Et si IBM achetait Sun pour 6,5 Md$ ? Depuis hier que la rumeur circule, le grand bal habituel des réactions et analyses a débuté. Bien qu'aucune des deux firmes n'aient encore souhaité commenté cette hypothèse, plongeons au coeur de ses possibles conséquences. Pour commencer, et sans surprise, le monde Java s'agite. Même si on peut supposer que MySQL et Glassfish constitueraient des offres Open Source d'entrée de gamme satisfaisantes pour IBM, c'est plutôt l'inquiétude qui domine. Sur le site Javalobby, par exemple, certains s'inquiètent de voir IBM favoriser son environnement de développement Eclipse face au Netbeans de Sun. "Quel intérêt pour un même fournisseur d'avoir deux IDE ? " peut-on lire. "A peine Sun acheté, IBM annoncera qu'il arrête NetBeans pour des questions de budget. Et il en ira de même pour toutes les offres pour lesquelles il a déjà une solution." Pour d'autres commentateurs du blog, le serveur d'applications GlassFish, concurrent de WebSphere, est aussi en danger. « Et quid du support commercial de MySQL ? » s'interroge-t-on. La communauté Java partagée A l'opposé, certains estiment qu'IBM aurait un impact positif sur Java. « Il pourrait injecter davantage d'argent dans son développement, » estime ainsi, sur son blog, Fabrizio Giudici, architecte Java. Pour lui, « les produits Open Source de Sun ont une bonne réputation dans leurs communautés et ils pourraient intégrer de nouveaux projets. Cela pourrait augmenter notre charge de travail (non payée) au début, mais les opportunités de marché arrivent quand on les attend le moins. » En outre, la gestion d'Eclipse par IBM a suscité moins de polémique que la gestion du Java Community Process par Sun. Pour Matt Aslett, analyste du 451 Group, la communauté Sun ne devrait en aucun cas craindre qu'IBM fasse disparaître les logiciels Sun. « Bien sûr, les portefeuilles se chevauchent, mais cela ne devrait pas être un problème parce qu'IBM peut utiliser l'offre de son rival pour générer du revenu. Et Big Blue "a déjà de multiples OS et bases de données dans son offre. Il pourrait reprendre son mantra : 'donner le choix à l'utilisateur.' » Jeffrey Hammond de Forrester Research tempère : « La division logiciels d'IBM devra faire face à certains défis importants pour monétiser le portefeuille Open Source de Sun. IBM ne vend pas à des développeurs mais à des patrons de divisions. Or, ce ne sont pas eux qui décident quand on parle d'Open Source. Ce sont bien les développeurs. Nos études le confirment. Sans oublier qu'IBM va devoir réconcilier son modèle économique middleware avec celui de Sun. Et ils sont très différents. » Enfin, la division logiciels de Big Blue n'est pas « structurée pour monétiser un modèle économique basé sur le support de l'Open Source. Et je me demande s'ils arriveraient à atteindre le niveau de service exigé par les clients en la matière. » Le marketing logiciel d'IBM est décentralisé, divisé en multiples marques et ce serait un vrai « défi pour eux d'appliquer le modèle resserré que Sun met en place pour doper l'adoption de l'Open Source ». Ce qui est sûr, selon un autre observateur, « c'est qu'une union IBM-Sun sera positive pour les clients des deux entreprises, mais il est peu probable qu'elle donne naissance à de nouvelles directions majeures dans le monde du logiciel. » Les serveurs, les datacenters et même le cloud [[page]]Et si le logiciel seul n'était pas la raison de l'acquisition ? Nombre d'observateurs voient dans cette hypothétique opération la création du futur géant des datacenters. Et pourquoi pas du cloud, d'ailleurs. IBM est sans nul doute à la tête d'une des gammes de serveurs les plus denses et les plus complètes du marché. De la machine x86 la plus basique jusqu'au grand système (sous Linux aussi, s'il vous plait) en passant par des serveurs Unix et les inépuisables iSeries (toujours connus sous le nom d'AS/400 malgré d'innombrables changements de nom). Sun apporterait sa technologie de containers pour les datacenters IBM exploite ses propres processeurs Power, spécifiques, mais aussi des cartes électroniques reines du supercalcul, les BlueGene. Et malgré ses performances récentes, le Sparc de Sun pourrait bien être la première victime du mariage, s'il a lieu. Peut-être juste avant Solaris... qui aurait du mal à trouver sa place au milieu des nombreux OS d'IBM dont son propre Unix, Aix. Là encore, le salut de la technologie pourrait venir de la stratégie Open Source entamée avec OpenSolaris. Big Blue a aussi développé depuis quelques temps une forte compétence dans le datacenter qu'il s'est fait une spécialité d'optimiser en matière d'efficacité énergétique (matériel, logiciel, climatisation, service, etc.). Sun a lui aussi déployé beaucoup d'efforts en la matière. Et il apporterait entre autres les technologies de son container qu'il a été le premier à maîtriser. Des qualités essentielles en ces temps d'économie d'énergie et de respect de l'environnement. Les deux géants fondus en un seul pourront par ailleurs facilement mixer leurs clouds car ils n'en sont qu'à leurs balbutiements. Mauvais plan pour Cisco, mais surtout pour HP Ces expertises complémentaires des deux Américains dans le monde des centres serveurs, distribués ou non, associées à leurs compétences logicielles, doit sérieusement inquiéter la concurrence. A commencer par HP qui a choisi de son côté d'avaler une énorme société de services, EDS. Il se tord pour l'instant dans des difficultés qui le conduisent à réduire ses effectifs et diminuer les salaires. Que dire de Cisco ? Qu'il se fait voler la vedette de son entrée dans le monde des serveurs par une simple rumeur ? Mais au delà de ça, l'union du Texan et du Californien pourrait lui barrer la route du datacenter pendant quelques temps. Même si un futur IBM-Sun le met moins en danger que HP. Interrogé par Business Week, Steve Ballmer, le patron de Microsoft, a estimé de son côté que l'opération « donnerait à Microsoft un avantage compétitif pendant toute la durée nécessaire à l'intégration des nombreux actifs de Sun dans une seule entreprise. » Une chose est sûre. L'union d'IBM avec Sun donnerait naissance à une famille recomposée de taille avec quelques enfants indésirables. Les doublons seront légion et les choix, cornéliens. Et c'est sans parler pour l'instant, de la réorganisation commerciale. Enfin, aucune fusion ne va jamais sans réduction d'effectifs. Si elle a lieu, celle-ci se concrétisera en pleine tempête économique et n'échappera pas à des coupes massives. Ce ne sera pas le moindre des maux.