Le gouvernement britannique prévoit de nommer un « champion des marchés numériques » pour répondre à sa volonté de moderniser les transactions financières en adoptant des registres partagés basés sur la blockchain. L’annonce a été faite mercredi dernier par la secrétaire économique au Trésor, Lucy Rigby, dans un discours prononcé lors de la conférence Digital Assets Week à Londres. On ne sait pas encore qui pourrait être pressenti pour ce poste, mais il reviendra sans doute à une personnalité du secteur qui a des connaissances et des relations suffisantes pour amener les agences concurrentes - la Banque d'Angleterre, le Trésor britannique et la Financial Conduct Authority (FCA) - à s'accorder sur un cadre commun. À noter également la mise en place par le gouvernement, d’un groupe Dematerialisation Market Action Taskforce (DEMAT) chargé de coordonner la transition du Royaume-Uni vers l'abandon des certificats d'actions papier. « Les fournisseurs de technologies sont aussi invités à soumissionner pour participer au Digital Gilt Instrument (DIGIT) du gouvernement, une plateforme d'émission de dette souveraine », comme l’aurait déclaré Mme Rigby. L'éventail des initiatives souligne la complexité de la migration du système financier, qui passe de systèmes manuels et papier utilisés depuis des siècles à des systèmes entièrement numériques.
La tokénisation des actifs en marche
En juillet, dans son document d'orientation intitulé « Wholesale Financial Markets Digital Strategy », le gouvernement a présenté les arguments en faveur du changement, affirmant que les processus financiers actuels sont lents, coûteux et reposent sur des systèmes manuels, ce qui, ensemble, freine l'innovation financière. Selon ce document, l'adoption de la technologie de registres distribués (Distributed Ledger Technology, DLT) basée sur la blockchain permettrait aux actifs financiers d'exister sous forme de jetons sur des registres partagés, ce qui réformerait les marchés en réduisant les coûts, en accélérant considérablement les transactions et en augmentant la transparence. « La tokenisation des actifs pourrait entraîner un changement radical dans l'efficacité du marché, par exemple en rendant possible le partage de données en temps réel, ce qui améliorerait la transparence et réduirait les coûts opérationnels », indique le document. « Plus largement, cette tokenisation pourrait permettre de repenser fondamentalement le fonctionnement des marchés financiers, en créant des infrastructures qui prennent en charge les formes existantes et nouvelles d'émission, de transfert et de propriété d'actifs. »
Malgré cela, le Royaume-Uni risque de prendre du retard par rapport à ses pairs internationaux, ce qui pourrait bientôt nuire à la prééminence de Londres en tant que hub financier. L'UE dispose déjà du règlement sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués (EU DLT Pilot Regime) et du réglement européen sur les crypto-actifs (Markets in Crypto-Assets Regulation, MiCA), les États-Unis ont adopté le Genius Act pour les stablecoins et Singapour a lancé le Project Guardian. De plus, Swift, le réseau mondial de messagerie financière, a récemment annoncé qu'il allait introduire un registre basé sur la blockchain dans le cadre de sa plateforme, une initiative qu'il teste depuis plusieurs années. L'organisation développe actuellement un prototype de registre numérique partagé afin d'accélérer les paiements transfrontaliers, en collaboration avec 30 institutions financières mondiales et la société Consensys, spécialisée dans la blockchain. « À terme, cela permettra d'étendre la plateforme Swift pour valider les transactions et appliquer les règles régissant les contrats intelligents », a expliqué l'organisation. « On pourrait penser que Swift et la blockchain sont deux concepts opposés, mais ce n’est pas le cas » a déclaré Javier Perez-Tasso, le CEO de Swift, lors de la conférence Sibos 2025. « Nous pensons que dans le système réglementé de demain, la finance traditionnelle et la finance décentralisée peuvent cohabiter. Les banques y sont prêtes. Et elles nous demandent de jouer un rôle plus important », a-t-il ajouté.
Des problèmes de cybersécurité à résoudre
Au Royaume-Uni, les progrès vers un environnement réglementaire restent en cours, de nombreux détails n'étant pas encore clairs. Pour l'instant, le Trésor et la Financial Conduct Authority (FCA) en sont encore au stade de l'élaboration de documents d'orientation. Selon Julia Demidova, de la société FinTech FIS Global, la première tâche du nouveau champion des marchés numériques sera de travailler avec la Banque d'Angleterre, la FCA et le Trésor. « Le champion tentera de parvenir à un consensus entre les trois parties. Nous avons besoin d'un champion dans ce domaine pour réduire certaines frictions », a estimé Mme Demidova. « Nous n'avons pas avancé assez rapidement par rapport à d'autres marchés tels que l'UE, qui est parvenue à un consensus sur le MiCA. » Le Royaume-Uni doit définir dès que possible un ensemble clair de priorités, notamment en ce qui concerne le soutien de certaines catégories d'actifs comme les stablecoins », a-t-elle poursuivi. À l'heure actuelle, on ne sait pas très bien si celles-ci peuvent être utilisées pour effectuer des paiements. « Le champion devra déterminer ce qui manque aujourd'hui dans les cadres réglementaires existants », a ajouté Mme Demidova. Le gouvernement britannique a reconnu cette nécessité, ce qui, selon Mme Demidova, laisse penser que le champion du numérique bénéficiera du soutien politique nécessaire pour débloquer le processus réglementaire.
En toile de fond, se profile la question de la sécurité des technologies qui n'ont pas encore fait leurs preuves dans des conditions réelles. « Il s'agit de technologies nouvelles et émergentes, ce qui soulève des problèmes potentiels de cybersécurité dont nous ne sommes peut-être pas conscients. Elles pourraient faire émerger une une nouvelle surface d'attaque dans cet écosystème », a mis en garde Mme Demidova. D’après un analyste, ce débat intéressera les responsables IT. « L’intégration est un défi pour les DSI. Les ERP traditionnels n'ont pas été conçus pour des flux de travail immuables et basés sur des jetons », a commenté Dan Silverman, co-CEO de l’entreprise de veille stratégique Balcony. « La tokenisation n'est pas seulement financière, elle est fondamentale pour un échange de données sécurisé et vérifiable entre les systèmes publics et privés », a-t-il ajouté. Le risque est que l'effet de l'incertitude sur les entreprises soit ignoré au profit des intérêts institutionnels, notamment parce que les pays adoptent ces technologies à des rythmes différents.