La Cour des Comptes vient de publier son rapport annuel 2011 qui se penche sur l'exercice comptable 2010 de l'Etat. Elle consacre un chapitre de trente pages au projet Chorus. Si son pilotage strictement informatique n'est pas évoqué par la Cour, celle-ci reproche à la maîtrise d'ouvrage -autrement dit au niveau des politiques et des directions des administrations- une grande légèreté dans leur gouvernance. La Cour relève les délais catastrophiques qui ont été imposés aux fournisseurs de l'Etat en 2010 à cause d'un démarrage de Chorus dans la douleur. L'objectif de payer le plus rapidement possible toutes les créances en retard a entraîné une multiplication des procédures d'exceptions, sources de difficultés pour établir une lisibilité et une transparence des comptes. Selon la Cour, les efforts consentis par les administrations ont été louables même si la pureté comptable en a été altérée. Une fois la phase de transition achevée, tout devrait rentrer dans l'ordre.
Si les modalités de la reprise des données issues des anciens applicatifs sont également critiquées, c'est, encore une fois, du point de vue de la sincérité des comptes. Les réalités juridiques ont en effet été tordues au passage pour accélérer les procédures, comme par exemple la transformation des réservations de crédits en engagements.

L'outil d'une refonte des procédures...

Basé sur le progiciel SAP, Chorus est amené à progressivement gérer la totalité de la gestion budgétaire et comptable de l'Etat. La dernière phase de déploiement est en cours pour un achèvement de la mise en place des nouveaux outils au 1er janvier 2012. La comptabilité de l'Etat sera donc entièrement réalisée sous Chorus à partir de l'exercice 2012. La LOLF (voir encadré) sera alors enfin appliquée en totalité, notamment du point de vue du contrôle et de la sincérité des comptes publics. La Cour intitule d'ailleurs un chapitre de son rapport « Les effets de la certification des comptes de l'Etat ». L'objectif de Chorus est donc d'une part de permettre une refonte des procédures métier mais aussi, ne l'oublions pas, de remplacer un très grand nombre d'applications comptables. Le coût du projet (de l'ordre du milliard d'euros en coût direct sur dix ans) est destiné à être amorti précisément par la disparition des multiples applications remplacées. Or la Cour relève de nombreux manquements dans la gouvernance du projet et qui mettent en péril le respect de ces objectifs. La Cour s'est déjà intéressée au projet Chorus dans le passé et le document de 2011 vient donc logiquement se placer dans la partie « Les suites données aux observations des juridictions financières ».

...qui ne sont en fait pas refondues [[page]]

L'intérêt majeur de Chorus reste qu'il est unifié pour l'ensemble des administrations d'Etat et doit donc d'une part s'articuler au mieux entre tous les outils (notamment la gestion fiscale Copernic et la gestion unifiée de la paye), d'autre part être plus simple et moins cher à entretenir et utiliser. Or la conservation des « particularités métiers » de chaque ministère a entraîné le maintien et la transformation de multiples outils locaux, en contradiction avec l'objectif initial d'unification. Pire, la saisie unique de chaque information comptable est aujourd'hui remise en cause, au moins dans un premier temps. L'économie attendue pourrait donc ne pas être au rendez-vous, ou du moins avoir été surévaluée. Surtout, la Cour fustige la très mauvaise organisation de la « chaîne de la dépense ». La distinction classique ordonnateur/comptable n'est pas remise en cause dans la LOLF mais la définition des rôles de chacun et les procédures métier auraient dû être remises à plat au travers d'une refonte du RGCP (règlement général sur la comptabilité publique). Cette refonte n'a pas eu lieu. En conséquence, les interventions des multiples acteurs sur la chaîne comptable ne sont pas optimisées.

Economies mal placées en licences

Le choix de SAP a entraîné des coûts de licence et de maintenance considérables. Pour les limiter, l'Etat a choisi de limiter l'usage de Chorus à 25 000 utilisateurs simultanés sans aucune étude préalable des besoins alors que 30 000 utilisateurs sont recensés et que leur nombre atteindra 50 000 à terme. Seul un utilisateur réel sur deux pourra donc se servir de l'outil à un instant. L'accès à Chorus au travers de formulaires simplifiés, en dehors du décompte des utilisateurs simultanés, fait l'objet d'une passe d'arme entre la Cour (très critique au nom de la qualité de l'information comptable) et le ministre des finances (qui les défend en les destinant à des utilisateurs non-comptables). La réorganisation des services, notamment avec la création des centres de services partagés inter-administrations, a pourtant multiplié les besoins en partages de l'information. Au final, l'outil qui est, sur le papier (dématérialisé), un formidable accélérateur de la qualité de gestion de l'Etat reste largement sous-utilisé selon le jugement de la Cour des Comptes. Assez ironiquement, la Cour a inséré un encadré « la théorie et la pratique dans Chorus » (page 273 du rapport complet) qui résume les différences entre le fonctionnement attendu par les auteurs de la LOLF et ce qui se constate de fait sur le terrain où les procédures d'exception s'ajoutent aux outils parasites d'une informatique grise qui aurait dû disparaître. Comme disait Albert Einstein : « la théorie et la pratique, en théorie c'est pareil, en pratique c'est différent ».

Un défaut de gouvernance et de stratégie politique

Les procédures d'une incroyable lourdeur pour passer outre les difficultés avaient été critiquées par la Cour dès 2006 qui y voyait une difficulté pour tracer les opérations et certifier les comptes. La Cour reproche surtout au niveau des décideurs politiques et des directeurs d'administration, pour résumer, d'avoir demandé à un outil informatique de faire leur travail, à savoir de définir les procédures métier et de trancher dans les choix stratégiques d'organisation. Aucun outil informatique ne l'a jamais fait, simplement parce que ce n'est pas son rôle. Il n'existe pas même un référentiel comptable unique, source de difficultés infinies dans la collaboration entre Chorus et les autres outils du SI de l'Etat, notamment Copernic et les outils métier. Le référentiel national du patrimoine immobilier n'est plus jugé comme fiable. Quant aux instances de gouvernance du projet, comme le Comité d'Orientation Stratégique, elles n'ont aucun pouvoir réel sur l'organisation et les procédures métier. Dans sa réponse, François Baroin, ministre des finances, admet certes les difficultés, invoquant une gestion du changement déficiente malgré les efforts, mais défend l'absence de gouvernance stratégique au nom de l'autorité de chaque administration et de la procédure d'arbitrage du Premier Ministre. Il annonce malgré tout la refonte du RGCP (règlement général sur la comptabilité publique) afin de -enfin- clarifier les rôles de chacun dans la chaîne de gestion de la dépense (alors que Chorus est déjà déployé). Il confirme également que le périmètre fonctionnel de Chorus va continuer de s'accroître pour atteindre -un jour- celui prévu en 2001 par les auteurs de la LOLF.