La semaine dernière, le Président américain Donald Trump a attaqué Google, au motif que les résultats de son moteur de recherche Google News étaient « biaisés » et qu’ils mettaient en avant des articles et des médias publiant des informations critiques à son encontre. En guise d’exemple, le président américain a aussi posté une vidéo sur Twitter avec le hashtag #StopTheBias (laquelle, au moment où ces lignes étaient écrites, totalisait 4,36 millions de vues), affirmant que Google avait fait la promotion des discours du président Barack Obama sur l'État de l'Union, mais ne lui avait pas réservé le même traitement depuis sa prise de fonction.

Dans une déclaration à la presse, un porte-parole de Google a déclaré que l'entreprise n'avait pas fait sur sa page d'accueil la promotion des discours de M. Obama ou de M. Trump, parce qu’ils sont techniquement considérés comme de simples « discours à une séance conjointe » du Congrès, l'idée étant que les présidents nouvellement élus ne sont pas en mesure de rendre compte de l' « état de la nation ». Google a également précisé qu'il avait mis en avant le second et plus récent discours sur l’État de l'Union de M. Trump, affirmation que semblent confirmer les captures d'écran trouvées sur les médias sociaux et les pages archivées par le site Wayback Machine. Ces faits reviennent de manière récurrente dans les débats politiques et entretiennent une rancune qui, de l’avis de notre confrère Mike Elgan, n’est pas particulièrement intéressante. Mais, selon lui, la grande question sur la nature et le rôle d’un moteur de recherche que ce conflit fait émerger est beaucoup plus intéressante.

Alors, qu'est-ce qu'un moteur de recherche ?

Quatre fonctions peuvent caractériser un moteur de recherche. D’abord, il sert à indexer l'Internet. Quand, en 1996, Google a lancé son moteur de recherche, il était clair que sa fonction première était d’indexer l'Internet. L'innovation majeure de Google tenait à sa capacité à classer les pages en fonction de la pertinence ou de l'importance relative de chaque résultat. Les résultats et le classement étaient censés être un reflet ou un instantané de l'Internet lui-même, et non un index de l'information disponible dans le monde réel. De ce point de vue, Google Search favoriserait les informations objectivement vraies et accorderait moins d’importance aux liens pointant vers des contenus objectivement faux, devenant ainsi un arbitre de ce qui est vrai.

Sur le principe, cela signifie qu’en tant que source objective d’information, Google fait en sorte de présenter tous les aspects et toutes les sources d'information des sujets à controverse, sans favoriser aucune idée ni aucune source. À ce rôle, s’est ajoutée la notion de source d'information personnalisée. Ce concept implique que le moteur de recherche fournit à chaque utilisateur un ensemble différent de résultats basés sur ce que cet utilisateur souhaite, indépendamment de ce qui est vrai, de ce qui se passe sur Internet ou de tout autre critère.

Quelle vérité pour quel utilisateur ?  

Mais essayons de rendre ces notions un peu moins abstraites : comment répond Google à un utilisateur qui cherche des informations sur la forme de la Terre ? Cela dépend du positionnement que choisit Google en tant que moteur de recherche. Dans notre exemple, il est probable que les partisans qui défendent l'idée que la Terre est plate seront plus représentés que ceux qui croient qu'elle est ronde. Supposons pour les besoins de l'argumentation que, objectivement, le contenu et l'activité sur Internet penchent en faveur de l'idée que la terre est plate. Si le moteur de recherche se comporte comme un index de l'Internet, alors les résultats de recherche sur la forme de la Terre devraient privilégier l'idée que la terre est plate.

Mais si le moteur de recherche se comporte comme un arbitre d’une information vraie, alors les résultats devraient favoriser l'idée que la terre est ronde. Et, si le moteur de recherche se définit comme source d'information objective, les résultats de recherche doivent fournir un résultat équilibré qui rend compte à la fois des théories en faveur d’une terre plate et d’une terre ronde. Enfin, si le moteur de recherche veut s’affirmer comme source d'information personnalisée, alors les résultats devraient favoriser selon la personne qui effectue la recherche soit l'idée de la terre plate, soit celle de la terre ronde.

Des algorithmes en constante évolution ?

L’exemple retenu ici peut sembler très caricatural, mais les recherches que l’on peut effectuer sur une entreprise, un produit, une marque ou une personne posent toujours la même question du rôle du moteur de recherche. Quand des clients, des partenaires commerciaux potentiels, des employés ou de futurs employés ou autres recherchent des informations sur une entreprise, quels résultats sont-ils censés obtenir ? Ces résultats doivent-ils refléter ce qui est « vrai », ce qui est faux, mais aussi populaire ou ce qui est neutre ? Ou alors, ces résultats doivent-ils dépendre de celui ou de celle qui effectue la recherche ? La réponse à cette question, c'est que Google essaie de faire en sorte que son moteur de recherche agisse selon ces quatre critères en même temps.

À la complexité du problème s'ajoute le fait que les résultats des moteurs de recherche sont régis par des algorithmes, et que ces algorithmes sont des secrets commerciaux en constante évolution. Si l’on faisait un sondage sur la question, il est probable que la majorité des personnes interrogées dirait que Google Search doit être essentiellement un index de l’Internet et qu’il ne devrait pas faire le tri entre le vrai et le faux ou ne pas adapter sa réponse au profil de l'utilisateur. Et pourtant, le monde exige de plus en plus que Google devienne un arbitre de ce qui est vrai.

Les gouvernements opposés à une indexation trop précise

Donald Trump a affirmé à plusieurs reprises que, de manière générale, la couverture médiatique de ce qu’il faisait était biaisée. Si cela est vrai, et si Google News Search indexe passivement ce que les médias rapportent réellement, ne serait-il pas logique que M. Trump s'attende à une couverture anti-Trump sur Google News Search ? En déclarant que Google News Search est « truqué », M. Trump à l’air de dire qu’il attend du moteur Google News qu’il reflète ce qui se passe dans le monde réel tel qu'il le voit, plutôt que ce qui se passe sur les sites d’information en ligne. Ou alors, il estime que, quelle que soit la quantité de sources d'information diffusant, selon lui, une opinion « biaisée » sur son action, Google News Search devrait aussi offrir une représentation équilibrée et neutre de toutes les opinions et de toutes les sources.

On peut dire, sans trop se tromper, qu’un moteur de recherche qui assumerait scrupuleusement son rôle d’index de l’Internet ne serait pas très apprécié par les gouvernements et les dirigeants politiques du monde entier. Un exemple célèbre concerne le « droit à l'oubli », désormais encadré par une loi dans l'Union européenne et en Argentine. Le droit à l’oubli repose sur l’idée qu’une information publiée à un moment donné sur Internet peut injustement stigmatiser et pénaliser une personne ou une entreprise, et les citoyens ont le droit que cette information soit « oubliée », c'est-à-dire qu’elle n’apparaisse plus dans les résultats des moteurs de recherche. Par exemple, si une personne en vue ou une entreprise fait une déclaration de faillite, l’information sera relayée par des centaines de sites d'information et de blogs. Mais, plus tard, si la personne ou l’entreprise ont rétabli leur solvabilité financière, l'ancienne information étant toujours disponible et trouvable par les moteurs de recherche, elle peut nuire à leur réputation. Une demande de droit à l’oubli de cette information, si elle est acceptée, peut supprimer ces pages des résultats de recherche. Les pages existent toujours, mais les moteurs de recherche ne font plus de lien vers elles quand quelqu’un fait une recherche sur le nom de la personne ou de l’entreprise.

Un moteur de recherche formaté pour un pays

D’une certaine manière, les partisans du droit à l’oubli estiment qu'un moteur de recherche doit refléter le monde réel tel qu'il est, ou tel qu'il devrait être, et ne doit pas refléter l'Internet tel qu'il est. Récemment, Google a fait l’objet de nombreuses critiques à propos de la remise en route possible de son moteur de recherche en Chine. Il s’agirait d’un mode de recherche personnalisé limité exclusivement à l’Internet chinois et censurant le contenu, comme sont tenus de faire les sites nationaux. Des centaines d'employés de Google ont signé une lettre pour protester contre ce « retour » de Google sur le marché chinois. Le gouvernement chinois ne permettrait pas à Google d'exploiter un moteur de recherche qui permettrait aux citoyens chinois de voir tout ce qui se trouve réellement sur Internet. Et ce n’est pas le seul exemple. Au fond, il serait très difficile de trouver dans la plupart des gouvernements des gens privilégiant l’idée du moteur de recherche comme index de l'Internet.

D’ailleurs, l'idée du moteur de recherche en tant qu'index de l’Internet est morte. La mission que s’est assignée Google est « d'organiser l'information du monde et de la rendre accessible et utile à tous ». Le concept est, certes, assez vague. Mais il est assez révélateur de voir que Google déclare qu’il veut organiser l’information du « monde » et non pas l’information « de l’Internet ». En effet, la réalité, c’est que les gens effectuent des recherches sur Google Search et d'autres moteurs de recherche parce qu'ils veulent des informations sur le monde, et non parce qu'ils veulent des informations sur ce que « pense » l'Internet collectivement.