Truffle Capital vient de livrer son classement annuel des cent premiers éditeurs de logiciels en Europe, avec IDC et le CXP, en se basant sur les résultats 2010 de ces sociétés. Ce Top 100 marque « l'année de la croissance retrouvée, dans un contexte de sortie de crise, du moins jusqu'à cet été », commente Bernard-Louis Roques, directeur général et co-fondateur de Truffle Capital. Le chiffre d'affaires du Top 100 s'est élevé à 30,9 milliards d'euros pour les revenus issus du logiciel contre 27,1 Md€ l'année précédente, soit une progression de 14% (sur un chiffre d'affaires total de 49,4 Md€). « Une croissance très significative et des profits, surtout », souligne Bernard-Louis Roques sur un secteur encore dominé par le modèle traditionnel des licences et qui a continué à investir dans sa R&D. Au total, les bénéfices de ces éditeurs sont passés de 3,7 Md€ en 2009 à 5,8 Md€ en 2010.

« En ce qui concerne les indicateurs d'investissement, il y a là aussi une forte poussée, à remettre bien sûr dans un contexte où l'on a eu l'impression de recouvrer une forte visibilité, ajoute le co-fondateur de Truffle Capital. On a donc parié sur l'avenir ». Les dépenses en R&D ont ainsi progressé de 15,7% par rapport à 2009 pour atteindre 4,4 Md€. L'année précédente, ils n'avaient augmenté que de 5,1%, « ce qui était finalement aussi  un bon chiffre, relève Bernard-Louis Roques, car les éditeurs avaient investi en R&D au-delà de leurs bénéfices. Sur 2010, le nombre d'emplois qualifiés de R&D a légèrement augmenté (+2%), passant à 55 268 personnes.

L'Allemagne réalise à elle seule plus de la moitié du chiffre d'affaires des éditeurs du Truffle 100 Europe, avec 16 sociétés figurant au classement, le Royaume-Uni en génère 18,6%, avec 24 sociétés, et la France 11,2% avec 18 sociétés. Derrière viennent les Pays-Bas avec 3,5% et 7 sociétés.

Le Top 50 pèse 84% du tout, contre 91% en 2009

Concernant les forces en présence dans ce Top 100, on constate un certain rééquilibrage. Le poids des gros éditeurs a relativement diminué par rapport aux plus petits. Toujours très loin devant avec ses 12,3 Md€ de chiffre d'affaires, le groupe allemand SAP ne pèse plus que 31% du total, contre 40% en 2009. Le Top 5 (SAP, Dassault Systèmes, Sage, Software AG et Datev) représente maintenant 44% du tout, contre 56% un an plus tôt. Et le Top 25 réalise 63% des revenus en 2010 quand il en générait 79% en 2009. « Cela ne révolutionne pas le business model, mais c'est une tendance ».

A noter que l'éditeur britannique Autonomy, tout juste racheté par HP, va donc sortir du Truffle 100 Europe. Une modification « comparable par la magnitude à ce qui s'était passé avec l'acquisition de Business Objects par SAP, rappelle Bernard-Louis Roques en pointant : « C'est révélateur des défis que nous avons en Europe vis-à-vis des Etats-Unis ». Il y a cinq ans (édition 2006 du Truffle 100), Autonomy n'était encore qu'à la 44e place du classement. « Nous l'avions alors identifié avec Viviane Reeding comme un acteur susceptible de grimper dans le classement. Certains pensent aujourd'hui qu'il devait se faire racheter  car il n'aurait pas pu continuer sa croissance externe ». A noter sur cette édition 2011, l'arrivée en 5e position de l'Allemand Datev, éditeurs de solutions pour auditeurs et conseillers fiscaux, qui a plus que doublé, à 684 M€ ses revenus logiciels en 2010. Il était encore 14e l'an dernier.

Une structure capitalistique exposée aux marchés

Les tendances du sixième Truffle 100 Europe prennent en compte le climat économique de fond et la crise de la dette gouvernementale, a insisté Bernard-Louis Roques en indiquant que les investissements en R&D seront maintenus ou augmenté. « Il y a aura sans doute des emplois créés en 2012 par rapport à 2011 dans cette industrie », ajoute-t-il. Pour la croissance, en revanche, il y aura un impact sur les profits car on investit toujours autant sur la R&D et le personnel. « Il n'y aura pas la reconstitution des réserves qui a été faite cette année. Cela signifie que face aux éditeurs américains qui disposent de réserves plus importantes, il y aura sans doute d'autres rachats [d'éditeurs européens]. Si les anticipations se confirment, la situation financière des sociétés de logiciels sera plus fragile ».

Illustration : le chiffre d'affaires généré par la vente de logiciels des 100 premiers éditeurs européens a progressé de 14% en 2010 par rapport à 2009 (source : Truffle Capital/IDC/CXP)

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La progression qu'a réussie un Autonomy au cours des années semble moins facile à reproduire pour d'autres éditeurs européens de taille moyenne. Jusqu'à présent, l'éditeur britannique avait pu faire des acquisitions aux Etats-Unis car il avait des liquidités et disposait d'une valorisation à l'américaine. Mais sur ce terrain, les Européens restent toujours des acteurs très modestes face à leurs concurrents situés outre-Atlantique. Les 30,9 Md€ de revenus affichés au total par le Truffle 100 Europe ne représentent que 3/5e du chiffre d'affaires engrangé par Microsoft seul sur son dernier exercice fiscal, fin juin 2011(près de 70 Md€, soit environ 50 Md€). En outre, la structure capitalistique des éditeurs européens est fortement exposée aux marchés : 65 sont en bourse, représentant 84,5% du poids du Truffle 100 et 85,8% des dépenses en R&D.

L'évolution vers le SaaS, un passage délicat

Sur le Top 100 européen ne se dégagent toujours que quatre « champions européens ». En Allemagne, loin derrière un SAP de taille planétaire, se tient Software AG (919 M€ de CA sur le logiciel), qui profite de sa structure actionnariale particulière et de ses réserves. En France, on retrouve Dassault Systèmes (1,56 Md€) et en Angleterre, Sage (1,54 Md€). En dehors de ces quatre groupes, le chiffre d'affaires logiciel des autres éditeurs descend à 431 M€ à la 10e place et à 264 M€ pour le 20e (le Suédois IFS). A partir du 50e du classement, les revenus issus des logiciels sont inférieurs à 100 M€. Néanmoins, relève Bernard-Louis Roques, depuis le palmarès 2006 du Truffle 100 Europe, « la taille des derniers a plus que doublé ». 

Commentant l'évolution des modèles économiques, révolutionnés par le cloud computing et la mobilité, le co-fondateur de Truffle Capital confirme le SaaS (software as a service), donné pour prédominer, « va nécessiter de très forts investissements ». Il s'agit de redévelopper une plateforme différente qui, de surcroît, induit un poids financier en termes de business model (tarification par abonnement lissé sur l'année comparé à l'achat ponctuel de licences) plus que de technologie. L'évolution vers le modèle SaaS est un passage délicat pour les éditeurs. Il peut les fragiliser et en faire des proies.

Pour résister à la concurrence américaine et prospérer, les acteurs du Top 100 ont besoin d'être mieux compris par les dirigeants européens qui ne croient pas suffisamment à des politiques industrielles. Alors que les Etats-Unis voient ce secteur comme une industrie-clé et  le soutiennent par un Small Business Act et d'autres dispositifs avantageux dont des programmes de formation. En France, pour l'instant, toujours pas de SBA, et si le crédit impôt recherche a le mérite d'exister, il profite moins aux petites sociétés qu'aux plus grosses.

En ouverture de ce 6e Truffle 100, Nelly Kroes, Commissaire européenne, chargée des questions liées au numérique, estime nécessaire d'abaisser les barrières qui entrave le chemin vers un marché unique du numérique en Europe. Elle évoque Horizon 2020, le programme de recherche et d'innovation pour 2014-2020, ainsi que le fonds proposé « Connecting Europe Facility » qui doit investir 9,2 Md€ dans le déploiement de réseau haut débit et d'une infrastructure de services numériques.