En rachetant EMC pour 67 milliards de dollars, Dell va pouvoir puiser dans une force de vente qu’on dit capable « de vendre des réfrigérateurs à des Esquimaux ». De son côté, EMC dispose d’un nouveau point d’entrée sur le marché des entreprises moyennes. De plus, en tant qu’entité privée, la nouvelle entreprise s’affranchit des pressions du marché, ce que ne peuvent envisager des concurrents comme HP. Et ce ne sont que les premiers avantages de l'accord annoncé lundi. « Cette industrie vit une transformation radicale qui demande bien plus que des décisions d'affaires à court terme », a déclaré le vice-président exécutif d’IDC, Crawford del Prete.

Dell et EMC s’accordent pour dire que la transformation digitale, le datacenter défini par logiciel, le cloud hybride, l’infrastructure convergente, la mobilité et la sécurité, sont des tendances particulièrement importantes du marché. Et selon Crawford del Prete, le rachat signifie aussi que « l’entreprise qui émergera de ces deux entités sera elle-même très différente ». Déjà, comme l’ont déclaré Dell et EMC, leur rapprochement donne naissance à « la plus grande entreprise privée de technologie intégrée au monde ». Par ailleurs, la structuration du partenariat va « permettre à la nouvelle entreprise de faire des investissements à long terme sans avoir de pression sur les résultats trimestriels », a déclaré hier matin lors d’une conférence téléphonique Egon Durban, associé-gérant de l'investisseur Silver Lake. Depuis sa privatisation il y a environ deux ans, Dell a déjà profité en partie de cette liberté. « Elle a même pu servir d’incubateur pour des entreprises comme Boomi et SecureWorks », a fait remarquer le fondateur et CEO de Dell, Michael Dell.

Echapper à la pression des actionnaires 

« Ce que nous avons pu observer au cours des trois à cinq dernières années, même dans des entreprises dont la rentabilité est constante et significative, c’est qu’elles n’échappent pas à la pression des actionnaires », a déclaré Charles King, analyste principal chez Pund-IT. C’est pour se défaire de cette emprise que Dell a été privatisée. Et c’est aujourd’hui le tour d’EMC. « EMC est soit numéro 1, soit numéro 2 sur pratiquement tous les grands marchés où elle intervient. L’entreprise est tout à fait rentable, mais ses bons résultats ne se sont pas traduits en bourse par une montée significative du cours de ses actions », a déclaré l’analyste. Un élément clef de la transaction repose sur la capacité de Dell à tirer parti de la force de vente d’EMC, connue pour son agressivité et qui, selon sa réputation, pourrait « vendre des réfrigérateurs à des Esquimaux », comme l’a déclaré le vice-président exécutif d’IDC. « Si Dell peut exploiter cette force de vente et avancer avec des produits comme Boomi et SecureWorks, alors la croissance de la nouvelle entreprise sera énorme ».

Entre temps, « la chasse est ouverte sur les vendeurs d’EMC », a-t-il ajouté. Maintenant que l'accord a été annoncé, le co-CEO d'Oracle, Mark Hurd, et la CEO de HP, Meg Whitman, vont sans doute essayer « d’attirer chez eux le plus grand nombre de vendeurs d’EMC ». Si la transaction se poursuit, la structure fédérée d’EMC pourrait être confrontée à certaines turbulences au cours des 18 à 24 prochains mois. VMware restera une société publique et indépendante, mais EMC abrite de multiples entités comme RSA Security, Documentum et Pivotal. Après l'acquisition, elles devront peut-être « parler » d’une voix plus unifiée. « Ce sont les pièces de la mosaïque », a déclaré Crawford del Prete d'IDC. « Je pense qu’à l’arrivée, il y aura beaucoup moins d’espace entre les carreaux ». Lors de la conférence téléphonique de lundi, les dirigeants n'ont pas exclu certains licenciements, mais ils n’envisagent pas de changements majeurs aux postes de management. Comme l’a précisé Michael Dell, « l’entreprise a effectivement recruté 2 000 nouveaux vendeurs au cours des six derniers mois ». « Même si, à certains égards, c’est équivalent à ce qu’avait fait HP en 2002 après l'acquisition de Compaq, il y a beaucoup moins de chevauchement entre les deux sociétés », a estimé Charles King. Reste que, « au cours des dix dernières années, EMC a bâti une industrie technologique en s’appuyant sur une force managériale que beaucoup lui envient, et un grand nombre d’hommes et de femmes se demandent sans doute quelle place ils auront dans la nouvelle entreprise », a ajouté l’analyste. « Il est crucial pour les deux entreprises de conserver ces talents qu’ils ont mis autant de temps et d'argent à valoriser ».

Le cloud sans oublier les infrastructures 

Côté clients, cette acquisition pourrait ouvrir l’accès à un portefeuille plus important de produits et services. « En particulier, les clients d'EMC pourraient être intéressés par certaines offres plus attrayantes dans un portefeuille élargi », a suggéré Charles King. Sur le plan de la concurrence, cela pourrait être dommageable pour HP. « Depuis que HP s’est divisée en deux entreprises, le couple Dell/EMC a la voie libre pour aller à la conquête de ses clients », a déclaré l’analyste de Pund-IT. « À bien des égards, ce rapprochement ne pouvait pas tomber à un pire moment pour HP », selon l’analyste. « La véritable clé de l'accord se trouve dans les datacenters d'entreprise, qui sont « le cœur numérique » de la plupart des entreprises, même si le marché se déplace vers les services cloud », fait remarquer un autre analyste de Forrester, Glenn O'Donnell. « De nombreux analystes vont dire que l’accord ne rapproche pas beaucoup Dell de l'arène du cloud », a ajouté Glenn O'Donnell. « C’est vrai, mais les entreprises vont continuer à acheter d’énormes quantités de produits à EMC. Les entreprises publiques profitent rarement d’un rétrécissement du marché, mais pour une entreprise privée comme Dell, cet apport en trésorerie est une manne ».