a pourtant relayé le cas eBizcuss. Et des distributeurs Apple américain ont connu le même conflit avant de sombrer. Rien n'a filtré de leurs discussions éventuelles avec Apple. Tim Cook, le patron mondial, s'est rendu en Chine pour atténuer le conflit avec les salariés de Foxconn son sous traitant. Un conflit qui égratignait son image de marque. Visiblement, il veut ignorer ce qui se passe en France avec eBizcuss et les APR. Son image de marque risque pourtant d'en souffrir et ce conflit peut s'étendre à d'autres APR ou donner des idées à d'autres distributeurs dans le monde IT.