Quelques heures après la gifle infligée à la loi Création et Internet par le Conseil constitutionnel, les réactions fusent de toutes parts, qui tentent d'imaginer l'après-Hadopi. Le gardien de la Constitution a censuré les principales dispositions de la loi, retirant à l'Hadopi son pouvoir de sanction et fustigeant la présomption de culpabilité qu'elle introduisait. Dans son arrêt, le Conseil constitutionnel définit la mission que devra se contenter de remplir l'Hadopi : « seul un rôle préalable à une procédure judiciaire lui est confié [...] Son intervention est justifiée par l'ampleur des contrefaçons commises au moyen d'Internet et l'utilité, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie ». Sur son blog, maître Eolas clarifie cette définition : « la machine à punir 10 000 pirates par jour devient la machine à s'assurer qu'on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l'enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant. On n'avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006 ». En censurant la disposition permettant à l'Hadopi, une autorité administrative, de sanctionner les internautes, les Sages soulignent en effet qu'il revient à la justice judiciaire de prononcer les sanctions. Une gageure pour des tribunaux déjà engorgés que Christine Albanel pense contourner grâce à la création d'une dizaine de TGI provinciaux, spécialement chargés de traiter ce type de contentieux. On appréciera, si cette idée se concrétisait, les moyens dont peut bénéficier la justice lorsqu'il s'agit de défendre le droit d'auteur et les droits voisins... Ce projet est également évoqué par Franck Riester, le rapporteur de la loi, qui suggère la mise en place de « juges spécialisés dans le droit d'auteur et la propriété intellectuelle ». De son côté, l'Union syndicale des magistrats regarde ces projets avec circonspection. Son secrétaire général, Laurent Bédoué, confie ainsi au Figaro.fr que le recours au juge judiciaire - qu'il soit déjà en place ou créé spécialement pour l'occasion - « paraît impossible vu le nombre de juges et de greffes qui seraient nécessaires. On évoque le chiffre de 180 000 suspensions de connexion par an, donc à moins de recruter massivement, je ne vois pas comment il serait possible de passer par des juges ». Le Président de la République dispose désormais de quinze jours pour promulguer la loi, amputée de ses articles censurés. A moins que l'exécutif ne décide de renvoyer le texte au Parlement pour une nouvelle rédaction. Le chef de l'Etat devrait opter pour la première solution, afin d'adresser un double message : d'une part, il indiquerait au monde de la culture qu'il reste décidé à défendre ce qu'une partie des artistes et des industries considère comme ses intérêts ; de l'autre, il alimenterait le message colporté depuis hier par sa majorité, qui s'époumone en répétant que le Conseil constitutionnel n'a pas réellement altéré la loi. Citons notamment Christine Albanel, qui souligne que « 90% de la loi a été validé » par les Sages, Frédéric Lefebvre qui évoque une validation de la « quasi-totalité » du texte, ou Jean-François Copé qui relève une validation de « l'essentiel du dispositif ». L'attitude de la majorité reste finalement la même que celle qu'elle adoptait pendant les débats : sourde aux arguments juridiques de l'opposition lors de la discussion du texte, elle ignore superbement le démontage de son oeuvre législative par le gardien de la Loi fondamentale.