Dans un marché en tension, Alphabet a décidé de sécuriser son approvisionnement en capacité énergétique et en datacenter à travers le rachat d’Intersect. Cette société fondée en 2016 crée des datacenters et dispose de contrats énergétiques qui intéressent fortement la maison-mère de Google. Celle-ci indique dans un communiqué que cette acquisition va lui permettre d’accroître plus rapidement ses capacités afin de répondre à la demande croissante en IA. Selon Thomas Randall, directeur de recherche chez Info-Tech Research Group, « avec ce rachat, Alphabet pourra libérer rapidement les capacités dont elle estime avoir besoin pour répondre à la demande liée à la popularité croissante de Gemini, à son entraînement et à son intégration dans presque toutes les recherches Google ». Les deux entreprises se connaissent car Google a investi dans Intersect lors de la dernière levée de fonds en décembre 2024.
Un renforcement des capacités énergétiques
Avec cette transaction de 4,75 milliards de dollars (plus la reprise de la dette), qui devrait être finalisée au cours du premier semestre 2026, Google absorbera l'équipe d'Intersect et « plusieurs gigawatts » de projets énergétiques et informatiques déjà en cours de développement comme au Texas dans le comté de Haskell par exemple. La société affiche un portefeuille de 15 M$ d’actifs et prévoit une capacité énergétique de 10,8 GW. A noter que certains actifs au Texas et en Californie ne font pas partie de l’accord et continueront à fonctionner de manière indépendante.
Il n’en demeure pas moins que le rachat marque une étape dans les efforts de Google pour développer ses infrastructures IA et ses capacités énergétiques. Plus tôt cette année, l'entreprise a annoncé un partenariat avec NV Energy afin d'alimenter le réseau électrique du Nevada avec 115 MW d'énergie renouvelable, via la géothermie. Elle collabore également avec Energy Dome sur des innovations dans les batteries à CO₂ pour le stockage d'énergie à long terme, et soutient les technologies de captage et de stockage du dioxyde de carbone (Carbon Capture and Storage, CCS) dans une centrale à gaz en partenariat avec Broadwing Energy. Grâce à cette initiative, Broadwing capturera et stockera de manière permanente environ 90 % de ses émissions de CO₂, et Google s'est engagé à acheter la majeure partie de l'électricité qu'elle produit.
Réduire la dépendance aux fournisseurs tiers
« Avec l'achat d'Intersect, Google signale clairement que, à l'ère de l'IA, le modèle traditionnel consistant à dépendre des services publics et des fournisseurs d'énergie tiers n'est pas suffisamment fiable », a fait remarquer Sanchit Vir Gogia, analyste en chef chez Greyhound Research. « C’est une reconnaissance par Google que ses contraintes se sont déplacées en amont », a-t-il ajouté. La société n'a pas besoin d'être formée à la conception de centres de données, mais « elle a besoin d'un moyen d’aligner des mégawatts de manière prévisible sur un marché dans lequel les délais de raccordement au réseau, les files d'attente d'interconnexion, les mises à niveau des sous-stations et les cycles d'autorisation sont désormais plus lents que le cycle de déploiement informatique », a-t-il expliqué. « Il s'agit également d'une stratégie d'internalisation des risques : Alphabet souhaite réduire son exposition aux retards qui surviennent lorsque la fourniture d'électricité est insuffisante », a-t-il souligné.
« Intersect apporte une certitude temporelle, un contrôle du séquencement et un modèle opérationnel de type développeur qui ne sont pas fournis de manière fiable par les services publics et les contrats de co-location », note l’analyste. Par ailleurs, le soutien d'Alphabet à de nombreuses technologies d'énergie renouvelable et décarbonée indique que Google cherche à diversifier et à stabiliser la capacité électrique dans différentes régions et conditions de réseau, et à réduire la dépendance à un point unique. « Lorsqu'une technologie est bloquée, une autre peut prendre le relais sur une partie de la charge. Intersect permet à Google de coordonner le séquencement afin que le calcul et l'alimentation électrique arrivent ensemble », a expliqué l’analyste.
Lier stratégie énergétique et planification de la capacité
« En fin de compte, cette acquisition réduit la dépendance d'Alphabet vis-à-vis de ses partenaires énergétiques tiers », a fait remarquer Thomas Randall d'Info-Tech. L'énergie est un élément fondamental de l'infrastructure de base, mais elle se raréfie à mesure que les fournisseurs en IA accaparent les ressources. « Les responsables de centres de données devraient profiter de cette occasion pour lier la stratégie énergétique à la planification des capacités, aux objectifs de durabilité et au positionnement concurrentiel », a pointé M. Randall. « Traditionnellement, les décisions des DSI concernant le choix entre construction, location ou cloud étaient axées sur les coûts, l'agilité, la sécurité et la conformité. Mais la certitude quant à l'approvisionnement en énergie ne faisait pas partie de l’équation », a ajouté Sanchit Vir Gogia. « Si les hyperscalers investissent des milliards pour regrouper la production et la charge, les entreprises doivent s'attendre à être confrontées aux mêmes contraintes, mais plus tôt et avec moins de pouvoir de négociation », a-t-il estimé. « Le cloud abstrait le risque énergétique », a fait remarquer l’analyste. « Lorsque les régions atteignent leurs plafonds en alimentation électrique et en GPU, la capacité est rationnée, les délais changent et les clients sont incités à se tourner vers d'autres régions ou d'autres modèles de fourniture. Cela peut entraîner des retards dans les déploiements, et souvent des coûts plus élevés en raison des différences de prix liées à la rareté. Cette réalité est encore plus évidente avec les constructions sur site », a-t-il observé. « Les constructeurs peuvent achever une installation dans les délais, mais continuer à fonctionner en dessous de leur capacité pendant des mois, voire plus, si l'alimentation électrique n'est pas fournie comme prévu ».
Pour Sanchit Vir Gogia, « les DSI doivent adapter leur modèle de gouvernance », en soulignant que la diligence raisonnable en matière d'énergie doit faire partie du processus de décision technologique. Le choix du site nécessite de prendre en compte le « temps d'alimentation », et pas seulement la latence du réseau. Les contrats doivent offrir une plus grande transparence sur les engagements de capacité, d'objectifs d'expansion régionale et de plans d'urgence. « La durée de planification des datacenters pourrait être raccourcie, car les conceptions sont modulaires et reproductibles », observe l’analyste. Tout en ajoutant que « les contrats énergétiques seront plus longs, car l'approvisionnement est limité et les autorisations prennent du temps. »
Prendre en compte l'acceptabilité sociale
Pour l’analyste de Greyhound Research, « les entreprises doivent élaborer une stratégie en matière de risques énergétiques et tenir compte de l'acceptabilité sociale », a-t-il souligné. L'expansion des centres de données est de plus en plus contestée par les collectivités et les régulateurs, en particulier en ce qui concerne son impact sur le réseau local. Avec cette initiative, Alphabet augmente son approvisionnement énergétique tout en prenant en compte la perception, par les clients locaux, des coûts qu’ils auront à supporter. « Les entreprises devraient en tirer des leçons », a estimé M. Gogia. « Si vous prévoyez de construire une grande installation ou même d'augmenter considérablement votre empreinte de colocation, la gestion des parties prenantes n'est plus facultative. Elle fait partie intégrante de la prestation. »
L'acquisition d'Intersect par Google marque également un changement dans les stratégies des fournisseurs. « Cela pourrait modifier la dynamique des prix, de la disponibilité et des négociations pour les acheteurs professionnels », a avancé Sanchit Vir Gogia. Ce dernier conseille de ne pas traiter l'alimentation électrique comme une question secondaire, car cela entraînerait des retards dans les délais. Il faut partir du principe que certaines capacités seront limitées et prévoir des alternatives bien avant le lancement des projets. « C'est la décennie où les kilowatts, les permis de construire et la politique décideront discrètement si votre feuille de route « cloud first » sera réellement mise en œuvre dans les délais », conclut-il.