« Même si Watson représente un exploit technique considérable, il serait incapable d'accomplir certaines choses, » a déclaré Patrick Henry Winston, professeur et ancien directeur du Laboratoire d'Intelligence Artificielle du Massachusetts Institut (MIT). « Par exemple, si l'on faisait une conférence sur Watson, Watson ne pourrait pas y assister. Il n'aurait rien à dire sur lui-même. Il ne pourrait pas participer aux discussions pour parler de la manière dont il fonctionne. »

Une dizaine d'autres chercheurs se sont exprimés sur le sujet aux côtés de Patrick Winston, lors du symposium Computation and the Transformation of Practically Everything au programme des évènements qui marquent le 150e anniversaire de l'école cette année. L'ancien directeur du laboratoire du MIT a fait remarquer que, depuis que des informaticiens, comme James Slagle, ont commencé à créer des programmes d'intelligence artificielle au début des années 1960, la communauté scientifique et le public pensaient que les ordinateurs pourraient disposer de capacités d'intelligence en quelques années. Mais cela ne s'est pas produit.

Un supercomputer reposant sur la puce Power7

« Apparemment, nous avons oublié ou négligé l'idée selon laquelle il est beaucoup plus difficile de produire des programmes qui ont du sens commun que de réaliser des programmes spécialisés dans des domaines techniques très pointus, » a-t-il déclaré. L'ordinateur Watson d'IBM peut par exemple répondre à des questions posées en langage naturel en temps quasi réel.

Contrairement aux super ordinateurs du passé, Watson est composé de 90 serveurs Power 750 Express IBM équipés de processeurs Power7 huit coeurs - quatre CPU dans chaque machine, soit un total de 32 puces par machine. Virtualisés, les serveurs reposent sur l'hyperviseur KVM et forme un  cluster Linux offrant une capacité de traitement totale de 80 téraflops (un téraflops = mille milliards d'opérations à virgule flottante par seconde). « Toutefois, ce dont manque Watson, c'est la capacité de se relier à des expériences vécues pour élaborer des pensées cohérentes, le propre de la capacité cognitive de l'homme, » a expliqué  Patrick Henry Winston.

Watson mis en échec par un sénateur américain

Ed Lazowska, qui dirige la Bill & Melinda Gates Chair in Computer Science & Engineering à l'Université de Washington, a également porté un coup à Watson. Selon lui, après la victoire que Watson a remporté au Jeopardy en février, la machine a été facilement défaite peu de temps après par le représentant démocrate Rush Holt, (DN.J.), au cours d'une démonstration technologique au Congrès. Physicien nucléaire et cinq fois vainqueur du « Jeopardy », il a battu l'ordinateur à 8 600 dollars contre 6 200 dollars. « Cela montre que nous avons besoin de plus de physiciens au Congrès. Rush Holt est le seul, » a plaisanté Ed Lazowska.

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Alors que Watson ne peut pas mener une conversation intelligente, son apparition sur « Jeopardy » a marqué un changement radical dans l'Intelligence Artificielle, grâce aux processeurs multicoeurs, au calcul en cluster et à un logiciel de gestion informatique sophistiqué. La puissance de calcul utilisée par l'homme pour aller sur la lune à la fin des années 1960 est celle que l'on trouve aujourd'hui « dans des peluches animées. » Certes, « ce n'est pas le meilleur usage que l'on pourrait faire de cette puissance de calcul, » a déclaré Ed Lazowska. Il y a dix ans, il fallait un administrateur informatique pour gérer 250 serveurs. Aujourd'hui, la même personne peut gérer des milliers de serveurs. « Par exemple, la plateforme cloud computing Microsoft Azure ne nécessite que 12 personnes pour gérer 35 000 serveurs répartis sur deux continents, » a déclaré Ed Lazowska.

Une puissance de calcul en progression constante

Au cours des 40 dernières années, la puissance exponentielle de l'informatique a permis à l'Internet d'avoir un impact considérable sur nos vies, plus que toute autre chose, » a-t-il encore ajouté. « Au cours des années à venir, les consommateurs verront des réalisations utilisant cette puissance : des maisons intelligentes, des robots intelligents, des voitures intelligentes capables de prendre des décisions ou encore elles seront visibles dans le secteur de la santé, » a déclaré Ed Lazowska. « Aujourd'hui, il existe déjà des voitures qui peuvent se garer en parallèle et même rouler en ville ou à la campagne sans conducteur humain. »

La clé du développement pour les futurs ordinateurs repose sur le « renforcement du système, » un domaine dans lequel les ingénieurs de plusieurs disciplines peuvent travailler en équipes, plutôt que de développer une technologie spécifique dans un domaine d'expertise. « Lorsque les ingénieurs travaillant sur la reconnaissance vocale s'associent avec ceux travaillant sur la vision, ils sont en mesure de construire un système qui profite considérablement de leurs compétences, bien davantage que s'ils l'avaient développé seuls dans leur domaine, » a-t-il ajouté.

Des milliers de coeurs pour ressembler à l'homme

Selon Anant Agarwal, professeur au département Electrical Engineering and Computer Sciences du MIT, « ces ordinateurs doivent plus ressembler à l'homme, s'ils veulent tirer parti des progrès techniques. » Le souhait de son département est de construire un processeur avec des centaines, voire des milliers de coeurs, un objectif qui pourrait être atteint en quatre ans seulement selon lui. L'obstacle majeur à la construction de processeurs intégrant plusieurs milliers de coeurs, c'est l'évacuation de la chaleur dégagée par les composants. Une manière de contrôler la production de chaleur est de placer les coeurs le plus près possible de la mémoire DRAM, de manière à raccourcir la longueur des circuits et réduire le temps pendant lequel se fait l'accumulation de chaleur.

Une autre méthode consiste à équilibrer les performances des applications avec les possibilités matérielles. « Nous avons besoin de repenser les compilateurs, les systèmes d'exploitation, les architectures, et comment programmer les ordinateurs. En priorité, il faut créer des applications capables de faire connaître leurs objectifs au système d'exploitation, » a-t-il encore déclaré. « En quelque sort, nous avons besoin d'un mode de calcul conscient. » Ce serait comme si l'application pouvait «dire» au système d'exploitation ce dont elle a besoin en terme de puissance de traitement, puis atteindre un équilibre entre les besoins du système et ceux des autres applications fonctionnant ensemble.

Anant Agarwal fait remarquer que le coeur humain fournit au corps exactement ce dont il a besoin à tout moment et de manière optimale. « Si vous êtes bon coureur, la température de votre corps va fait baisser graduellement au fur et à mesure du parcours, » a-t-il expliqué. « Si vous êtes un ordinateur, plus vous courez, plus votre température va augmenter. Donc la question est : pourquoi les ordinateurs ne réagissent-ils pas davantage comme des humains ? »