Comment se porte aujourd’hui Workday ?

La société se porte bien. Les derniers résultats trimestriels sont en adéquation avec le haut de la fourchette en termes de croissance et de marge. Au niveau mondial, la demande est forte et robuste pour nos produits, en particulier en Europe. L’année fiscale 2023 s’est bien terminée, les résultats du premier trimestre fiscal 2024 sont également solides et nous avons de bonnes perspectives pour le prochain trimestre. Cela dit, je pense que nous sommes tous confrontés à des périodes difficiles sur le plan économique et à des vents contraires sur le plan macroéconomique. Mais chez Workday, nous avons été capables de les surmonter grâce à la durabilité et à la diversité de nos activités. Je suis donc très satisfait de nos résultats. Pouvons-nous faire mieux ? Oui, nous nous efforçons toujours de faire mieux.

Suite aux incertitudes économiques, voyez-vous une pause dans les budgets des entreprises sur vos solutions ?

Pour être transparent, les négociations des contrats avec les clients sont plus intenses et plus approfondies depuis plusieurs années. Sur certaines affaires spécifiques autour de la transformation digitale, elles sont repoussées à plus tard, mais elles ne disparaissent pas et restent dans le pipeline des contrats à finaliser. Une fois la décision prise sur des projets touchant les ressources humaines ou la planification budgétaire, la question ne résume pas à si on doit le faire, mais quand en fonction des priorités budgétaires.

Vous avez un écosystème de partenaires important, quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?

Effectivement Workday dispose d’un très fort écosystème de partenaires avec des acteurs pour intégrer et déployer nos solutions au niveau global, mais aussi dans les zones régionales. Nous avons aussi besoin d’innover avec des acteurs qui créent des solutions sur nos plateformes. Cela se fait via le programme Extend, pour faciliter le développement de ce type d’applications. Par ailleurs, nous avons récemment annoncé une extension de nos partenariats en Europe notamment dans le domaine de la paie avec la société Alight. Nous disposons de notre propre solution de paie en France, en Angleterre, en Allemagne, mais il nous faut passer par des partenariats pour aller plus loin dans ce domaine. Enfin, nous avons également annoncé un partenariat avec AWS pour revendre nos produits sur sa marketplace.

Sur ce dernier point, avez-vous ce même type d’accord avec Microsoft Azure et Google Cloud Platform ?

Non, nous avons un accord avec Google et GCP sur certains éléments, mais pas en tant que revendeur de nos solutions sur la place de marché. Aujourd’hui, cela ne concerne qu’AWS. Nous essayons de faire vivre notre écosystème de partenaires et je suis satisfait de la situation dans laquelle nous nous trouvons avec nos partenaires à l’échelle mondiale.

Vous êtes arrivés comme co-CEO de Workday en décembre 2022, quelle est la sauce secrète de Carl Eschenbach pour réussir ?

Je suis arrivé effectivement en décembre 2022 en tant que co-CEO, mais ce je n’étais pas nouveau dans l’entreprise. J’ai siégé au conseil d’administration pendant cinq ans, donc j’avais une très bonne compréhension de la société avant de m’associer avec Aneel Bhusri, co-fondateur et co-CEO. La recette secrète de l’entreprise tient à plusieurs choses. Tout d’abord Workday a une culture très particulière fondée sur un système de valeurs, qui comprend deux volets. Premièrement, nous nous concentrons sur nos employés et deuxièmement, nous nous concentrons sur nos clients. Nous pensons que si vous avez les meilleurs employés du monde, vous serez en mesure de servir vos clients d'une manière qui nous différencie de nos concurrents. Nous pensons également que nous sommes une entreprise technologique qui a été construite dès le premier jour dans le cloud. Nous n’avons pas de solutions on premise. Notre plateforme propose aux clients un environnement multitenant, avec la même version, le même code, avec un modèle de données commun aussi bien pour la gestion des talents que pour la partie finance. Sur la partie IA et machine learning, ce n’est pas nouveau pour nous. Depuis dix ans, nous l’avons intégré dans notre plateforme d’une manière responsable et éthique et nos clients en tirent déjà des bénéfices.

Aujourd’hui le sujet porte moins sur le machine learning, mais plutôt sur l’IA générative à travers les LLM d’OpenAI, de Meta ou de Facebook. Quel est votre avis à ce propos ?

Il est utile de distinguer les solutions entreprise (IA et machine learning), de celles tournées vers le consommateur, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, nous disposons de ce que nous décrivons comme un modèle de langage pour l’entreprise qui nous différencie de tous les autres. Les facteurs de différenciations sont de deux ordres : la quantité et la qualité des données. Sur le plan de la quantité, nous avons plus de 60 millions d’utilisateurs traitant plus de 600 milliards de transactions par an. Cela donne un ensemble de données d’une taille et d’une échelle que personne d’autre ne possède aujourd’hui. L’autre puissance de notre plateforme réside dans la qualité des données, car nous disposons d’un ensemble de données unique et unifié. Ainsi, en ayant à la fois la quantité et la qualité des données, vous avez un LLM qui offre des avantages business pour l’entreprise. Nous ne sommes pas uniquement centrés sur nos capacités d’IA et de ML. Récemment, nous avons annoncé une API pour l’apprentissage automatique. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela vous permet d’introduire de nouveaux modèles d’IA comme ChatGPT d’OpenAI ou Amazon ou Microsoft. Et en le combinant à notre modèle, cela donne des résultats puissants.

Est-ce que l’IA est un phénomène de mode ou une réalité ?

Chaque conversation que vous avez avec un client ou un prospect, ou avec mes pairs, débouche toujours sur une discussion autour de l'IA. Je pense qu'il s'agit de l'un des plus grands changements tectoniques que nous ayons connus au cours des 30 dernières années. Il est nécessaire de l'adopter, mais nous devons le faire d'une manière éthique et responsable. Chez Workday, tant pour notre propre utilisation interne que pour la façon dont nous l'intégrons à notre technologie, nous nous intéressons à cette tendance, car nous pensons qu'elle va entraîner un grand changement dans la façon dont nous envisageons la productivité. L’objectif final est que vos salariés et votre entreprise soient plus productifs. Dans nos discussions, beaucoup de gens sont nerveux à propos de la technologie et l’impact sur les employés. Nous pensons que les deux vont coexister pacifiquement et travailler ensemble pour obtenir des gains de productivité et de meilleures affaires. Je pense donc qu'il faut trouver un moyen de l'adopter, de l'exploiter et de l'utiliser comme un outil supplémentaire pour transformer la façon dont vous gérez et exploitez votre entreprise. Il faut donc se pencher sur la question. N'en ayez pas peur et travaillez avec les entreprises qui comprennent comment le faire de manière éthique et responsable.

L’IA pose également des interrogations sur la sécurité des données et la souveraineté, comment y répondez-vous ?

Ce sujet est très important pour nous. Nous disposons des données sensibles de nos clients et depuis 18 ans que nous existons, nous les sécurisons, les protégeons et respectons les lois et la régulation locale. La souveraineté en matière de données est un sujet d'actualité. Par exemple, l'un des pays d'Europe qui est très strict sur ce point est l'Allemagne et nous avons dû construire un centre de données au-dessus de celui d’AWS pour prendre en charge cette région. Nous sommes très attentifs aussi à l’évolution de la régulation au niveau européen comme l’IA Act. Nous travaillons depuis 2019 avec l’Union européenne sur l’IA responsable et nous avons rédigé un document sur ce sujet.

Workday dispose d’un fonds pour investir dans certaines sociétés comme par exemple dans Automation Anywhere. Pensez-vous que l’automatisation est toujours aussi importante pour les entreprises avec l’IA ?

C’est une question intéressante. Quand on parle d’automatisation, vous pensez à Uipath ou à Automation Anywhere. Le RPA a été le premier pas de l’automatisation où les gens s’interrogeaient sur les routines et les flux de travail à automatiser. Aujourd’hui, ils disent « ok, c’est de l’histoire ancienne ». Tout le monde veut passer à l’IA et au machine learning. C’est ce que je vois. Il s’agit juste de la prochaine évolution de l’automatisation et du RPA.

Dans ce fonds, vous investissez dans les start-ups, quels sont les profils qui vous intéressent ?

Notre mission au sein de Workday Ventures est d'investir dans des startups que nous pensons être adjacentes à nos plateformes. Nous n'avons pas créé Workday Ventures pour essayer de générer de la rentabilité ou des gains, ni pour essayer de la monétiser. Nous ne voulons pas perdre d'argent, mais nous voulons être associés et avoir une bonne compréhension de l'écosystème des startups autour de nos offres, qu'il s'agisse de HCM (human capital management) ou de finances. Nous essayons donc de trouver des entreprises que nous pensons être des partenaires de l'écosystème ou qui pourraient être intéressantes pour nous, y compris en avance de phase sur le plan technologique.

Vous avez fixé comme objectif d’atteindre 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires, quand et comment ?

Nous avons établi une feuille de route avec comme ambition d’atteindre 10 milliards de dollars et au-delà. Il s’agit d’un bon objectif et je pense que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre ce chiffre au cours des prochaines années. Cependant, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une fin en soi. Car une fois ce but atteint, nous continuerons à développer l’entreprise bien au-delà. Il s’agit donc d’une étape. Vous savez très peu d’entreprises dans le logiciel parviennent à 10 milliards de dollars de revenus. Pour y arriver, nous allons continuer à soutenir et à favoriser les gains de productivité de nos clients sur les deux actifs les plus importants, les talents et les finances. Avec nos plateformes basées sur la planification(financières, budgétaires, ressources humaines) et l’écosystème partenaire, nous pouvons faire la différence et atteindre 10 milliards de dollars et plus.

Pourtant la concurrence est rude dans ce secteur face à SAP et Oracle et vous n’hésitez plus à en parler lors de la présentation des résultats financiers. Une nouvelle approche ?

Nous avons donc des concurrents redoutables, SAP et Oracle, mais nos taux de réussite par rapport à eux continuent d'augmenter. Lorsque nous nous mesurons à eux, nous gagnons beaucoup plus que nous ne perdons à ce stade. Et c'est parce que nous avons une différenciation au niveau de l'architecture. La majorité de nos clients sont encore on premise aujourd'hui et ils essaient de migrer vers le cloud. Et nous avons une réponse avec notre plateforme construite nativement dans le cloud, multitenant, comme je l’indiquais précédemment. Face à la concurrence, nous pouvons clairement nous différencier dans de nombreux domaines. Par ailleurs, je pense qu’en tant qu’entreprise, la concurrence ne peut pas rivaliser avec notre culture et nos valeurs vis-à-vis des salariés et de l’engagement vis-à-vis des clients.

Quel est votre point de vue sur le télétravail, à l’heure où certaines sociétés demandent aux salariés de revenir au bureau ? Et est-ce que cela a un impact sur vos produits ?

Pour les salariés de Workday, nous avons une politique appelée Flex Work, qui donne à nos employés la possibilité de travailler à la maison ou au bureau. Nous ne leur imposons pas le jour où ils doivent être au bureau. Nous voulons simplement qu'ils soient présents au bureau un certain pourcentage du temps. Et je pense que cela fonctionne. Depuis plusieurs mois, il faut même se battre pour avoir une salle de réunion libre. Concernant l'impact sur notre produit, il n’y a pas de changement. Nous savons que nous vivons dans un monde hybride et qu’il existe des talents dispersés dans le monde, il est donc important pour nos clients d’avoir une plateforme pour soutenir de ce type d’environnement de travail. Surtout après la période de Covid.

Quelles sont les évolutions à attendre sur la partie HCM (Human Capital Management) ?

Avec Skills Cloud, les entreprises tirent les bénéfices de l’usage de l’IA et du machine learning. Un dirigeant d’un grand groupe français m’a expliqué qu’une de ses problématiques aujourd’hui était le reskilling et l’amélioration des compétences de ses salariés. Grâce à la quantité et à la qualité des données dont nous disposons, nous pouvons aider les entreprises à réfléchir sur la manière d’aménager et faire évoluer leur force de travail. À travers ces datas, Skills Cloud propose de recruter de manière différente, à l’opposé de ce qui se faisait avant avec un focus sur la description du poste. Nous évoluons vers un monde de compétences où vous commencez à regarder lesquelles sont requises pour chaque emploi ou projet. Notre plateforme permet de les identifier et d’adapter les besoins de formations des employés.

Et sur la partie financière ?

Avec le HCM, la planification budgétaire est complémentaire. Vous savez quand les gens font de la planification financière dans certaines entreprises sur des marchés verticaux, il y a une base importante liée à la gestion des compétences. C'est donc l'association de ces deux éléments qui nous rend uniques lorsque vous pouvez réunir votre capital humain et votre planification financière dans un seul et même modèle. Nous discutons beaucoup avec nos clients et ils nous disent : Oui, j'ai besoin de réunir ces deux éléments aujourd'hui très cloisonnés.

Envisagez-vous des acquisitions et si oui dans quelles directions ?

Workday est une société d’acquisitions et nous sommes toujours à la recherche d’opportunités.  Mais pour que nous soyons intéressés, il faut que les sociétés répondent à trois critères clés : premièrement, elles doivent être alignées sur notre culture et sur notre système de valeurs. Deuxièmement, il doit s'agir d'une technologie étroitement liée à nos plateformes existantes. Elle peut être intégrée à notre offre HCM et finance. Et puis, troisièmement, elle doit pouvoir être vendue par nos canaux de distribution et de partenaires. Nous ne sommes pas le type d'entreprise qui va se lancer dans de grandes fusions et acquisitions, nous allons plutôt nous intéresser à des participations sur des technologies ou à l'acquisition de petites entreprises. Nous ne sommes pas intéressés par des opérations à grande échelle pour l'instant. Mais nous sommes toujours à l'affût. Oui, nous devons être curieux.

Est-ce que l’IA peut-être un terrain d’acquisition ?

Oui, nous cherchons dans ce secteur, c'est vrai, à la fois pour la technologie, mais aussi pour intégrer plus d’IA et de ML dans nos plateformes. Et nous l'envisageons également sous l'angle de l'acquisition de talents. Workday dispose d’une organisation technologique importante. Mais si nous pouvons l’étoffer avec des compétences extérieures, pour aller plus vite et plus loin en matière d’IA et ML, nous envisagerons également des acquisitions pour cela.

Vous avez passé plusieurs années en tant que président de VMware. Avez-vous un commentaire sur le rachat de VMware par Broadcom ?

Vous savez j’ai quitté VMware il y a sept ans et je ne suis probablement pas le mieux placé pour faire des commentaires à ce sujet. Je connais encore beaucoup de gens là-bas et nous avons recruté récemment Zane Row, qui était directeur financier chez VMware. Mais je ne suis pas la bonne personne pour commenter cette affaire.

Vous avez travaillé avec la société de capital-risque Sequoia Capital, comment voyez-vous les tendances d’investissement aujourd’hui ?

J'ai passé sept ans à investir dans des sociétés technologiques, à la fois pour le secteur entreprise et grand public, pendant une période d'hypercroissance du marché. Et je pense que si vous regardez le marché de l'investissement aujourd'hui, comparé aux sept dernières années, il a considérablement ralenti. Mais il y a une énorme opportunité pendant les marchés baissiers, notamment pour Sequoia qui reste la meilleure société de capital-risque au monde.

Dernière question, êtes-vous heureux chez Workday ?

Oui, je ne pourrais pas être plus heureux ici à Workday où je suis présent depuis plusieurs mois. Je pense que mon co-CEO Aneel et moi-même avons des compétences différentes. Et ces compétences mènent à une équation où un plus un égal trois. J'ai rejoint cette entreprise parce que j'y ai vu une formidable opportunité. Quelques mois plus tard, je vois une opportunité encore plus grande que je n'aurais pu imaginer avant de rejoindre l'entreprise. Et je ne pourrais pas être plus enthousiaste à l'idée de faire partie de cette société. Avec mes 18 000 collègues dans le monde entier. Je suis motivé et enthousiaste. Et j'ai hâte de voir ce que l'avenir réserve à Workday.