« Une nouvelle génération d'architectes est en train d'émerger, de plus en plus impliquée dans les objectifs stratégiques de l'entreprise. » Et les architectes français ont pris de l'avance sur ce terrain de la « business architecture » (ou architecture métier). Le constat tiré par Forrester, lors d'une table ronde organisée en fin de semaine dernière, est plutôt encourageant pour ce métier qui a souvent du mal à trouver ses marques, entre des équipes projet qui veulent pouvoir avancer comme elles le souhaitent, et des directions métier qui ne comprennent pas forcément leur rôle. Pour Henry Peyret, analyste chez Forrester, le modèle organisationnel des entreprises est en train d'évoluer, et les architectes sont appelés à devenir un rouage essentiel de cette évolution. Selon le cabinet, nous entrons dans l'ère du « smart computing », qui fait suite aux trois premières phases : informatique centralisée, informatique personnelle et informatique en réseau. Dans l'ère Smart computing, des flots de données sont produits par des capteurs, les événements sont filtrés et analysés en fonction de règles métier, déclenchant le cas échéant d'autres événements ou actions, et le tout est consigné à des fins d'audit. Cette nouvelle façon de faire circuler l'information impose une évolution des systèmes d'information, mais aussi de l'organisation des entreprises elles-mêmes. A condition de bien se positionner sur le créneau de la « business architecture », les architectes ont une belle carte à jouer, estime Henry Peyret. Néanmoins, prévient-il, il faudra qu'ils fassent connaître et accepter leur rôle. L'enquête annuelle Forrester sur l'architecture d'entreprise, réalisée en septembre-octobre dernier auprès de 416 informaticiens professionnels de grandes entreprises (et connaissant le domaine de l'architecture), montre un déficit de reconnaissance de la part des directions métier. En France, l'architecture d'entreprise serait quelque chose d'inconnu pour la moitié d'entre elles. Seulement 13% disent l'accepter et 13% lui apporter un support actif. En revanche, le soutien du management est manifeste : 56% des directions informatiques soutiendraient les architectes. Chez Bouygues Telecom, un budget pour nettoyer le SI Le rapport difficile avec les directions métier est probablement lié au rôle de gardien des standards que l'architecte peut endosser, lorsqu'il s'agit de faire en sorte qu'un projet s'inscrive dans l'orthodoxie des investissements déjà réalisés et des plateformes et technologies en place. Vincent Brenet, architecte en chef chez Bouygues Telecom, a apporté lors de la table ronde une réponse à ce problème : les architectes acceptent qu'il y ait des exceptions, afin de ne pas freiner les projets, mais disposent en contrepartie d'un budget pour procéder à un nettoyage régulier du système d'information. « En obtenant de la part de la direction générale un budget consacré à la simplification du SI, les architectes de Bouygues Telecom concourent à l'agilité requise par les directions métier. Le SI peut être considéré comme un actif de l'entreprise, dont la gestion patrimoniale par les architectes doit garantir la pérennité et l'alignement permanent avec les enjeux business et l'environnement concurrentiel. » Un budget pour aider les projets métier à respecter les standards architecturaux [[page]] Pour rendre viable cette gestion des exceptions, « il faut que les architectes soient plus transparents sur les points de synchronisation possibles », prévient Henry Peyret. Une partie du budget alloué par la direction générale peut également servir à co-financer les projets métier, afin que ces derniers se conforment précisément aux règles d'architecture et respectent les standards. « Le système d'information est un patrimoine, explique l'analyste. Et comme tel, il doit être entretenu. Sinon, tout tombe en ruines. » Et s'il est complexe d'obtenir un budget avec cette métaphore sur le patrimoine architectural, on peut aisément démontrer, selon Vincent Brenet et Henry Peyret, que la simplification s'inscrit dans une tendance au « Lean », déjà comprise et acceptée par les directions métier, et procure une plus grande agilité. Concilier les exigences des métiers et la viabilité à long terme du SI Ce rôle de conciliateur entre les exigences fluctuantes du métier et la nécessité de préserver la viabilité à long terme du SI est plus répandu en France que dans le reste du monde, révèle l'étude de Forrester. Probablement une conséquence de l'expérience acquise en France avec le concept d'urbanisme. Christophe Longépé, président du Clud Urba-EA, constate en effet que « les entreprises françaises deviennent vraiment matures en matière d'architecture d'entreprise. Désormais, les architectes, qui étaient surtout cantonnés à de l'architecture de projets, participent au pilotage de la transformation de l'entreprise, en rendant compte au management (DSI ou DG) ». Ces nouveaux architectes d'entreprise devront faire en sorte « non pas d'aligner le SI sur le métier, car ça signifierait qu'il est toujours en retard, mais plutôt de chercher à synchroniser les deux », explique Henry Peyret. « L'architecte d'entreprise aura un rôle clé, pour proposer, et éventuellement maîtriser les risques. » C'est en tout cas une belle voie de reconversion pour des gens qui ont des années de maison, et une vision à la fois technique et métier de leur entreprise.