Quels enjeux ? Quels défis ? Quels freins ? Quelles perspectives ? C’est pour faire le point sur les derniers développements de l’IA en entreprise, leurs applications concrètes et les défis qui accompagnent ces nouvelles technologies qu’une conférence a été organisée le jeudi 6 mars à La Défense, rassemblant Cognizant, Microsoft, et CIO, avec pour grand témoin Adil Barakate, Global Head of Data Management de BPCE.
Devenir un acteur majeur de l’IA grâce à des partenariats stratégiques
Pour introduire cette matinée, Long Le Xuan, Country Manager de Cognizant France, a rappelé en quelques mots les objectifs et priorités de l’ESN créée en 1994, figurant dans le top 10 des ESN mondiales, avec un CA de près de 20 milliards de dollars : « Notre positionnement est agnostique, mais notre objectif est de coopérer avec les partenaires technologiques stratégiques les plus importants, tels Microsoft, et tous les grands acteurs de l’IA ». Preuve de l’engouement de l’ESN qui fêtera ses 20 ans d’implantation en France cette année pour l’IA : l’investissement d’1 milliard de dollars en matière de R&D, la constitution de labs et sa suite de solutions IA Neuro. « Notre objectif : devenir un acteur majeur de la dynamique d’innovation du marché de l’IA », a-t-il conclu.
Une opportunité qui gagne du terrain
Lors de cette matinée d’échanges, les intervenants ont d’emblée souligné l’ampleur des changements enclenchés par l’IA Gen et particulièrement par l’IA agentique. « D’ici 2028, une application sur trois intégrera des fonctions d’agents autonomes », a rappelé Abid Samali, Responsable de la pratice AI et Data chez Cognizant France. Une donnée issue d’une étude Cognizant - Oxford Economics, préfigurant l’exemple de DBS, première banque d’Asie par la taille de ses actifs, qui a récemment communiqué la suppression de 4000 postes « classiques ». Son intention ? Dégager de la capacité à recruter 1000 nouveaux spécialistes de l’IA générative pour accroître sa compétitivité et embrasser l’IA agentique à un rythme soutenu.
Les intervenants ont insisté sur l’effet de levier de ces technologies : quand un agent virtuel n’est plus cantonné à un chatbot rudimentaire, mais peut déclencher, coordonner et exécuter de multiples tâches, l’impact business se révèle instantanément plus fort. « De la relation client à la maintenance industrielle, en passant par la banque ou l’assurance, la multiplicité des opportunités s’annonce vaste », s’enthousiasme l’expert.
Mais au fait, c’est quoi, l’IA agentique ?
Avant d’entrer au cœur des enjeux, la conférence a permis de clarifier ce que recouvre le terme « IA agentique », de plus en plus utilisé pour décrire cette nouvelle génération de solutions. Auparavant, l’IA conversationnelle (les chatbots, par exemple) se limitait à répondre de manière statique à des questions prédéfinies. L’IA agentique, en revanche, repose sur des modèles de compréhension du langage (LLM) et des aspects métiers capables de prendre des décisions ou d’exécuter des tâches à la place de l’utilisateur, selon un ensemble d’instructions potentiellement très vaste.
Cette révolution se joue en trois étapes, décryptées par Abdelghafour Benkassmi, chef de produit PowerPlatform, de Microsoft :
- Le passage du simple chatbot à l’agent dit “réceptif” : l’IA se contente d’agir en tant qu’assistant ; elle répond à nos questions, génère du contenu, mais sans prendre la main sur les actions dans les systèmes d’information.
- L’agent capable d’agir pour exécuter des tâches : l’IA peut initier et automatiser des process, créer un ticket de support, envoyer un e-mail, renseigner une ligne dans un CRM, etc.
- Le multi-agent : plusieurs IA collaborent, communiquent et s’échangent des informations pour accomplir ensemble un cycle opérationnel complet, avec la possibilité de déclencher des interventions humaines uniquement en cas de besoin.
« Ce stade ultime du multi-agent autonome risque de bouleverser l’organisation et la gouvernance des entreprises. Les agents deviennent alors des collaborateurs virtuels à part entière, interagissant dans un univers métier tout autant qu’avec des humains », avance l’intervenant Microsoft.
Applications concrètes : focus sur le secteur bancaire (BFSI)
Pour illustrer le potentiel de l’IA agentique, le secteur bancaire est mis à l’honneur, comme en attestent les exemples et cas d’usage cités par les experts Microsoft et Cognizant :
- Optimisation des processus de crédit : La perspective d’automatiser partiellement l’étude d’un dossier de prêt, en compilant et analysant les données externes, permet de réduire de moitié les délais de réponse. « Ainsi, comme le rappelle Abid Samali, cet acteur du secteur bancaire vise l’implémentation de plus de 800 cas d’usage d’IA en production pour faire passer de 12 à 6 jours le temps de validation de certains crédits, en développant des solutions multi-agents qui croisent différentes sources. Et ce, d’ici juin 2025».
- Chatbots dédiés au service client : De nombreuses banques entendent déployer, ou ont déjà déployé, des robots conversationnels évolués pour traiter les réclamations de bout en bout, envoyer des e-mails d’information, lancer des demandes de suivi sans intervention humaine et réserver l’intervention d’un conseiller uniquement lorsqu’elle s’impose et apporte une véritable valeur ajoutée.
- Détection de fraude et de risques : Les agents sont susceptibles de prendre l’initiative de croiser des bases de données internes et externes pour alerter sur des anomalies, repérer des comportements inhabituels ou détecter des fraudes.
- Optimisation des actifs et RWA : Comme l’a souligné Abid Samali, de Cognizant, « la cartographie et l’optimisation des actifs en capital (risk-weighted assets – RWA) est un enjeu majeur, et l’adoption d’agents capables de compiler et analyser en temps réel des informations fragmentées dans les systèmes historiques de la banque s’avère vite déterminante. »
Ces exemples montrent à quel point le secteur BFSI (mais aussi, par extension, l’assurance ou la fintech) constitue un laboratoire d’expérimentations pour l’IA agentique – donc, d’innovation. Certes, les banques sont confrontées à des contraintes règlementaires fortes et avancent donc prudemment. Mais le potentiel de gain en efficacité et en satisfaction client est tel que les initiatives s’y multiplient.
Retours d’expérience : quels apports de l’IA agentique ?
Parmi les moments les plus marquants de la conférence, culmine l’échange, sur un ton à la fois concret et prospectif, entre les représentants de Cognizant, de Microsoft et d’Adil Barakate, Global Head of Data Management de BPCE, en tant que grand témoin, interviewé par Reynald Fléchaux, rédacteur en chef de CIO :
- Le rôle de la gouvernance et de la sécurité
Chacun s’accorde à dire que la gouvernance de l’IA agentique est cruciale. Avec des agents pouvant agir de manière autonome, il devient impératif de s’assurer qu’ils n’accèdent qu’aux données nécessaires et ne dérivent pas de leur mission initiale (éviter les effets d’« hallucination » ou la divulgation de données sensibles). « La gouvernance et la responsabilité de l’IA doivent vraiment être prises en considération », insiste Adil Barakate. Quant à Abdelghafour Benkassmi de Microsoft, il a détaillé la manière dont les solutions Copilot Studio permettent un suivi d’exécution, avec logs et tableaux de bord, pour garder la main sur l’historique des actions des agents.
- Les compétences internes
La question de la conduite du changement et du « change management » a également fait consensus : l’IA agentique modifie profondément l’organisation des équipes, obligeant à développer des profils hybrides (IT + métier) et nécessitant une montée en compétence. « Il est nécessaire que ceux qui maîtrisent la tech, et donc les risques associés, travaillent avec les équipes métiers qui maîtrisent les process – et qui pourront guider les agents IA dans leurs réponses », confirme Abid Samali de Cognizant. « Dans les banques, les projets se heurtent souvent à un héritage d’infrastructures complexes et de règles prudentielles strictes. L’enjeu est d’autant plus important que la concurrence dans la banque de détail est forte, y compris vis-à-vis des néobanques plus agiles », complète le global head of data de BPCE.
- La notion de ROI et de réorganisation
Sur la rentabilité de l’IA agentique, les intervenants ont insisté sur la notion de retour sur investissement – financier, d’abord, en rappelant qu’un dollar investi dans l’IA pouvait générer 3,5 dollars de ROI. Toutefois, cet impact ne se limite pas à des gains de productivité : Abid Samali a souligné qu’il relevait aussi d’une nécessaire adaptation concurrentielle – « si votre concurrent déploie des agents pour l’expérience client, vous ne pouvez pas rester à la traîne ». Quant au risque d’automatisation, la plupart s’accordent sur le fait qu’il s’agit davantage de réaffecter des ressources que de supprimer massivement les postes. Les salariés sont désormais davantage formés pour exploiter le potentiel des IA et se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée.
- Les scénarios multi-agents : une automatisation de bout en bout
Parmi les cas d’usage présentés lors de la conférence, le plus représentatif concerne l’évolution du service client. Jusqu’à présent, un utilisateur final interagissait avec un chatbot isolé ou, au mieux, un système d’automatisation unique. Désormais, l’agent conversationnel peut déclencher la collaboration de plusieurs autres agents spécialisés : agent marketing, agent analytics, agent logistique, agent paiement, etc. Ensemble, ils réalisent automatiquement les opérations nécessaires, tout en sollicitant un approbateur humain lorsqu’un seuil de risque est dépassé ou qu’une action réglementée l’exige.
Un tel scénario offre un nouveau paradigme dans la gestion de la relation avec le client. Comme le rappelle Abdelghafour Benkassmi, « la solidité d’un tel dispositif dépend non seulement de la technologie, mais aussi de la conception précise des rôles de chaque agent et de la phase d’entraînement sur les jeux de données concernés ». L’IA générative apporte ainsi un socle de compréhension qui dépasse les approches classiques basées sur des scripts, ce qui rend la conversation client beaucoup plus fluide et mieux contextualisée.
Mise en œuvre : des défis techniques et réglementaires
Si l’avènement de l’IA agentique est très prometteur, il soulève de nombreux défis, relevés par les intervenants.
- La supervision à l’échelle
Avec l’émergence d’environnements multi-agents, il devient urgent de disposer d’outillages complets de supervision, permettant de savoir quel agent a accédé à quelle donnée, quelle décision a été prise et selon quels paramètres. « Les entreprises ont besoin de tableaux de bord pour contrôler en direct l’activité des agents. Les solutions futures devront gérer la multiplicité de rôles et d’interactions », précise Adil Barakate, Global Head of Data Management de BPCE.
- La gouvernance des données et l’éthique
Dans les secteurs à forte contrainte (la banque, la santé, etc.), la traçabilité et l’explicabilité des processus d’IA constituent un prérequis. Les règles européennes (RGPD, EU AI Act) fixant de nouvelles exigences quant à la transparence et la minimisation des risques, il est important de maintenir de hauts standards en matière de sécurité et de conformité, comme s’y engage Cognizant.
- La conduite du changement
Enfin, former les collaborateurs aux fondamentaux de l’IA générative est la condition nécessaire pour que les entreprises adoptent réellement les nouveaux outils. Les intervenants insistent sur la nécessité du partage d’expérience, de formations pratiques et d’exemples concrets de valeur ajoutée et l’utilité de revoir les fondamentaux de la conduite du changement pour réussir un déploiement à l’échelle de l’IA générative dans les organisations.
L’importance d’une stratégie itérative
Pour parvenir à un développement serein des agents IA au sein des organisations, la conférence a mis en avant l’idée de procéder par étapes :
- Identifier des cas d’usage pertinents : cibler des processus critiques ou des scénarios où le temps de traitement et la charge manuelle sont élevés.
- Démarrer par un agent “simple” : ne pas vouloir tout automatiser d’un coup, et mettre en place quelques tâches simples pour dégager un retour sur investissement rapide et donner confiance aux équipes.
- Monter en puissance : passer à des scénarios plus complexes, intégrant d’autres briques existantes (ERP, CRM, solutions d’analyse de données) et mobilisant plusieurs agents.
- Gérer la gouvernance : définir des rôles clairs et un système de supervision. Intégrer dès le départ la sécurité des données, l’éthique et la conformité réglementaire.
Au fil de cette progression, l’évolution des compétences en interne est aussi essentielle. Les “fusion teams”, mélangeant profils IT et métier, constituent, aux yeux des intervenants, l’une des conditions sine qua non pour concevoir, former et maintenir les agents.
Un virage à ne pas manquer
L’enthousiasme palpable lors de cette conférence Cognizant-Microsoft-CIO est révélateur de la dynamique que suscite l’IA agentique. Certes, le chemin vers le multi-agent totalement autonome passera par des phases d’expérimentations, de normalisation réglementaire et de gestion des risques. Toutefois, la promesse d’une automatisation plus fine, d’une expérience client réinventée et d’une intelligence collective inédite dans l’entreprise reste plus que jamais d’actualité.
Comme l’ont rappelé les experts, « l’IA agentique n’est pas qu’un gadget : elle est en passe de devenir un levier stratégique dans la transformation numérique des organisations », avec un potentiel de création de valeur élevé et un impact considérable sur la manière de collaborer au quotidien.
Mais sans agilité, scalabilité et coopération entre agents, point de salut !