Il y a quelques mois, Atlassian avait annoncé vouloir davantage commercialiser sous forme groupée ses solutions de collaboration. Aujourd’hui, l’éditeur australien fixe un autre cap en signant l’arrêt des produits sur site pour forcer les clients à adopter les offres cloud d’ici mars 2029. La décision affecte des milliers d’entreprises et la migration se fera progressivement. Le fournisseur australien cessera de vendre des abonnements pour les offres dites datacenter (Jira, Confluence et Bamboo) aux clients Au 30 mars 2026 et mettre fin à toutes les ventes de licences pour ces solution le 30 mars 2028. « Les licences existantes expireront et passeront en lecture seule le 28 mars 2029 », a déclaré l'entreprise dans un communiqué.
Cette décision intervient alors qu'Atlassian mise davantage sur les outils de collaboration basés sur l'IA qui, selon elle, ne peuvent pas être fournis efficacement via des déploiements sur site. L’entreprise semble prête à sacrifier les 1 % de sa clientèle qui utilisent encore ce type de services pour se concentrer entièrement sur les revenus liés au cloud.
Un support étendu au cas par cas
Selon Atlassian, cette stratégie est en accord avec la philosophie de l’entreprise. « Le choix de mettre fin à la commercialisation des produits datacenter est au cœur de la valeur d'Atlassian « Don't F&#k the Customer » (Ne pas se moquer du client), qui guide chacune de nos décisions », a déclaré un porte-parole de l’éditeur. Deux éléments clés ont motivé ce calendrier : « la préparation des clients au cloud dans les délais impartis » et « la valeur que l’entreprise peut offrir aux clients dans le cloud, qui dépasse de loin celle d'un centre de données ». L’entreprise estime que « c’est dans le cloud que doivent aller les clients », tout en reconnaissant que « certains clients se trouvent à des étapes différentes de ce parcours ».
Interrogé sur les options de support étendu, le porte-parole a répondu que l’entreprise « s'engageait à offrir une maintenance étendue à certains clients Data Center à titre exceptionnel après le 28 mars 2029, afin de garantir aux clients la flexibilité et le support dont ils ont besoin pour réussir leur transformation ». Cependant, il n'a donné aucun détail sur les critères d'éligibilité ou les tarifs, le porte-parole invitant les clients concernés à « contacter leur représentant Atlassian ou le support en ligne ».
Une stratégie cloud justifiée par l'IA
Atlassian parie que les entreprises clientes accepteront la migration forcée en échange de fonctionnalités d'IA qui nécessitent une infrastructure cloud. L'assistant Rovo AI, la recherche à l'échelle et ce que la société appelle le « Teamwork Graph » pour connecter les données entre les applications sont toutes des capacités qui dépendent du cloud. « En passant à la plateforme cloud Atlassian, nos clients auront immédiatement accès à une recherche d'entreprise de classe mondiale, à travers nos applications et celles de tiers », a fait valoir l’entreprise dans son communiqué. Les clients cloud peuvent également « intégrer Rovo comme coéquipier d'IA » et « briser les silos de données qui existent dans les produits de centres de données ».
Inquiétudes sur le calendrier
Les analystes du secteur se demandent si le calendrier de trois ans est réaliste pour les grandes entreprises habituées à des cycles de vie technologiques plus longs. « Sur le papier, trois ans peuvent sembler faisables, mais en réalité, ce délai est trop court pour les entreprises mondiales habituées à des cycles de vie de cinq à sept ans », a fait remarquer Sanchit Vir Gogia, analyste en chef chez Greyhound Research. « Par rapport à Microsoft et Oracle qui ont généralement allongé ces transitions en proposant des extensions de support et des options hybrides, Atlassian s'est montré plus intransigeant. »
Selon M. Gogia, cette stratégie reflète autant les priorités opérationnelles que l'innovation. « Atlassian ne souhaite plus répartir l'ingénierie entre trois modèles de livraison », a-t-il expliqué. « L'activité cloud de l'entreprise est plus rentable, plus simple à prendre en charge et plus facile à moderniser. » Cependant, la situation économique est différente pour les clients. « Le coût moyen des licences cloud est 28 % plus élevé que celui des licences équivalentes sur site, sans compter les modules complémentaires tels qu'Access », a rappelé M. Gogia.
Les défis de la migration
La transition forcée génère un stress particulier pour les clients les plus complexes. M. Gogia fait remarquer que, même si Atlassian met en avant le fait que les trois quarts de ses comptes les plus complexes sont déjà en train de migrer vers le cloud, « le quart restant correspond précisément à ceux pour lesquels la migration est la moins réalisable ». C’est le cas notamment des banques, des prestataires de soins de santé, des sous-traitants du secteur de la défense et des organismes publics, où la conformité et les interdépendances entre les flux de travail rendent les transitions abruptes dangereuses.
L’analyste répartit les obstacles à la migration en trois catégories : les défis techniques, où les personnalisations complexes ne peuvent être supprimées et transférées sans une refonte complète ; les questions juridiques liées à la résidence des données et aux régimes d'audit ; et les contraintes organisationnelles liées à la formation de milliers d'employés dans un délai de trois ans. « De nombreux DSI, sont très préoccupés par le fait que c’est le calendrier d'Atlassian, et non leur réalité réglementaire, qui détermine l'ordre du jour », a rapporté M. Gogia.
Une concurrence plus rude
La décision de mettre fin au service comporte aussi des risques stratégiques. « Les transitions forcées génèrent rarement de la bonne volonté : elles poussent souvent les DSI à dépoussiérer les fiches d'évaluation des fournisseurs et à se demander si d'autres solutions pourraient offrir un meilleur levier à long terme », a averti M. Gogia. Ce timing coïncide avec l'intensification de la concurrence de Microsoft Teams, Google Workspace et ServiceNow, qui proposent tous des écosystèmes intégrés combinant des outils de collaboration, de productivité et de développement. Selon M. Gogia, Amadeus a déjà signalé ce changement en choisissant GitHub et ServiceNow plutôt que de suivre Atlassian vers le cloud.
L’éditeur « pourrait voir ses revenus diminuer à court terme, mais aux yeux des acheteurs professionnels, son positionnement risque de passer de celui de plateforme à celui d’outil », a avancé l’analyste. Le communiqué précise que pour relever les défis liés à la migration, la société a mis en place des programmes d'assistance adaptés à la taille des clients, proposant des outils en libre-service pour les petites entreprises et un service haut de gamme « Solution Design Acceleration » pour les plus grandes. L’entreprise offre également des conditions spéciales aux clients Bitbucket avec deux options de licence. Le succès de la stratégie d'Atlassian dépendra de la capacité des fonctionnalités d'IA et des avantages opérationnels promis à justifier les perturbations et les coûts liés à la migration obligatoire pour les entreprises qui ont résisté au passage au cloud.