Interrogé par le Parti de Gauche sur un outil d'écoute qui a servi en 2011 à intercepter des appels Skype, le Ministère de l'Intéreur allemand a donné le détail des dépenses qu'il a payées à des prestataires de services privés pour surveiller des messageries en ligne et des réseaux sociaux. La liste incluse dans le document du Ministère révèle que des prestataires externes ont été rémunérés pour surveiller les appels Skype et voir les contenus des chats sur Facebook. Mais aussi, qu'ils ont fourni des outils pour décoder les emails envoyés via Gmail, Yahoo et Hotmail, comme l'a découvert Anne Roth, une chercheuse qui travaille pour le programme Vie privée et Liberté d'expression mis en place par le collectif Tactical Technology Collective, dans un document récemment traduit en anglais et comportant la liste des prestataires.

En 2009, par exemple, la police allemande a loué à la société allemande DigiTask du matériel et des logiciels pour surveiller Skype. Coût : 30 400 euros. Le document indique aussi qu'elle a également loué un système de surveillance pour Skype en 2010. Au total, DigiTask a signé des contrats de plusieurs millions d'euros avec divers organismes fédéraux, notamment l'Office fédéral de la police criminelle, le Bureau central du service d'enquête des douanes et les bureaux départementaux de la police criminelle.

Des enquêtes de plus en plus numériques


Selon ces documents, DigiTask a également fourni un logiciel pour décoder Google Mail (l'ancien nom de Gmail en Allemagne,) MSN Hotmail et Yahoo Mail. Le logiciel lui a été commandé deux fois. Coût : environ 12 500 euros. En 2011, un module logiciel pour décoder les conversations sur Facebook a été loué pour deux périodes d'un mois à DigiTask. L'entreprise a aussi reçu de l'argent l'année dernière pour livrer un logiciel destiné à décoder les messages WhatsApp, une application mobile alternative pour envoyer des SMS, très populaire en Europe. Tous les outils de surveillance loués à DigiTask sont répertoriés sous la rubrique « moyens matériels de prévention et d'enquête ». DigiTask a refusé de répondre aux questions relatives à ces prestations, disant qu'elle ne commentait pas les services qu'elle fournissait à ses clients.

« En Europe, les services de police nationaux s'intéressent de plus en plus aux activités en ligne », a déclaré Joe McNamee, un défenseur des droits numériques en Europe au sein du groupe EDRi. « On y trouve de tout, du meilleur, au pire», a-t-il déclaré au sujet des différentes méthodes employées par les services de police nationaux. « Dans les services commandés par la police, nous avons tout vu, depuis les demandes bizarres, jusqu'aux opérations de surveillance à grande échelle ». D'un côté, il y a par exemple « ce commissariat de police virtuel créé par la police néerlandaise dans Hotel Habbo, un réseau social en ligne où les adolescents peuvent se rencontrer et discuter. C'est un bon exemple de ce que peut faire la police sur le réseau, car c'est une approche sympathique qui a pour but d'aider les enfants », a déclaré le défenseur des droits numériques.

Vers une surveillance généralisée des réseaux


De l'autre, il y a des initiatives comme CleanIt, un projet mis en place pour faire la chasse au terrorisme en ligne. « Mais un document confidentiel a révélé en septembre que pour atteindre son objectif le système envisageait une surveillance étendue susceptible d'entamer grandement les libertés individuelles », a déclaré Joe McNamee. « Aujourd'hui, dans les démocraties, les écoutes téléphoniques sont devenues acceptables, car il existe des procédures pour encadrer ce type de surveillance », a-t-il estimé. « Mais nous sommes en train de passer sans nous en rendre compte à un niveau supérieur », a-t-il dit. Mais cette surveillance s'éloigne de pratiques standards « et tout ce qui s'éloigne des pratiques standards est inquiétant pour tout un chacun dans la société et pour la société elle-même ».