Cette année, la transformation numérique était au programme de toutes les entreprises. Mais un certain nombre d’entre elles ont le sentiment de ne plus progresser dans cette voie et elles ne sont pas les seules. Une enquête réalisée par le cabinet d’étude et consultant en externalisation Everest Group vient confirmer qu’après la phase d'adoption initiale, les entreprises perdent un peu leurs repères. En effet, d’après un sondage effectué auprès de 120 entreprises et de leaders IT travaillant pour des entreprises nord-américaines qui ont mis en œuvre d’importants programmes d'adoption, 43 % d’entre elles se trouvent aujourd’hui dans une phase que le cabinet Everest nomme « dépression numérique ».

Au début de leur voyage digital, la plupart des entreprises vivent une sorte d’âge d’or. « Les investissements coulent à flot, tous croient en ce meilleur des mondes qu'ils vont pouvoir créer ensemble », a expliqué Chirajeet Sengupta, un vice-président de l'équipe de recherche d’Everest Research. « Cependant, les choses changent. Brusquement, tout le monde commence à douter de la valeur de ce qu'il fait. Les investissements sont moins importants, les capacités organisationnelles sont débordées et mises à l’épreuve, les processus d'affaires traditionnels et les choix organisationnels sont contestés ». C’est la phase de « dépression numérique ». Dans un second temps, les chercheurs d’Everest Group ont questionné les entreprises qui essayaient de comprendre les raisons de ce phénomène. Ils ont constaté qu’après cette phase, les entreprises s’engageaient dans ce que Chirajeet Sengupta qualifie de « réalignement radical ».

Croissance ou efficacité

Selon l’Everest Group, « quand elles se lancent dans le voyage numérique, la plupart des entreprises sont focalisées sur les ressources ». Par exemple, elles ont besoin d’installations de serveurs et de stockage appropriées dans le cloud pour pouvoir intégrer l’analyse big data ou les technologies de l’Internet des Objets dans leurs processus d'affaires. Elles ont besoin de nouvelles capacités de sécurité pour gérer les données, croissantes, de leurs clients. « À ce stade, l’IT est encore dans le processus des « besoins informatiques » et les entreprises sont encore dans le traditionnel schéma d’affaires « business is business » », explique encore Chirajeet Sengupta. « Toutes ces initiatives peuvent être évaluées à l’aune des indicateurs classiques de l'informatique - les coûts unitaires, le coût total de possession, les accords de niveau de service. Il n'y a pas de décalage. Personne ne marche sur les pieds de personne ».

Mais, quand les entreprises commencent à mettre en œuvre les nouvelles technologies numériques, les défis apparaissent. Dès qu’une entreprise a déployé un projet numérique coûteux, comme une solution big data, les chefs d'entreprise veulent savoir ce que rapporte leur investissement. Mais, « les indicateurs qui servent traditionnellement au contrôle des coûts ne sont pas adaptés pour mesurer le retour sur investissement du numérique », ajoute le vice-président d’Everest Research. « Et, à partir de là, tout le monde commence à douter de l’IT ». Mais, pour que ces systèmes apportent une valeur commerciale à l’entreprise, il faut que celle-ci change ses processus d'affaires et ses comportements organisationnels. Car à elle seule, la technologie ne produit pas de transformation. « Les systèmes big data peuvent extraire des données extraordinaires, mais les processus de vente ne sont pas conçus pour les intégrer, ou les gens ne prennent pas la peine de lire les rapports d'analyse », a déclaré Chirajeet Sengupta. « Historiquement, les entreprises ont été souvent insatisfaites par l’organisation de leurs services IT, soit parce que la technologie n’était pas disponible, soit parce qu’elle était trop chère ou trop risquée. Pour la première fois, elles peuvent avoir accès à toute la technologie disponible, mais elles doivent modifier leurs processus et leur comportement pour en tirer profit ».

Sortir de la « dépression numérique »

Si les entreprises ne sont pas capables de surmonter les problèmes qui les ont menées dans ce creux numérique, les choses ne font qu'empirer. « Par exemple, elles peuvent être prises dans une spirale de sous-investissements, ou de ROI insuffisants, et entretenir le doute, jusqu'à tuer dans l’œuf toute initiative numérique », met en garde le vice-président d’Everest Research. Mais, avant cela, l’IT peut prendre certaines mesures pour faire sortir l'entreprise de cette phase de dépression, voire même l’aider à y échapper complètement. « Le plus important est d'avoir une vision claire des objectifs stratégiques de l’entreprise », a expliqué Chirajeet Sengupta. « Donc, quel est l’objectif : l'efficacité ou la croissance ? » Cette clarification permet d'identifier plus facilement les mesures à prendre pour poursuivre ses efforts dans l’adoption numérique.

De plus, il faut que les équipes chargées de la transformation numérique soient transversales et qu’elles s’engagent à prendre un certain nombre de décisions en commun. « Dans la plupart des entreprises, la transversalité est possible, mais les incitations individuelles finissent souvent par prévaloir », a encore déclaré Chirajeet Sengupta. « Un réalignement à chaque niveau s’impose, au niveau stratégique comme au niveau individuel ». L’IT doit également aider l'entreprise à avoir plus de visibilité sur l’ajout d’une nouvelle technologie, aussi bien dans le processus d'affaires, que dans les changements organisationnels nécessaires pour tirer une valeur commerciale de ces évolutions. Enfin, l’IT doit ramener l’entreprise à des objectifs réalistes, et lui faire prendre en compte les obstacles potentiels à la transformation numérique. « Certains de ces défis sont incontournables », a déclaré Chirajeet Sengupta. « Il est très important de les anticiper et de se préparer au lieu d'attendre que les choses changent radicalement du jour au lendemain ».