Salesforce a augmenté en février dernier les frais d’accès à son API. Les partenaires éditeurs du spécialiste du CRM en mode SaaS commencent à ressentir les effets de ce changement. C’est le cas de Fivetran, fournisseur de solutions d’intégration de données qui se sent pris au piège. Il hésite entre absorber la hausse des coûts, la répercuter sur ses clients avec un mécontentement à la clé ou rechercher d’autres moyens d'accéder aux données, avec le risque de mettre à mal sa relation avec Salesforce. Selon George Fraser, CEO de Fivetran, la modification du prix d’accès à l’API pourrait avoir des conséquences tangibles pour les entreprises qui utilisent Salesforce comme système pour l'analyse et les cas d’usage IA. Il évoque ainsi des limitations dans la manière dont les clients choisissent de déplacer et d’accéder à leurs données, réduisant ainsi l’éventail d’outils qu’ils peuvent utiliser. « Par exemple, ils pourraient ne pas être en mesure d'utiliser Fivetran pour répliquer leurs données vers Snowflake et devoir se servir de Data Cloud de Salesforce à la place. Ou ils pourraient se rendre compte qu'ils ne peuvent pas interagir avec leurs données via ChatGPT et devoir utiliser Agentforce à la place », a expliqué M. Fraser.
Ses préoccupations ont été rapportées pour la première fois par The Information. Salesforce a présenté ce changement de tarification comme une pratique courante dans le secteur plutôt que comme un changement fondamental. L'entreprise a fait valoir que la facturation de l'accès à l'API reflète les coûts réels liés à l'exploitation, à la sécurisation et au support d'une infrastructure d'entreprise à grande échelle. « Lorsqu’un client utilise notre API, il utilise la puissance de calcul de Salesforce », a déclaré Tyler Carlson, vice-président senior et responsable des produits pour AppExchange et l'écosystème.
Qu'est-ce qui a réellement changé ?
Au cœur de ce débat se trouve le programme AppExchange, qui régit la manière dont les fournisseurs tiers ou les partenaires créent et distribuent des applications métier qui accèdent aux données Salesforce. La société exige d'eux que leur application authentifie les utilisateurs Salesforce, synchronise les données ou fonctionne à grande échelle via des API. Une fois inscrits au programme, les membres opèrent selon deux modèles commerciaux. En premier, les fournisseurs d'intégration basés sur des API, comme ceux proposant des pipelines de données ou de connecteurs, rejoignent le programme Connector de Salesforce et paient des frais de base qui varient en fonction de l’usage et du volume. Pour ceux qui développent des applications directement sur la plateforme Salesforce, ils sont soumis à un partage des revenus. « Au début de l'année, pour la première fois depuis le lancement du programme en 2016, Salesforce a augmenté les frais de base du programme Connector », a fait remarquer M. Carlson. Ils sont basés sur un tarif forfaitaire par utilisateur ou par environnement, modulé en fonction de l’usage et du volume, mais Salesforce négocie ensuite les tarifs individuellement avec ses partenaires sur la base de ce qu'un porte-parole de Salesforce a qualifié « d’échange de juste valeur ».
La menace d'une hausse conséquente
« La question de savoir si cela est équitable pour tout le monde est discutable », a souligné Gaurav Dewan, directeur de recherche chez Avasant, un cabinet-conseil en gestion de l’IT. « Le manque de transparence et de prévisibilité dans les négociations au cas par cas peut créer de l'incertitude et des risques pour les DSI qui s'appuient sur les produits concernés », a-t-il déclaré. Pour Pareekh Jain, analyste principal chez Pareekh Consulting, cette augmentation « pourrait accroître dans certains cas le coût des intégrations, des extensions IA et des applications de niche ». Les éditeurs de logiciels indépendants, s'ils étaient contraints de payer des frais supplémentaires, devraient soit absorber ce coût, soit « augmenter le tarif de leurs abonnement pour les entreprises afin de maintenir leurs marges ». Selon M. Dewan, cela signifie que les DSI pourraient voir leurs dépenses Salesforce augmenter de « plusieurs dizaines de pour cent » si les éditeurs de logiciels indépendants augmentaient leurs frais d'abonnement.
« De telles hausses de prix seraient particulièrement préjudiciables pour les entreprises « verrouillées » dans ce système, car elles ont construit leurs flux de données autour de Salesforce », a fait remarquer le dirigeant et fondateur de Greyhound Research, Sanchit Vir Gogia. « Il ne s'agit pas d'un verrouillage technique traditionnel où la migration est impossible, mais d'un blocage comportemental créé par une dépendance stratifiée au fil du temps. Lorsque les intégrations, les mouvements de données et les permissions IA passent tous par un seul contrat commercial, les alternatives deviennent théoriquement viables, mais pratiquement perturbatrices », a estimé M. Gogia. « Les entreprises qui travaillent avec des fournisseurs refusant d'accepter les politiques et les augmentations de prix de Salesforce pourraient également être confrontées à une complexité opérationnelle », a ajouté M. Dewan. « Les DSI doivent réévaluer les architectures d'intégration, car les applications qui ne font pas partie du programme AppExchange ou qui ne sont pas conformes aux politiques de Salesforce pourraient se heurter à des obstacles de conformité », a-t-il fait remarquer.
Atténuer les risques
Cela dit, les analystes soulignent que les DSI ont encore une marge de manœuvre pour atténuer les risques. Selon Phil Fersht, directeur général de HFS Research, les DSI pourraient profiter des périodes de renouvellement avec les fournisseurs pour obtenir des plafonds sur les augmentations de frais et explorer des modèles de tarification à plusieurs niveaux afin d'éviter d'absorber les coûts imposés par Salesforce. Celui-ci ajoute que les DSI devraient répertorier toutes les applications tierces et estimer les nouveaux coûts de commission et de licence pour se préparer. « Si nécessaire, les DSI pourraient aussi, par prudence, retirer les intégrations sous-utilisées et consolider les fonctionnalités afin de réduire la dépendance vis-à-vis des applications coûteuses », a suggéré M. Dewan.