Le télétravail concerne deux à trois fois plus de salariés dans les pays scandinaves et anglo-saxons qu'en France où la pratique est encore peu répandue. C'est l'un des points que fait apparaître le rapport de 150 pages sur le développement du télétravail, publié fin novembre par le Centre d'analyse stratégique (organisme rattaché au Premier ministre). Dans une dizaine d'années en revanche, le travail à distance, ou mobile, pourrait concerner jusqu'à 40 ou 50% des emplois, mais pour une partie seulement du temps travaillé. Pour se développer toutefois, la pratique devra être encouragée, financièrement et techniquement. Le rapport va jusqu'à suggérer de créer les télécentres de l'ère du Web 2.0. Il convient aussi de sécuriser le cadre juridique. Cette étude, qui dresse l'état des lieux du télétravail dans l'Hexagone, fait suite à une demande de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la Prospective et du Développement de l'économie numérique. Elle s'appuie sur deux enquêtes comparant les pratiques de dix à vingt pays de l'OCDE et sur une analyse prospective du potentiel de télétravailleurs à l'horizon des dix prochaines années. Si ses auteurs présentent les effets positifs du travail mobile dans les pays qui l'ont adopté, ils n'omettent pas non plus d'exposer les obstacles et risques qui s'y rattachent. Le télétravail remet en cause la notion de subordination Au crédit du télétravail, on peut sans conteste porter une meilleure conciliation entre vie professionnelle et personnelle, la réduction des dépenses sociales et des émissions de gaz à effet de serre, ou encore, l'inclusion des personnes exclues du marché du travail (personnes à mobilité réduite ou habitant dans des zones mal desservies par exemple). Mais, « le télétravail ne constitue pas le remède miracle », reconnaît aussi le rapport, car il remet en cause certains aspects fondamentaux du travail salarié et du code du travail. D'une part, la notion de subordination, qui peut aussi bien diminuer que s'accroître, «pour prendre la forme d'une télédisponibilité généralisée». D'autre part, la notion de temps de travail qui risque de déborder sur la sphère privée. Enfin, souligne le document du Centre d'analyse stratégique, les TIC peuvent affaiblir les collectifs de travail en constituant des réseaux multiformes qui créent « une porosité » entre l'entreprise et les autres communautés. En résumé, le rapport dégage sept messages clés et préconise quatre axes d'action pour développer le télétravail. Premier message : les principaux leviers pour le déploiement du télétravail se situent hors du cadre juridique. Il faut que ses gains soient mieux connus, que des infrastructures numériques de qualité soient déployées sur l'ensemble du territoire et que des outils techniques performants soient mis à disposition. Une évolution de la culture managériale française est également nécessaire. Toutes les fonctions ne peuvent pas être « télétravaillées » [[page]] Toutes les fonctions ne peuvent pas être « télétravaillées » Deuxième message clé, c'est la diffusion du télétravail partiel (un ou deux jours par semaine) qui contribuera à faire progresser la pratique en France. A l'inverse, un temps complet peut poser des problèmes d'isolement du salarié et réduire les gains de productivité, estiment les rapporteurs. Troisièmement, le télétravail doit continuer à s'appuyer sur la règle du double volontariat et reposer sur la confiance mutuelle entre les deux parties. A ce titre, vouloir l'encadrer trop strictement par la loi pourrait être une erreur. Quatrièmement, le Centre d'analyse stratégique considère que la proposition de loi actuelle constitue un socle propice pour développer le télétravail : relativement protectrice pour les salariés sans être dissuasive pour les entreprises. En revanche, les institutions représentatives du personnel doivent être davantage formées sur ces pratiques. Pour l'instant, rappelle l'étude, la demande de télétravail émane souvent des salariés, et non de la hiérarchie, « qui y voit un sujet complexe et non prioritaire ». Cinquièmement, toutes les fonctions ne sont pas «télétravaillables», pointe le rapport. En particulier lorsqu'elles n'utilisent pas les TIC. Ainsi, sur 82 professions considérées dans le rapport, 72% de la main d'oeuvre n'a pratiquement aucune chance de télétravailler car les tâches à effectuer ne peuvent pas se faire à distance, et 17% n'ont que peu de chances de télétravailler, même à temps très partiel. Finalement, seulement 11% de la main d'oeuvre a des chances d'y accéder : les cadres et ingénieurs, les informaticiens, les fonctions intellectuelles, administratives, ou de support, etc. Or, les métiers qui, selon les études prospectives, vont se développer le plus dans les prochaines années (aides à domicile, par exemple, ou ouvriers qualifiés de la manutention) ne sont pas propices au télétravail. Pour se développer, le travail à distance devra donc être diffusé au sein des métiers et fonctions qui peuvent vraiment l'exploiter. Editer une charte du télétravail Sixièmement, il est intéressant de signaler qu'aucun abus de télétravail subi n'a été constaté lors d'un congé maternité ou d'un arrêt maladie, dans l'un des pays de l'OCDE étudiés. A l'inverse, le télétravail peut permettre à un salarié qui se déplace difficilement (en cas de grossesse, ou à cause d'une entorse par exemple) de pouvoir continuer à exercer son travail. Mais pour éviter tout risque d'abus, le rapport suggère de réfléchir à un certificat médical d'aptitude au télétravail. Septièmement, enfin, le télétravail ne cible pas particulièrement les seniors. Il n'est donc pas destiné à favoriser leur emploi. Au contraire, lorsqu'ils travaillent, les retraités préfèrent garder un contact direct avec leurs collègues. De ces sept analyses, le rapport déduit quatre axes d'action : promouvoir le télétravail auprès du grand public et de l'ensemble des acteurs, assurer une bonne gouvernance en éditant une « charte du télétravail » (et en créant un comité de pilotage de haut niveau), sécuriser le cadre juridique par une circulaire (et clarifier la prise en charge par les assurances) et, enfin, encourager les initiatives. Sur ce dernier point, le rapport propose de soutenir financièrement et matériellement l'essor du télétravail et de créer les télécentres de l'ère du Web 2.0.