Truffle Capital a livré son Top 100 des éditeurs français pour 2011, commenté par Eric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Le classement fait apparaître une progression de 10,6% du chiffre d'affaires "édition" des sociétés qui le compose, par rapport à 2010, à 5,2 milliards d'euros, sur un chiffre d'affaires total en hausse de 16,6%, à 7,7 milliards d'euros. On note aussi un léger recul de la part des emplois R&D dans l'effectif total. Celle-ci est passée de 20% en 2010 à 19% l'an dernier, soit 12 210 postes sur 64 830 au total. Malgré tout, l'édition de logiciels reste un secteur créateur d'emplois (+13% en un an au total) et d'innovation qui a compté 750 emplois de R&D de plus sur un an, avec des investissements en hausse de 6,5% dans ce domaine. « Un peu plus de 800 millions d'euros ont été investis en R&D en 2011, soit davantage que les profits réalisés [761,7 M€] », souligne à cet égard Bernard-Louis Roques, co-fondateur de Truffle Capital, chargé des technologies de l'information.

Sur le classement des éditeurs, il ne s'agit pas d'une année révolutionnaire en termes de changements, note par ailleurs Bernard-Louis Roques. Dans le peloton de tête, néanmoins, on remarque derrière le n°1 Dassault Systèmes, la permutation des éditeurs de logiciels bancaires que sont Sopra Group et Murex, ce dernier grimpant en 2e position. Cegid reste 4e et derrière lui, on retrouve Axway, la filiale de Sopra Group axée sur les échanges B-to-B, qui a pris son indépendance l'an dernier. Bernard-Louis Roques évoque l'excellent début d'année de Sopra et le dynamisme de l'éditeur pour se reconstituer un pôle édition dans le domaine bancaire après le détachement d'Axway. Il rappelle son acquisition de Delta Informatique en septembre 2011 suivi, plus récemment, de plusieurs autres opérations en Belgique et au Royaume-Uni.

Les rachats ont pesé 40 M€ contre 55 M€ en 2010

En 2011, le Truffle 100 France n'aura perdu aucun de ses fleurons, alors que les cinq années précédentes avaient été marquées par l'absorption de 14 éditeurs français par des sociétés étrangères. L'an dernier, le poids des rachats n'a pesé que 40 millions d'euros dans le Truffle 100 France contre 45,3 millions en 2010, 55 M€ en 2009 et 371 M€ en 2008. Parmi les acquisitions du deuxième semestre, par exemple, Keynectis a racheté OpenTrust (sur les logiciels sécurisés d'échanges numériques) et RFlex s'est rapproché de Talentsoft (dans les logiciels de RH).

Dans l'ensemble, les sociétés les moins importantes rencontrent davantage de difficultés. Les cinquante premiers éditeurs du Truffle 100 France ont un chiffre d'affaires supérieur à 19 millions d'euros. « Ces sociétés-là s'en sortent bien et génèrent plus de profit que la moyenne », pointe Bernard-Louis Roques. La profitabilité globale du Top 100 est passée de 6,6% du chiffre d'affaires en 2010 à 10% en 2011. Dans cette perspective globale, le constat est plus nuancé pour les sociétés classées de la 51e à la 100e place. « Elles sont plus représentatives de l'industrie économique française et sont pénalisées », estime le co-fondateur de Truffle Capital. La modification du statut de la jeune entreprise innovante (qui a réduit le montant des aides sur les salaires des emplois de R&D), de même que les nouvelles modalités de calcul du crédit emploi recherche (CIR) « ne favorisent pas du tout les petites entreprises », rappelle-t-il. « Beaucoup de PME ont augmenté leurs investissements en R&D et obtenu moins de CIR », constate-t-il sur le terrain.

La chaîne alimentaire de l'industrie du logiciel fonctionne mal

Bernard-Louis Roques insiste aussi sur la raréfaction du financement. Les FCPI, fonds de capital risque abondés par réduction d'impôts, ont vu leurs avantages rabotés. « La collecte a baissé de 10% par an, ce qui a contribué à réduire les investissements dans les sociétés du logiciel. » [[page]]En 2010, des contraintes portant sur les FCPI ont amené à devoir investir rapidement. En 2011, les nouveaux FCPI disposaient de moins d'argent pour un besoin qui va croissant. « La chaîne alimentaire de l'industrie du logiciel ne fonctionne plus comme elle devrait le faire », estime Bernard-Louis Roques. « Donc, les sociétés réalisant moins de 19 millions d'euros de chiffres d'affaires peinent et ne peuvent pas s'internationaliser ».

Les petits éditeurs de logiciels commencent souvent par se financer avec les fonds propres des fondateurs et de leurs proches et quelquefois avec l'aide de leurs premiers clients, rappelle le fondateur de Truffle Capital. Ils réunissent quelques millions d'euros. « Puis il faut commencer à industrialiser, investir dans le marketing et embaucher. Ces étapes sont difficiles et c'est là qu'interviennent les fonds, entre 500 000 euros et 5 millions d'euros. Cette partie de la chaîne est rompue et la régénérescence du Truffle 100 pose aujourd'hui problème », avertit Bernard-Louis Roques. Il rappelle qu'auparavant, les petites sociétés se développaient plus vite que les grosses. « La tendance s'est inversée ». Les gros rachètent les petits qui, eux, ne peuvent pas prendre de poids.

Disposer d'une industrie du logiciel indépendante

Ce n'est pas à cause de la crise de 2008 car le marché s'est assaini. « C'est vraiment un problème de financement », pointe le responsable. « Cela a été raboté à un point très pénalisant pour ces sociétés. Tout est arrivé en même temps. C'est même inquiétant ».

Quelles solutions ? Il faut prendre conscience des vertus de l'industrie du logiciel en France et de l'importance de disposer d'une industrie nationale pour être indépendant et ne pas dépendre des logiciels créés ailleurs. « Et nous créons aussi les emplois de demain », insiste Bernard-Louis Roques. « Il faut favoriser l'éclosion de nouvelles sociétés. Il y a des mesures simples à prendre, dont le SBA (Small Business Act) demandé par les petites sociétés ». Aujourd'hui, certains candidats à la présidentielle en parlent, mais ce sont des promesses électorales. Il faudrait, estime-t-il, un décideur qui alloue ces questions à un ministère particulier avec des objectifs à réaliser. Il s'agit juste de réallouer des commandes aux PME et les donneurs d'ordre y gagneront. « Sinon, on casse l'outil en rabotant. Et on se retrouve paradoxalement avec des incitations fiscales plus intéressantes pour l'Outre-Mer que pour l'innovation. On ne peut pas se satisfaire de chiffres engageants à regarder. » Le secteur du logiciel est une industrie dynamique qui doit croître. « La France est au 5e rang dans le monde en matière de logiciel », rappelle le responsable de Truffle Capital. « On ne peut pas s'en satisfaire. Nous devrions être au 3e rang. Dans les industries de demain, nous tenons à peine notre rang au regard du nombre d'ingénieurs que nous avons ».