Sous pression, la Commission européenne pourrait bien être conduite à revoir l'ensemble de sa copie en matière de brevetabilité des logiciels. C'est en tout cas le souhait des chefs de groupes du Parlement européen qui ont demandé, à l'unanimité et tous partis confondus, que le processus de création législatif soit repris depuis le début, à commencer par le débat devant l'Assemblée. Une victoire pour les défenseurs du modèle européen - notamment le monde Open Source - face aux grands éditeurs américains.
La Commission à certes le droit de rejeter la demande expresse du Parlement mais dans ce cas elle se préparerait à un bras de fer important après avoir déjà souffert à l'automne.
Alain Lipietz, député européen du parti Vert, estime qu'une telle position serait perçue comme une insulte par les parlementaires.
D'autant plus que quelque 300 opposants à la brevetabilité ont manifesté le 17 février à Bruxelles pour soutenir les efforts du Parlement et surtout s'opposer à l'adoption à cette date de la directive. Mouvement qui a porté ses fruits, l'étude du texte étant repoussée à plus tard.
Sur le front français, la polémique continue d'enfler sur le sujet. Le 15 février dernier, un colloque de sensibilisation à la question avait lieu à l'Assemblée nationale. Thaima Samman, directrice des affaires juridiques et publiques de Microsoft France, y a affronté Jean-François Abramatic, vice-président R&D d'Ilog et ancien président du W3C, et Gérald Sédrati-Dinet, vice-président de la FFII (Foundation for a Free Information Infrastructure). Thaima Samman y a vigoureusement défendu le brevet de logiciels, confondant allègrement la lutte contre celui-ci et la négation de la propriété intellectuelle, malgré les rappels fréquents de Jean-François Abramatic et Gérald Sédrati-Dinet sur leur attachement à celle-ci au travers de droits d'auteur. Pour Thaima Samman, les positions de chacun sur la question du brevet de logiciels est liée à l'importance que l'on donne aux actifs immatériels. Elle a ainsi admis que Microsoft avait dû son succès au mépris d'IBM pour la propriété intellectuelle d système d'exploitation DOS. De même, l'Europe, où les entreprises informatiques sont essentiellement des SSII, est plutôt contre les brevets car "les sociétés de services ne font pas d'argent sur la propriété intellectuelle". Les avocats des SSII et de leurs clients qui mettent longuement au point les clauses relatives à ce point dans les contrats de prestation apprécieront...
Jean-François Abramatic, représentant un éditeur européen, a clairement indiqué que, aux Etats-Unis, Ilog était bien obligé de déposer des brevets pour défendre ses intérêts, puis de se soumettre aux multiples procès de mauvaise foi qui lui coûtent horriblement cher, même s'il gagne systématiquement contre des entreprises qui font aussitôt faillite pour ne pas avoir à payer de dédommagements. « Les brevets aux Etats-Unis, c'est comme une taxe qu'il faut payer » s'est-il ainsi exclamé. Avant de rappeler les mésaventures de Microsoft avec Eolas, et d'expliquer à quel point les brevets bloquaient l'innovation au profit de multinationales, essentiellement américaines.
Pour Thaima Samman, « il est présomptueux de dire que le système américain est moins bon que le système européen alors que l'innovation est aujourd'hui de l'autre côté de l'Atlantique ». Une telle mention a évidemment provoqué des réactions hostiles dans la salle. Jean-François Abramatic a ainsi rappelé que l'administration Carter avait, aux Etats-Unis, tranché en faveur du droit d'auteur (copyright) non pas contre les brevets mais bien contre l'absence de toute protection. La brevetabilité des logiciels n'est ainsi venue que bien plus tard et commence à être remise en cause devant les nombreuses dérives. « Voter une directive européenne copiant un système américain au moment où celui-ci va être modifié et alors que le système européen marche est parfaitement absurde » a-t-il conclu.