En arrivant en 2007 à la tête du Printemps, racheté en 2006 par le groupe Borletti et RREEF (Deutsche-Bank), le PDG Paolo de Cesare, a décidé d'investir largement, tout à la fois dans la rénovation des 17 magasins français et dans le système informatique de l'entreprise. « Nous avons acquis Printemps car nous pensions qu'il y avait un fort potentiel à développer », affirme le dirigeant. Mais il fallait clairement transformer l'héritage, à tous les niveaux. « Nous avons dépensé 30 millions d'euros dans le patrimoine architectural et le développement d'un nouvel environnement de vente, et 20 millions d'euros dans notre projet informatique », a-t-il relaté il y a quelques jours lors de la présentation du projet IT à la presse, dans le bâtiment historique du boulevard Haussmann, à Paris. « L'une de mes premières décisions a été d'embaucher notre directeur des systèmes d'information qui est aussi directeur des flux marchandises, un profil qu'il n'est pas courant de rencontrer à ce poste », souligne Paolo de Cesare. Une fonction à double compétence que l'on commence néanmoins à rencontrer dans les DSI du secteur du retail et de la distribution.


Paolo de Cesare, PDG du Printemps (crédit : D.R.)

« Notre modèle économique est très complexe, a rappelé le PDG en pointant les spécificités du triptyque mode/luxe/beauté. Nous devons créer des collections cohérentes et attractives, les commander, les stocker, les livrer et les suivre à l'unité. Cela met en oeuvre de multiples processus pris en charge par des équipes distinctes. » Jusque-là, les données informatiques du groupe transitaient entre les huit systèmes d'information et il arrivait que des informations soient perdues. « Le projet a représenté un énorme travail », reconnaît Paolo de Cesare, PDG du Printemps, en insistant sur l'importante collaboration qui a caractérisé les échanges entre les équipes internes, l'intégrateur externe CSC et SAP, l'éditeur de la suite applicative choisie. Un parcours ponctué de comités de pilotage mensuels auxquels participaient les dirigeants des trois parties prenantes. Trente mois d'un travail acharné avec un planning qui s'est déroulé selon les prévisions, assure de son côté la DSI de l'entreprise.

Pas simplement un projet informatique

Le Printemps sort quatre collections par an, mais en réalité des nouveautés arrivent chaque semaine. Au total, un million deux cent mille références provenant de 2 000 marques transitent par le centre de distribution. Le groupe gère 17 magasins. Le navire amiral du boulevard Haussmann, pèse à lui seul l'équivalent des 16 autres. Il réunit 3 500 collaborateurs, sur 4 500 au total, compte 26 étages, 600 caisses POS (terminaux points de vente) et un entrepôt. La mise en place de la solution SAP n'a pas été qu'un projet informatique. Il a concerné toute l'entreprise, du comptable au logisticien en passant par les vendeurs, insiste Arnaud Lescroart, directeur des systèmes d'information et des flux de marchandises (auparavant DSI et directeur logistique de Decathlon / Oxylane). Considérant les 1 200 000 codes articles à gérer qui, outre l'habillement, peuvent concerner  tout aussi bien des petites cuillères que des meubles, on imagine aisément la quantité de processus à adapter que cela peut représenter. Avec des contraintes particulières dans certains domaines : « Le rafraîchissement du catalogue doit être extrêmement fréquent pour être à la pointe de la mode », rappelle notamment le DSI.


Arnaud Lescroart, directeur du flux marchandises et des systèmes d'information du Printemps (crédit :D.R.)

La dématérialisation des échanges enfin possible

Les objectifs du projet visaient donc à apporter une réponse informatique optimale pour ces besoins métiers. « Nous souhaitions passer d'une gestion des coûts un peu comptable, historique au Printemps, à une gestion unitaire permettant de suivre la vie d'un produit de son entrée dans le réseau jusqu'à sa sortie », indique Arnaud Lescroart. Nous voulions aussi gérer les marges et les stocks grâce à une supply chain efficace. » La mise en place de l'ERP devait conduire à harmoniser les procédures d'approvisionnement et de back-office, mais « sans imposer les mêmes process partout », module le DSI. Le projet misait sur une logistique performante, élargissant les capacités de collaboration avec les fournisseurs. En centralisant les flux liés aux 1 200 000 codes articles, la sécurité et la fiabilité des informations se renforçaient. « La dématérialisation des échanges n'était pas possible avant cette mise en place », reconnaît d'ailleurs le directeur des flux de marchandises. Elle doit se faire sur la facturation comme sur la mise à disposition des catalogues. Enfin, le Printemps avait aussi l'ambition de réduire son  « time to market » en proposant aux clients le bon produit, au bon moment et au bon prix.

Petit détour par Harrods pour voir[[page]] 

Avant de fixer son choix sur SAP, à l'issue d'une réflexion approfondie, le groupe avait notamment fait un détour par Harrods, son prestigieux homologue londonien, qui avait déjà mis en place les applications de l'éditeur allemand. Cette institution britannique n'est pas considérée comme un concurrent par Printemps. « Nous entretenons avec eux une relation amicale », indique Paolo de Cesare. « Nous sommes allés les voir », a-t-il reconnu en réponse à une question. Mais, quoiqu'instructif, ce projet de référence n'a pas pour autant motivé le choix définitif de Printemps, a-t-il affirmé.

Outre le noyau ERP de SAP, ECC 6, comprenant les principales fonctions de gestion, Printemps a retenu deux modules métiers adaptés au monde du retail. D'une part, le module SAP MAP (Merchandise and Assortment Planning) pour piloter ses assortiments, « avant, pendant et après les saisons » et fixer les budgets d'achat. D'autre part, le module SAP POS DM (Point of Sale Data Management) qui remonte et agrège les tickets de caisse dans le datawarehouse SAP BW pour fournir quotidiennement des indicateurs sur le niveau des stocks, le chiffre d'affaires et les marges (la solution décisionnelle utilise aussi la base de données de Sybase et le logiciel de restitution de MicroStrategy). Des informations qui, auparavant, ne pouvaient être analysées que sur un mode hebdomadaire ou mensuel.

Un centre de compétences SAP interne

Les huit systèmes informatiques utilisés jusqu'alors avaient fait leur temps et les coûts de maintenance associés étaient importants. Le Printemps présente la particularité d'avoir externalisé l'ensemble de son système informatique. Avec le changement d'ERP, toujours infogéré, le directeur IT a souhaité créer un centre de compétences pour maîtriser en interne les fonctions SAP liées aux métiers. Celui-ci rassemble actuellement 14 personnes et bénéficie, selon Arnaud Lescroart, d'une certaine autonomie sur le paramétrage de l'application.

Depuis le 5 novembre 2010 et la mise en production du nouveau système sur l'ensemble du périmètre du Printemps, « nous disposons d'une granularité sur l'information et sommes désormais capables de gérer par exception, de descendre au niveau du code article, avec une supply chain optimisée, au service du client », énumère le DSI. Mais avant cette ultime étape, plusieurs mises en production avaient été déjà opérées avec succès. 

« Nous avions décidé de basculer les applications marché par marché [Enfants, Femmes, Hommes, Beauté, Maison] à travers tous les magasins, et non pas fonction par fonction », explique Arnaud Lescroart. « Notre pilote portait sur le marché de l'enfant. La bascule s'est faite en février 2010, dans la soirée. Le revers de la médaille, c'est que nous avons dû travailler avec un double système, sur ce marché et sur les autres ».

Basculer marché par marché, un pari risqué

Le parti pris de ne pas mettre l'ERP en service fonction par fonction était un peu risqué. « Ce fut une décision délicate à prendre. D'habitude, les entreprises retiennent deux ou trois process de SAP et basculent par fonction parce que c'est plus simple de faire comme cela », relève Paolo  de Cesare, PDG du groupe. Avant de rejoindre le Printemps, le dirigeant présidait la division Global Skin Care de Procter & Gamble qui s'apprêtait alors à mettre en place SAP. Il connaît ces projets. « Il est plus difficile d'installer des processus entièrement intégrés car vous mobilisez alors toutes les fonctions d'une entreprise, de la finance aux vendeurs. Mais ce fut notre décision. Tout le monde devait travailler ensemble au même objectif », souligne-t-il en insistant sur le fait que cette évolution technologique a également constitué un changement culturel. « Le risque était important, mais nous avons été capables de gérer cela de façon transversale à chaque niveau de l'entreprise. Et c'est pour cela que nous avons pu terminer le projet en un peu plus de deux ans [30 mois]. »

Du jour au lendemain, une réactivité accrue[[page]]

Le début effectif du projet remonte au 10 avril 2008. Après les phases classiques de la conception générale, puis de la conception détaillée et du paramétrage, la phase de recette a constitué une étape prépondérante. Avant de démarrer le pilote sur le marché Enfants, « nous avons effectué quatre tirs à blanc », se souvient Arnaud Lescroart. La mise en place réussie du pilote a été suivi d'une première vague de mise en production, puis d'une deuxième. « Du jour au lendemain, nous avons disposé d'une finesse de l'information et bénéficié d'une réactivité accrue face au client. Avant, nous prenions certaines décisions à la fin du mois, désormais, nous avons l'information et nous nous posons beaucoup plus de questions ». Pour illustrer cette avancée, Paolo de Cesare donne en exemple le choix des produits proposés au discount, sélectionnés de façon bien plus précise depuis que le taux de rotation des stocks est connu sans délai. Cela permet aussi de ne pas réapprovisionner à tout crin, tout en évitant les ruptures.

Après le pilote, trois marchés ont été basculés d'un coup, alors qu'au départ, il était question de les lancer l'un après l'autre. « Tous les tuyaux étaient branchés et, en dehors de problèmes de volumétrie possibles, nous étions plutôt sereins. Nous avions d'ailleurs fait de nombreux tests de charge sur la volumétrie », explique le DSI. Après les marchés Hommes, Femmes et Beauté, mis en production en avril, ce fut au tour des Accessoires, en octobre, « un gros marché pour nous », puis la Maison, « très complexe en termes de processus » et, enfin, la Lingerie, apportant là aussi son lot de particularités (notamment une grille de taille compliquée à gérer).

Peu de spécifique, beaucoup de formation

Parmi les facteurs de réussite du projet(*), outre l'implication des instances de direction de tous les intervenants, Arnaud Lescroart pointe deux exigences essentielles. D'une part, une limitation des développements spécifiques, d'autre part, la place importante accordée à la formation des équipes. « Nos directions étaient très solidaires et les développements spécifiques se sont limités à 400 jours. Paolo de Cesare tranchait par un "No way ! On reste sur le standard" », relate le DSI. Un leitmotiv entonné à l'unisson par Nicolas Sekkaki, DG de SAP France. 

« Nous avons énormément formé nos équipes, ajoute le DSI. Nous avons cent approvisionneurs, chacun a eu une centaine d'heures de formation sur les nouveaux outils. » Autre élément clé : les équipes sont passées rapidement en production après leur formation. « Nous avons changé les outils, les processus, mais aussi les instances de décision », explique encore Arnaud Lescroart. Aujourd'hui, les contrôleurs de gestion discutent avec les approvisionneurs, y compris dans le feu des soldes. « Nous n'avons pas fait de BPM, mais requalifié les outils. Je crois que les métiers sont plus clairs maintenant. Ce qui me tient à coeur, c'est que chacun monte à bord à son rythme. »

Parmi les bénéfices recueillis, le DSI apprécie tout particulièrement la gestion affinée des stocks. « Nous avions beaucoup de réserves. Je voulais abaisser le niveau du stock dans les points de vente et le remonter dans les entrepôts tout en le réduisant globalement. On arrive maintenant à le piloter très finement. » Il ne souhaite néanmoins pas communiquer de chiffres, attendant pour cela d'avoir réalisé une année entière avec le nouveau SI. « Nous sommes déjà beaucoup plus réactifs. La planification devient presque un nouveau métier chez nous. Nous avons fait des réajustements avec nos fournisseurs mais, de fait, nous leur communiquons également plus d'informations ».

Dans les mois qui viennent, Printemps est prêt à lancer d'autres chantiers sur son socle SAP, comme le commerce en ligne, par exemple, ou encore une relation client approfondie sur un mode multicanal.

(*) Ce projet de trente mois a mobilisé vingt personnes au Printemps, la moitié issue de l'équipe IT, l'autre moitié venant des métiers, toutes occupées à 100% de leur temps pendant la durée du chantier. Chez CSC, le nombre de personnes a varié au fil des étapes, réunissant jusqu'à 30 personnes. SAP est intervenu sur l'intégration des modules POS et MAP.

Illustration principale : Le navire amiral du Printemps, boulevard Haussmann, à Paris (crédit : Le Printemps)