La guerre feutrée que se livrait jusqu'alors AMD et Intel devrait prendre, dans les prochains mois, un tour plus public. Ce mardi matin, AMD a en effet pris le risque de donner un coup de pied dans la fourmilière de l'industrie du PC en lançant des poursuites antitrust contre Intel pour abus de position dominante. Ces poursuites font suite à la récente décision de la Fair Trade Commission japonaise (JFTC) de condamner Intel pour abus de position dominante et à l'enquête ouverte sur le sujet par la Commission européenne. Selon la JFTC, Intel a abusé de sa position dominante pour nuire à la concurrence sur le marché des microprocesseurs en liant notamment le versement de considérables fonds de comarketing à l'achat de ses processeurs.

Dans son argumentaire déposé auprès de la cour du district du Delaware, AMD cite trente-huit constructeurs et distributeurs sur trois continents qui ont été victimes des pratiques d'Intel. Parmi eux figure le gratin des constructeurs informatiques, dont Dell, Gateway, HP, IBM, NEC, Fujitsu, Sony et Toshiba.


Ce n'est pas la première fois qu'Intel doit faire face à des accusations antitrust. En 1998, la firme a fait l'objet d'une enquête de la Federal Trade Commission (FTC). Cette dernière l'accusait d'abuser de sa position dominante pour contraindre certains clients à lui céder des brevets et secrets commerciaux. Selon la FTC, Intel avait menacé Digital Equipment, Compaq et Intergraph de ne pas leur communiquer des informations essentielles sur ses processeurs s'ils n'acceptaient pas de signer un accord abandonnant tout recours juridique pour violation de brevet contre Intel. La FTC avait conclu, en 1999, que de telles pratiques étaient illégales lorsque menées par une compagnie aussi puissante sur son marché qu'Intel, et la firme avait dû revoir ses contrats.

L'attaque lancée aujourd'hui par AMD est plus large et cherche à mettre en lumière les pressions auxquelles Intel soumet l'industrie informatique pour maintenir ses ventes. Selon AMD, Intel aurait négocié l'exclusivité avec Dell, Sony, Toshiba, Gateway et Hitachi en échange de versement de cash, d'avantages tarifaires et de subventions marketing. Comme l'a confirmé l'enquête de la JFTC, Intel a effectivement payé Dell et Toshiba pour ne pas traiter avec AMD. Intel aurait aussi versé des millions de dollars à Sony pour l'exclusivité, fermant ainsi la porte à AMD, qui a vu sa part de marché chez Sony passer de 23 à 0% en moins de dix-huit mois. Intel aurait de même versé plusieurs millions de dollars à NEC pour s'assurer qu'au moins 90% de ses PC utilisent des puces Intel.

En 2002, lorsque HP a commencé à utiliser les puces d'AMD dans ses lignes professionnelles Evo, HP a demandé à AMD un fond de 25 M$ pour compenser les représailles financières d'Intel. AMD a refusé, mais a proposé en échange à HP de ne pas payer le premier million de processeurs acheté. Lorsque HP a officiellement dévoilé la gamme Evo, Intel a expliqué à HP que cela constituait un «événement de niveau 10 sur l'échelle de Richter» et a fait pression sur HP. Selon AMD, le constructeur n'a finalement accepté que cent soixante mille des processeurs gratuits. En 2004, Intel aurait aussi tenté de faire pression sur HP en refusant de lui verser le rabais prévu au dernier trimestre, lorsque le constructeur a adopté les nouvelles puces d'AMD dans ses portables. Depuis, le rattrapage de cette somme serait conditionné à un quota de 90% des PC grand public à base de puce Intel.

AMD cite aussi le cas d'Acer, qui devait à l'origine participer au lancement de l'Athlon 64. En septembre 2003, Craig Barrett, l'ancien CEO d'Intel, s'est déplacé à Taiwan pour rendre visite à Stan Shih, le président d'Acer, et le menacer de «conséquences graves» si Acer participait au lancement de la nouvelle puce d'AMD. La visite a fait son effet, et Acer s'est retiré du lancement, retardant la disponibilité de ses machines. Comme l'a expliqué plus tard le président d'Acer, J.T. Wang, «il n'y avait rien d'inhabituel aux menaces d'Intel, sauf que, d'habitude, elles provenaient de managers de moins haut rang et pas du CEO de la société…»

Les pressions d'Intel n'affecteraient toutefois pas seulement les constructeurs. Aux Etats-Unis, Intel rémunérerait aussi les grands revendeurs comme Best Buy ou Circuit City, en échange de la mise en place de quotas de PC Intel dans les rayons. En Europe, il ferait de même avec Media Markt, un revendeur qui représente 35% des ventes de détail en Allemagne. Media Markt toucherait ainsi entre 15 et 20 M$ par an pour ne pas mettre de PC à base de puce AMD dans ses rayons. Office Depot aurait de même refusé d'accepter des machines AMD dans ses rayons, malgré des propositions financières d'AMD, en citant les risques de représailles d'Intel.

Cette litanie d'accusations ne surprendra pas ceux qui suivent régulièrement l'industrie du PC. Ce n'est un secret pour personne, les fonds marketing d'Intel (plus de 2 Md$) servent largement à assurer la fidélité des clients, face aux maigres 150 M$ de budget que peut aligner AMD.
Avec les poursuites qui s'engagent, ce sont l'ensemble des vilains secrets de la profession que l'on pourrait voir étalés sur la place publique. A tel point que l'on peut se demander si AMD a pris le risque de cette attaque seul, ou si sa démarche n'a pas le soutien intéressé de quelques constructeurs lassés des pressions d'Intel. A suivre…