L'introduction en bourse de Slack à la Bourse de New-York, le jeudi 20 juin, marque le dernier chapitre de la remarquable ascension de la startup depuis son lancement il y a cinq ans. Chaque jour, plus de 10 millions de personnes utilisent Slack, et la plateforme collaborative fait désormais partie intégrante des workflows dans diverses industries. Beaucoup reconnaissent que l'application a largement contribué à redynamiser le marché de la collaboration en équipe. Ce marché, qui représente aujourd'hui 3,5 milliards de dollars à l'échelle mondiale, a attiré un tas de concurrents de premier plan, dont Microsoft, Google et Facebook.

Slack a résisté aux tentatives de rachat de plusieurs grandes entreprises technologiques (Microsoft et Amazon, probablement) pour prouver qu'elle pouvait réussir par elle-même. Aujourd'hui, l'entreprise est prête à capitaliser sur l'intérêt grandissant pour la collaboration en équipe et les communications par canaux. La plateforme entrevoit encore des opportunités : dans un récent document S-1 déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), Slack a estimé la valeur globale du marché à 28 milliards de dollars. Plusieurs stratégies lui permettraient de conquérir des parts sur le marché de l’entreprise, de repousser ses concurrents, tout en développant son propre logiciel afin de répondre aux besoins évolutifs d'une main-d'œuvre de plus en plus digitale.

Conquérir les grandes entreprises

L’entrée de Slack dans une entreprise démarre souvent par de petits déploiements, équipe par équipe, pour s’étendre à d’autres départements. Ces dernières années, l'éditeur a cherché à pousser les déploiements de plus grande envergure, en lançant sa nouvelle offre Enterprise Grid. Simultanément, Slack a ajouté des fonctions de sécurité et de gestion pouvant intéresser les DSI et les administrateurs IT, ainsi qu'une certification de conformité pour faciliter l'accès à des secteurs hautement réglementés. Mais en présence de fournisseurs établis comme Cisco et Microsoft, également focalisés sur la messagerie collaborative, Slack, relatif nouveau venu, doit se battre pour avoir une part dans ce lucratif marché de l’entreprise.

Mais si Slack parvient à convaincre les DSI d’investir dans un système de collaboration autonome au lieu de choisir des applications intégrées à des suites de produits concurrents, la plateforme peut réussir à gagner des marchés auprès de grosses entreprises. Pour cela, la plateforme doit montrer qu'elle peut servir de hub pour le travail de toutes les équipes. À court terme, le succès de Slack dépendra de sa capacité à répondre à une seule question : « Prouver que son application n’est pas qu’une app de chat, n’est pas qu'un outil de collaboration, mais une plate-forme de collaboration pour l’entreprise », a déclaré Michael Facemire, vice-président et analyste principal chez Forrester. « Si Slack y parvient, la plateforme pourra plus facilement étendre ses activités à tous les secteurs de l'entreprise, car elle permettra à tout le monde de collaborer dans l’entreprise », a ajouté M. Facemire. « Un autre défi concerne le passage des utilisateurs des niveaux gratuits aux niveaux payants ou sa capacité à les attirer vers Enterprise Grid », a-t-il encore déclaré. « Beaucoup d'entreprises utilisent de nombreuses instances de comptes Slack gratuits. Mais un premier obstacle survient quand ces comptes gratuits ont besoin d'une gouvernance d'entreprise (Single Sign-on, règles de rétention des messages, etc.). « Slack pourra-t-elle prouver la valeur du modèle payant et de l’intégration aux systèmes existants ? La réponse à cette question permettra de savoir aussi à quelle vitesse Slack peut réussir sur le marché de l’entreprise », a ajouté le vice-président et analyste principal de Forrester.

Élargir sa portée

Slack a rapidement conquis une clientèle acquise d’avance parmi les développeurs et les équipes d'ingénierie en proposant un grand nombre d'intégrations tierces et de fonctionnalités approfondies. Et son interface utilisateur est généralement considéré comme intuitive. Mais elle aura sans doute plus de mal à conquérir des employés moins réceptifs aux nouvelles technologies et aux nouvelles façons de travailler. « Pour s’étendre au-delà de cette base initiale - devops, IT et travailleurs du savoir - Slack doit rendre son interface utilisateur plus conviviale pour les utilisateurs qui ne sont peut-être pas aussi experts en technologie, mais pourrait apprécier l'automatisation du workflow et les intégrations tierces », a déclaré Raúl Castañón-Martínez, analyste senior chez 451 Research. « Une interface utilisateur simplifiée serait bienvenue », a renchéri Angela Ashenden, analyste principale chez CCS Insight. « Même si la plateforme est essentiellement basée sur le chat et la messagerie, l’usage important des hashtags et des commandes slash lui confère un aspect très technique, qui peut être déroutant pour les utilisateurs moins techniques », a-t-elle ajouté.

« L'expérience mobile a également besoin de beaucoup d'attention, car aujourd’hui, c’est plus une expérience complémentaire qu’une expérience de base », a aussi déclaré Mme Ashenden. « L'application mobile est particulièrement importante pour attirer les utilisateurs qui ne sont peut-être pas des utilisateurs desktop et qui utiliseront Slack principalement à travers l’app mobile », a-t-elle encore déclaré. Pour l'instant, la plate-forme s'oriente autour de l'expérience desktop/navigateur, et son utilisation en est le reflet. Slack a réussi à attirer des travailleurs du savoir. Mais d'autres utilisateurs front-line, comme les personnels de santé, de vente au détail ou d'accueil - souvent considérés comme mal desservis par la technologie numérique - représentent également un vivier potentiel pour étendre l’usage de l'application dans les entreprises. « Jusqu’ici, Slack a fait un très beau parcours, mais on peut s'attendre à ce qu'elle continue à miser en priorité sur l’accroissement de son pool d’utilisateurs », a déclaré Raúl Castañón-Martínez. Pour ce faire, elle pourrait envisager de cibler les travailleurs « sans bureau », y compris les travailleurs front-line des secteurs verticaux comme la vente au détail, l’industrie manufacturière et la santé. Ce que font déjà des concurrents comme Microsoft Teams et Workplace by Facebook ». « Pour attirer ces travailleurs « deskless », Slack pourrait se tourner vers des partenaires d'IA tiers qui offrent d'autres options d'interface, comme les commandes vocales », a-t-il ajouté. Une idée intéressante serait d'intégrer des applications vocales pour des professions ou des secteurs verticaux où une approche « tête haute et mains libres » - comme la santé et la fabrication, par exemple – est plus logique qu'une interface utilisateur textuelle.

Plus d’opportunités hors des États-Unis

Sans surprise, la présence de Slack aux États-Unis est importante, mais plus de la moitié de ses utilisateurs actifs quotidiens sont localisés en dehors de ce territoire. Le Japon représente son second marché en importance et l'un de ceux qui affiche la croissance la plus rapide. Cependant, toutes les données de Slack se trouvent actuellement sur Amazon Web Services aux États-Unis, ce qui pourrait avoir des implications pour les clients opérant dans des pays appliquant une réglementation stricte sur la souveraineté des données. Par conséquent, l'entreprise devra envisager d’ouvrir des datacenters dans d'autres régions pour soutenir sa croissance. « Il est important que Slack investisse dans l’hébergement de sites en dehors des États-Unis - surtout si elle veut construire sa croissance en Europe, en particulier », a déclaré Angela Ashenden. « C’est aussi un élément crucial pour les entreprises internationales qui doivent répondre à des exigences de conformité différentes selon les régions ».