Le principe des données ouvertes est surtout connu pour son utilisation dans le secteur public pour offrir de l'information gratuitement (journal officiel, données géographiques, etc.) qui pourra le cas échéant servir à des entreprises pour créer des services. Or le secteur privé peut aussi être offreur de données ouvertes. Cette ouverture peut être limitée et loin d'être totale. « L'Open Data a un problème d'image : c'est une démarche progressive alors que l'on attend souvent tout gratuitement et tout de suite, l'existant étant par conséquent vécu non pas comme une avancée mais comme une déception » déplore Martin Duval, PDG fondateur du cabinet de conseil BlueNove.

Ce cabinet a réalisé une étude baptisée Open Data : quels enjeux et opportunités pour l'entreprise ? qui se télécharge sur son site. Cette étude permet de faire le point sur les attentes, les motivations comme sur la situation de l'Open Data, tant sur les consommateurs de données que sur les offreurs, côté privé comme public.

Le livre blanc qui intègre cette étude est préfacé par Carlo Ratti, du M.I.T., qui rapproche le mouvement de l'Open Data et la problématique du Big Data. En effet, ouvrir toujours plus de données ne peut qu'accroître dans des proportions considérables le volume d'informations disponibles. Le point commun entre les deux phénomènes est aussi des plus classiques : les peurs s'opposent aux opportunités considérables.

L'Open Data connu mais méconnu

Selon l'étude Bluenove, 47% des répondants connaissent le concept d'Open Data. Mais combien en connaisse réellement la signification ? Il s'agit de rendre accessible (ouvrir) des informations en sa possession. Ces données peuvent alors être utilisées par des tiers pour créer de la valeur. Le cas classique est la création d'un service pratique par une start-up pour téléphone mobile à partir d'informations géographiques rendues disponibles par une collectivité locale. Mais ce cas classique est très loin d'être le seul à pouvoir être envisagé.

L'ouverture des données publiques est lancée et le portail Data.gouv.fr offrira bientôt un accès unifié et très libre aux données publiques. En Italie, une entreprise privée, le producteur d'électricité Enel, a ouvert certaines de ses données.

Partager par obligation ou par intérêt

Dans certains cas, l'ouverture des données est liée à une obligation légale, réglementaire ou contractuelle. Si ce type d'obligation concerne surtout le secteur public, il peut aussi avoir un impact sur des entreprises privées. « La Communauté Urbaine de Bordeaux a exigé que nous ouvrions certaines données de l'impact environnemental de la collecte des ordures réalisée par notre filiale SITA » témoigne Valérie Guimet, innovation ecosystem manager de Suez Environnement. 40% des répondants à l'enquête menée par Bluenove sont convaincus de l'intérêt de partager des données dans le domaine environnemental contre 37% dans le domaine technique, 26% dans l'opérationnel et 26% également dans le marketing. « Seuls 4% des répondants déclarent ne pas être prêts à partager des données internes avec des tiers » relève Martin Duval.

Cette prédominance de l'environnemental, porteur d'image positive pour l'entreprise, est assez logique quand on observe les motivations et les freins à l'ouverture des données. 59% des entreprises attendent en effet de l'ouverture de leurs données un développement de leur notoriété ou une amélioration de leur image.



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Ceci dit, il reste que les motivations majeures tant à partager des données qu'à utiliser des données partagées par des tiers sont au nombre de trois : améliorer la satisfaction client (63% des répondants pour partager, 65% pour réutiliser), développer l'innovation (60% pour partager, 69% pour réutiliser) et améliorer l'offre de services ou de produits (59% et 70%).

La Poste réfléchit actuellement à partager davantage de données liées au courrier. Ces données ne sont pas nécessairement fiables et le partage pourrait viser à en améliorer la qualité dans une logique gagnant-gagnant avec ses utilisateurs. « Partager les données relatives aux plis non-distribués pourrait nous aider à faire baisser ce taux de non-distribution en ayant recours aux services des tiers qui ont intérêt à l'amélioration de nos services » mentionne ainsi Bernard Haurie, directeur de l'innovation et du développement des services du groupe La Poste. Mais il précise aussitôt : « nous allons très doucement car il ne s'agit pas de partager n'importe quoi n'importe comment, par exemple en portant atteinte aux droits individuels, mais aussi pour garantir que le partage aura une certaine pérennité ».

L'ouverture des données, comme le rappelle l'étude Bluenove, créé un écosystème de trois acteurs : l'émetteur des données rendues publiques, les réutilisateurs qui vont créer un outil et permettre un usage à partir de ces données, et les consommateurs finaux qui vont bénéficier de cet outil ou de cet usage. De fait, « changer brutalement sa politique de partage de données ou tromper sur la qualité des données partagées déstabiliserait l'écosystème de l'entreprise et porterait gravement atteinte à son image » explique Martin Duval.

Pas tout, tout de suite, avec tous

Le partage des données peut être limité, notamment dans les personnes ayant accès à ces données. Ainsi, Jérôme Introvigne, directeur marketing du groupe Poult, le leader français du biscuit sous marque de distributeur, indique : « nous avons un gros besoin d'innovation et nous voudrions développer une véritable co-innovation avec d'autres entreprises non-concurrentes et des laboratoires de recherche ». Mais certainement pas ouvrir tout à tous les vents.

L'innovation est aussi le moteur du partage de données à la SNCF. Patrick Ropert, directeur de la communication de la SNCF, expose : « nous transportons un million de personnes par jour mais chacune attend un service individualisé. Cela n'est possible qu'en recourant à des services innovants développés par des tiers avec nos données. Aux Etats-Unis, il existe une application qui croise des données issues des transports publics avec des données du marché immobilier pour permettre à chacun d'optimiser le choix de son lieu de résidence. »


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Cependant, partager ses propres données comme utiliser les données de tiers restent des démarches perçues comme porteuse de risques. Le besoin de contrôler les données partagées est ainsi le premier frein à l'adoption d'une démarche d'ouverture cité par 60% des répondants. Assez logiquement, 52% des répondants estiment que cela risquerait de donner des informations à des concurrents et 48% craignent les aspects juridiques soulevés.

La réutilisation des données partagées par d'autres, notamment des collectivités locales, est, quant à elle, surtout liées à des problématiques d'accès et de qualité : la fraîcheur incertaine des données (60% des répondants) voire leur qualité propre (51%) sont ainsi citées à côté de la dispersion des données disponibles (58%) et la méconnaissance des données disponibles (57%) voire simplement de l'endroit où les récupérer (53%).

Assez bizarrement, la pérennité de la disponibilité des données n'est pas citée parmi les items les plus importants. Sans doute est-ce lié au fait que, aujourd'hui, les données partagées sont essentiellement publiques et du fait d'une démarche politique de longue haleine.

Un problème d'organisation et de technologie

Mais partager ses données pose aussi un autre problème de base : qui décide quoi partager ? Qui décide quoi réutiliser ? « La question est abordée de façon très transverse dans l'entreprise et si, aujourd'hui, il n'existe pas de Chief data officer, les procédures comme les attitudes devraient beaucoup bouger dans les mois à venir » prophétise Martin Duval.

Valérie Guimet ajoute : « ce que nous retenons de l'expérience bordelaise, c'est aussi que le partage de données ne se fait pas en appuyant sur un bouton. Il faut faire un vrai travail sur les formats et la pureté des données pour qu'elles soient utiles et utilisables par des tiers. »

Logiquement, Bluenove recommande de préparer minutieusement l'ouverture de ses données comme la réutilisation des données de tiers. Cela passe déjà par un choix (ou une acceptation) d'un modèle de partage : partage limité ou total, gratuit ou payant, ciblé ou en « mode public »... Pour débloquer la démarche et éviter son enlisement, Bluenove invite également à se lancer rapidement avec un partage limité en attendant d'étendre la démarche sur plus de données ou des modèles plus audacieux. L'ouverture, bien entendu, doit être animée, comme n'importe quelle démarche communautaire si l'on souhaite que son écosystème joue le jeu. Enfin, même si le ROI direct n'est pas l'objectif, définir des outils pour mesurer le retour sur investissement attendu est nécessaire pour justifier la démarche. Ce ROI est en général indirect, par l'apport secondaire du service proposé par un tiers.

A ce jour 43% des répondants déclarent avoir une envie de pratiquer l'open-data mais seulement 17% ont une vraie démarche en cours. Force est de constater que le sujet est loin d'être mature.